mercredi 30 juin 2010

Les grandes lignes de l'arrêt Grant (pour évaluer la pertinence d'exclure la preuve recueillie en violation de la Charte)

R. c. Côté, 2010 QCCA 303 (CanLII)

[33] Comme précédemment mentionné, le pourvoi ne soulève plus qu'une seule question, cependant déterminante, et pour laquelle le juge de première instance n'avait pas le bénéfice des décisions très récentes de la Cour suprême dans R. c. Grant et R. c. Harrison. Il s'agit de l'admission en preuve des éléments dérivés fiables, souvent exclus par le passé en cas de violation grave des droits constitutionnels de l'accusé. La règle est dorénavant changée en ce que « [l]e juge doit désormais se demander si l'utilisation des éléments de preuve dérivée obtenus par suite d'une violation de la Charte serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice ».

[34] Avant de poursuivre l'examen de cette question, il est opportun de reprendre les grandes lignes de l'affaire Grant.

[35] L'arrêt Grant présente un cadre d'analyse en trois étapes pour évaluer la pertinence d'exclure la preuve recueillie en violation de la Charte :

67 Le libellé du par. 24(2) en exprime bien l'objet : préserver la considération dont jouit l'administration de la justice. L'expression « administration de la justice » est souvent employée pour désigner les processus d'enquête, d'accusation et de jugement qui entrent en jeu en cas de non-respect de la loi. Toutefois, elle englobe de façon plus générale le maintien des droits garantis par la Charte et du principe de la primauté du droit dans l'ensemble du système de justice.

68 L'expression « déconsidérer l'administration de la justice » doit être prise dans l'optique du maintien à long terme de l'intégrité du système de justice et de la confiance à son égard. Certes, l'exclusion d'éléments de preuve qui aboutit à un acquittement peut provoquer des critiques sur le coup. Il n'en demeure pas moins que les réactions immédiates, dans des cas particuliers, ne sont pas visées par l'objet du par. 24(2). Cette disposition concerne plutôt l'appréciation de l'effet à long terme de l'utilisation d'éléments de preuve sur la considération globale dont jouit le système de justice et suppose un examen de nature objective, qui vise à déterminer si une personne raisonnable, au fait de l'ensemble des circonstances pertinentes et des valeurs sous-jacentes de la Charte, conclurait que l'utilisation d'éléments de preuve donnés serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

69 L'objet du par. 24(2) n'est pas seulement à long terme, il est également prospectif. L'existence d'une violation de la Charte signifie que l'administration de la justice a déjà été mise à mal. Le paragraphe 24(2) part de là et vise à faire en sorte que les éléments de preuve obtenus au moyen de cette violation ne déconsidèrent pas davantage le système de justice.

70 Enfin, le par. 24(2) a un objet sociétal. Il ne vise pas à sanctionner la conduite des policiers ou à dédommager l'accusé, il a plutôt une portée systémique. Il se rapporte aux importantes répercussions de l'utilisation d'éléments de preuve sur la considération à long terme portée au système de justice.

71 Il ressort de la jurisprudence et de la doctrine qu'il faut, pour déterminer si l'utilisation d'un élément de preuve obtenue en violation de la Charte déconsidérerait l'administration de la justice, examiner trois questions tirant chacune leur origine des intérêts publics sous-jacents au par. 24(2), considérés à long terme dans une perspective sociétale prospective. Ainsi, le tribunal saisi d'une demande d'exclusion fondée sur le par. 24(2) doit évaluer et mettre en balance l'effet que l'utilisation des éléments de preuve aurait sur la confiance de la société envers le système de justice en tenant compte de : (1) la gravité de la conduite attentatoire de l'État (l'utilisation peut donner à penser que le système de justice tolère l'inconduite grave de la part de l'État), (2) l'incidence de la violation sur les droits de l'accusé garantis par la Charte (l'utilisation peut donner à penser que les droits individuels ont peu de poids) et (3) l'intérêt de la société à ce que l'affaire soit jugée au fond. Le rôle du tribunal appelé à trancher une demande fondée sur le par. 24(2) consiste à procéder à une mise en balance de chacune de ces questions pour déterminer si, eu égard aux circonstances, l'utilisation d'éléments de preuve serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Bien qu'elles ne recoupent pas exactement les catégories élaborées dans Collins, ces questions visent les facteurs pertinents pour trancher une demande fondée sur le par. 24(2), tels qu'ils ont été formulés dans Collins et dans la jurisprudence subséquente.

