R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353
[41] Comme nous l’avons vu précédemment, le fait qu’un policier patrouilleur pose des questions générales ne constitue pas une menace à la liberté de choix. Par contre, poser ce type de questions peut conduire à des situations où les préoccupations générales de police communautaire cèdent le pas aux soupçons à l’égard d’un individu en particulier. Les soupçons ne transforment pas en soi le contact en détention. Ce qui compte, c’est la façon dont la police, compte tenu de ces soupçons, a interagi avec l’individu. Le libellé de la Charte ne limite pas la détention aux situations où une personne risque d’être mise en état d’arrestation. Cependant, ce facteur peut aider à déterminer si, dans une situation donnée, une personne raisonnable conclurait qu’elle n’a d’autre choix que d’obtempérer à la demande des policiers. Ces derniers doivent être conscients que leurs gestes et leurs paroles peuvent créer une situation où une personne raisonnable, dans la même situation, conclurait en effet qu’elle n’est pas libre de s’en aller ou de refuser de répondre aux questions.
[42] La durée du contact censé constituer une détention peut être un facteur pertinent. Prenons l’exemple d’une policière qui poserait sa main sur le bras d’un individu. Si ce geste dure, il pourrait fort bien amener une personne raisonnable à conclure que sa liberté de choisir entre collaborer ou non lui a été retirée, ce que ne ferait peut‑être pas un effleurement, compte tenu des circonstances. Il faut cependant se rappeler qu’une situation peut évoluer rapidement et qu’un seul acte ou mot percutant peut induire une personne raisonnable à conclure qu’elle n’a plus le droit de choisir comment répondre à la situation.
[43] Rappelons, d’une part, que la question de savoir si la personne a été privée du droit de choisir de simplement quitter les lieux dépend de toutes les circonstances de l’affaire et, d’autre part, qu’il appartient au juge du procès de la trancher en fonction de l’ensemble de la preuve. S’il est vrai qu’il faut faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait du juge du procès, l’application du droit aux faits constitue une question de droit.
[44] En résumé, nous arrivons aux conclusions suivantes :
1. La détention visée aux art. 9 et 10 de la Charte s’entend de la suspension du droit à la liberté d’une personne par suite d’une contrainte physique ou psychologique considérable. Il y a détention psychologique quand l’individu est légalement tenu d’obtempérer à une demande contraignante ou à une sommation, ou quand une personne raisonnable conclurait, compte tenu de la conduite de l’État, qu’elle n’a d’autre choix que d’obtempérer.
2. En l’absence de contrainte physique ou d’obligation légale, il peut être difficile de savoir si une personne a été mise en détention ou non. Pour déterminer si une personne raisonnable placée dans la même situation conclurait qu’elle a été privée par l’État de sa liberté de choix, le tribunal peut tenir compte, notamment, des facteurs suivants :
a) Les circonstances à l’origine du contact avec les policiers telles que la personne en cause a dû raisonnablement les percevoir : les policiers fournissaient‑ils une aide générale, assuraient‑ils simplement le maintien de l’ordre, menaient‑ils une enquête générale sur un incident particulier, ou visaient‑ils précisément la personne en cause dans le cadre d’une enquête ciblée?
b) La nature de la conduite des policiers, notamment les mots employés, le recours au contact physique, le lieu de l’interaction, la présence d’autres personnes et la durée de l’interaction.
c) Les caractéristiques ou la situation particulières de la personne, selon leur pertinence, notamment son âge, sa stature, son appartenance à une minorité ou son degré de discernement.
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