mardi 7 avril 2009

Non‑divulgation de séropositivité ‑‑ Accusé ayant eu des rapports sexuels non protégés tout en sachant qu’il était séropositif

R. c. Cuerrier, [1998] 2 R.C.S. 371

Résumé des faits
L’accusé a fait l’objet de deux chefs d’accusation de voies de fait graves portés en vertu de l’art. 268 du Code criminel. Même si une infirmière hygiéniste lui avait explicitement conseillé d’informer de sa séropositivité tous ses partenaires sexuels éventuels et d’utiliser des condoms chaque fois qu’il aurait des rapports sexuels, l’accusé a eu des rapports sexuels non protégés avec les deux plaignantes sans les informer qu’il était séropositif. Les deux plaignantes avaient consenti à des rapports sexuels non protégés avec l’accusé, mais elles ont témoigné au procès que, si elles avaient su qu’il était séropositif, elles n’auraient jamais eu de rapports sexuels non protégés avec lui. Au moment du procès, aucune des plaignantes n’était séropositive selon les tests qu’elles avaient subis.

Analyse
Pour prouver l’existence d’une infraction de voies de fait graves, le ministère public doit établir (1) que les actes de l’accusé ont mis en danger la vie du plaignant (par. 268(1)), et (2) que l’accusé a, d’une manière intentionnelle, employé la force contre le plaignant sans son consentement (al. 265(1)a)). En l’espèce, le risque important auquel les rapports sexuels non protégés ont exposé la vie des plaignantes satisfait à la première condition. Il n’est pas nécessaire d’établir que les plaignantes ont effectivement été infectées par le virus.

Selon la formulation de l’art. 265, l’omission par un accusé de divulguer sa séropositivité est un type de fraude qui peut vicier le consentement à des rapports sexuels. Les éléments essentiels de la fraude en droit pénal commercial sont la malhonnêteté, qui peut comprendre la dissimulation de faits importants, et la privation ou le risque de privation. L’acte ou le comportement malhonnête doit avoir trait à l’obtention du consentement aux rapports sexuels, en l’occurrence des rapports non protégés.

Les actes de l’accusé doivent être appréciés objectivement afin d’établir s’ils seraient considérés comme malhonnêtes par une personne raisonnable. L’acte malhonnête est soit une supercherie délibérée concernant la séropositivité, soit la non‑divulgation de cet état de santé. Sans divulgation de la séropositivité, il ne peut y avoir de consentement véritable. Le consentement ne peut se limiter uniquement aux rapports sexuels. Il doit plutôt s’agir d’un consentement à des rapports sexuels avec un partenaire séropositif. L’obligation de divulguer augmentera avec les risques que comportent les rapports sexuels. L’omission de divulguer la séropositivité peut conduire à une maladie dévastatrice ayant des conséquences mortelles et, dans ces circonstances, il existe une obligation absolue de divulguer.

La nature et l’étendue de l’obligation de divulguer, s’il en est, devront toujours être examinées en fonction des faits en présence. Pour établir que la malhonnêteté entraîne une privation sous forme de préjudice réel ou, simplement, de risque de préjudice, le ministère public doit prouver que l’acte malhonnête a eu pour effet d’exposer la personne consentante à un risque important de lésions corporelles graves. Le risque de contracter le sida par suite de rapports sexuels non protégés satisfait à ce critère. En outre, dans des cas comme la présente affaire, le ministère public est toujours tenu de prouver hors de tout doute raisonnable que la plaignante aurait refusé d’avoir des relations sexuelles non protégées avec l’accusé si elle avait été informée qu’il était séropositif. Par conséquent, on peut, à juste titre, conclure que le consentement d’une plaignante à des rapports sexuels est vicié par une fraude au sens de l’art. 265, si l’omission de l’accusé de divulguer sa séropositivité est malhonnête et entraîne une privation en exposant la plaignante à un risque important de lésions corporelles graves.

La fraude requise pour vicier le consentement relativement à une agression sexuelle doit comporter un risque de préjudice grave. Cette norme est suffisante pour viser non seulement le risque d’infection par le VIH, mais aussi celui de contracter d’autres maladies transmissibles sexuellement qui constituent un risque important de préjudice grave.

Lorsque les efforts en matière de santé publique ne permettent pas d’assurer une protection adéquate à des personnes comme les plaignantes, le droit criminel peut être efficace. Le droit criminel a un rôle à jouer à la fois pour dissuader les personnes infectées par le VIH de mettre en danger la vie d’autrui et pour protéger le public contre les individus irresponsables qui refusent de se conformer aux ordonnances en matière de santé publique leur enjoignant d’éviter les activités à risques élevés.

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