[36] Appliquant l'arrêt Grant, la Cour suprême, dans Harrison, énonce ce qui suit pour diriger l'analyse sous le premier élément, soit la gravité de la conduite attentatoire de l'État :

22 À ce stade, le tribunal saisi de l'affaire examine la nature de la conduite de la police qui a porté atteinte aux droits protégés par la Charte et mené à la découverte des éléments de preuve. S'agit-il d'une inconduite dont le tribunal devrait souhaiter se dissocier? C'est le cas si la dérogation aux normes prescrites par la Charte était flagrante, ou si le policier savait (ou aurait dû savoir) que sa conduite ne respectait pas la Charte. En revanche, si la violation ne consiste qu'en une simple irrégularité ou résulte d'une erreur compréhensible, il n'est pas aussi crucial de s'en dissocier.

[38] Dans Harrison, la Cour suprême décrit ainsi le second élément, soit celui de l'incidence de la violation sur les droits de l'accusé garantis par la Charte :

28 Ce facteur porte sur la gravité de la violation, du point de vue de l'accusé. La violation a-t-elle sérieusement porté atteinte aux intérêts sous-jacents aux droits qui ont été enfreints? Ou l'incidence de la violation était-elle simplement passagère ou anodine? Voilà quelques questions auxquelles il faut répondre dans le cadre de l'analyse de ce facteur.

[40] Le troisième et dernier élément, l'intérêt de la société à ce que l'affaire soit jugée au fond, est présenté ainsi dans Harrison :

33 À ce stade, le tribunal saisi de l'affaire prend en compte les facteurs telles la fiabilité des éléments de preuve et leur importance pour la preuve du ministère public.

34 […] Comme nous l'avons souligné dans Grant, même si le public a un intérêt accru à ce que les litiges soient jugés au fond lorsque l'infraction reprochée est grave, le public a aussi un intérêt vital à ce que le système de justice soit irréprochable, particulièrement lorsque l'accusé encourt de lourdes conséquences pénales […].

[42] L'étape finale est celle de la balance des inconvénients. Voici ce que la Cour suprême dit à ce sujet dans Harrison :

36 L'exercice de mise en balance que commande le par. 24(2) est de nature qualitative et il ne peut être effectué avec une précision mathématique. Il ne s'agit pas simplement de savoir si, dans un cas en particulier, la majorité des facteurs pertinents milite en faveur de l'exclusion. La preuve à l'égard de chacune de ces questions doit être soupesée afin de déterminer si, eu égard aux circonstances, l'utilisation des éléments de preuve serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. La nécessité pour le système de justice de se dissocier de l'inconduite de la police ne l'emporte pas toujours sur les intérêts de recherche de la vérité du système de justice pénale. L'inverse est tout aussi vrai. Dans tous les cas, c'est la considération à long terme pour l'administration de la justice qui doit être examinée.

[43] Selon la Cour suprême, la possibilité de découvrir la preuve matérielle « reste toutefois utile pour évaluer l'impact réel de la violation sur les intérêts protégés de l'accusé » car ce critère permet « d'évaluer la force du lien de causalité entre l'auto-incrimination contraire à la Charte et les éléments de preuve qui en ont découlé ».

[45] Dans l'affaire Grant, la Cour suprême réitère le principe selon lequel « si les éléments de preuve dérivée pouvaient être découverts de façon indépendante, l'incidence de la violation pour l'accusé est atténuée et l'utilisation des éléments de preuve est plus probable ». Cela fait partie de l'analyse du deuxième élément devant servir à l'examen d'une violation d'un droit protégé en vertu de l'article 24 (2) de la Charte, étape où il s'agit de circonscrire les conséquences de cette violation pour l'accusée.

[46] Sur le troisième critère, soit celui de savoir si l'utilisation des éléments de preuve dérivée est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice, question qui, comme déjà mentionné, met en cause l'intérêt de la société à ce que l'affaire soit entendue et jugée au fond, la Cour suprême précise que :

Comme la preuve dérivée est de nature matérielle, sa fiabilité est généralement moins problématique, et l'intérêt du public à ce qu'un procès soit instruit sur le fond favorisera donc habituellement son utilisation

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