samedi 5 février 2011

Y a-t-il lieu de modifier les peines en les réduisant à un emprisonnement de deux ans moins un jour afin de permettre un appel d'une mesure de renvoi prise en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR)?

Guzman c. R., 2011 QCCA 136 (CanLII)

[9] Les trois appelants ne sont pas citoyens canadiens, mais ont obtenu le statut de résident permanent conformément à la LIPR.

[10] Ils ont par la suite été condamnés à des peines d'emprisonnement de deux ans à la suite de la perpétration de diverses infractions à une loi fédérale.

[11] Ces condamnations ont d'importantes conséquences. D'une part, elles emportent interdiction de territoire pour cause de grande criminalité. D'autre part, elles empêchent tout appel d'une mesure de renvoi à la Section d'appel de l'immigration. En effet, quoique la Section d'appel de l'immigration puisse, selon l'al. 67 (1) c) LIPR, surseoir à une mesure de renvoi ou faire droit à un appel, notamment pour des motifs d'ordre humanitaire, l'art. 64 édicte qu'un tel appel ne peut être interjeté lorsque la peine infligée est de deux ans d'emprisonnement et plus :

64. (1) L’appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l’étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l’étranger, son répondant.

Grande criminalité

(2) L’interdiction de territoire pour grande criminalité vise l’infraction punie au Canada par un emprisonnement d’au moins deux ans.

[12] C'est donc pour préserver leur droit de porter la mesure de renvoi en appel devant la Section d'appel de l'immigration que les appelants demandent à la Cour de réduire leurs peines respectives à deux ans moins un jour d'emprisonnement. Selon eux, la réduction de peine qu'ils recherchent est minime par rapport au préjudice qui leur est causé par la perte de leur droit d'appel. Dans les circonstances, disent-ils, l'impact de la peine infligée est nettement disproportionné.

[48] On ne peut nier que les conséquences de l'art. 64 LIPR revêtent une importance certaine. Je n'affirme pas qu'elles sont toujours déterminantes, mais, pour les raisons qui suivent, je suis d'avis qu'un tribunal devrait en tenir compte. Par contre, l'on ne peut non plus conclure que, dans tous les cas où une peine de deux ans est appropriée, elle devrait nécessairement être réduite à deux ans moins un jour pour, le cas échéant, sauvegarder le droit d'appel de la personne visée. C'est pourtant, à mon avis, ce que les appelants soutiennent, à tout le moins implicitement.

[49] Il me semble acquis que les autres mesures prévues par la LIPR ne peuvent se comparer à un droit d'appel et ne peuvent donc compenser la perte d'un tel droit. Ainsi, la Cour fédérale ne saurait se transformer en tribunal d'appel au moment d'exercer sa compétence en matière de contrôle judiciaire. De même, le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration par les art. 25 et 112 et suivants LIPR ne peut pallier la disparition d'un droit d'appel devant un organisme comme la Section d'appel de l'immigration qui, à l'occasion d'un pourvoi, peut d'ailleurs prendre en compte des aspects de la décision de renvoi qui dépassent la seule question des motifs d'ordre humanitaire.

[50] En somme, s'il est vrai que les appelants ne sont pas sans ressources, il n'en demeure pas moins que les mesures qui leur restent ne peuvent être aussi satisfaisantes qu'un droit d'appel. Pour paraphraser le juge Doherty dans R. v. Spencer 2004 CanLII 5550 (ON C.A.), (2004), 72 O.R. (3d) 47 (C.A. Ont.), au paragr. 45, l'accusé à qui le juge inflige une peine de deux ans, le privant ainsi du droit d'appel, sera « in a somewhat worse position » que celui à qui le tribunal impose une peine de deux ans moins un jour.

[51] Force est donc de reconnaître que l'impact d'une peine de deux ans d'emprisonnement demeure un fait pertinent dont un tribunal doit pouvoir tenir compte. C'est d'ailleurs l'idée exprimée par le juge Doherty dans R. v. Hamilton, 2004 CanLII 5549 (ON C.A.), (2004) 72 O.R. (3d) 1 (C.A. Ont.) :

[156] […]The sentencing process cannot be used to circumvent the provisions and policies of the Immigration and Refugee Act. As indicated above, however, there is seldom only one correct sentencing response. The risk of deportation can be a factor to be taken into consideration in choosing among the appropriate sentencing responses and tailoring the sentence to best fit the crime and the offender: R. v. Melo (1975), 26 C.C.C. (2d) 510 at 516 (Ont. C.A.).

[157] […]It is clear, however, that if Ms. Mason were to receive a sentence of two years and if she was ordered deported, her ability to challenge that deportation order would be adversely affected by the length of the sentence.

[158] I would not characterize the loss of a potential remedy against a deportation order that might be made a mitigating factor on sentence. I do think, however, that in a case like Ms. Mason's there is room for consideration of the potentially added risk of deportation should the sentence be two years or more. If a trial judge were to decide that a sentence at or near two years was the appropriate sentence in all of the circumstances for Ms. Mason, the trial judge could look at the deportation consequences for Ms. Mason of imposing a sentence of two years less a day as opposed to a sentence of two years. I see this as an example of the human face of the sentencing process. If the future prospects of an offender in the circumstances of Ms. Mason can be assisted or improved by imposing a sentence of two years less a day rather than two years, it is entirely in keeping with the principles and objectives of sentencing to impose the shorter sentence. While the assistance afforded to someone like Ms. Mason by the imposition of a sentence of two years less a day rather than two years may be relatively small, there is no countervailing negative impact on broader societal interests occasioned by the imposition of that sentence: see R. v. Lacroix, [2003] O.J. No. 2032 (C.A.).

[52] En d'autres termes, le processus de détermination de la peine ne doit pas être un prétexte pour chercher à contourner les dispositions de la Loi sur la Citoyenneté et l'Immigration et l'objectif du législateur fédéral. En revanche, il reste que l'impact d'une décision judiciaire sur l'accusé est toujours pertinent, particulièrement dans un processus de détermination de la peine qui doit elle-même être proportionnelle tant à la gravité de l'infraction qu'au degré de responsabilité du délinquant et qui doit être taillée sur mesure.

[53] Les conséquences d'une peine peuvent donc, parfois, amener le juge à la moduler à la baisse, sans toutefois renier les objectifs et principes retenus par le législateur. Il est par conséquent possible, dans certains cas, qu'une réduction d'une journée soit opportune, à la condition toutefois que la peine ainsi réduite demeure une peine appropriée au regard des règles applicables. Encore faut-il que le juge du procès soit adéquatement informé de la situation par les avocats.

Voir au même effet
Belance c. R., 2011 QCCA 137 (CanLII)
Laplante c. R., 2011 QCCA 138 (CanLII)

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