jeudi 19 avril 2012

Le calcul de la détention préventive

R. c. Gosselin, 2011 QCCQ 11688 (CanLII)

Lien vers la décision

[64] Le tribunal ne peut pas se ranger à l'opinion préconisée dans Johnson pour les mêmes motifs évoqués dans d'autres décisions citées précédemment concluant que d'octroyer un crédit d'un jour et demi dans tous les cas de détention provisoire, peu importe les circonstances, serait faire fi de l'intention du législateur.

[65] D'ailleurs, le tribunal ne décèle aucune ambiguïté dans le nouveau texte.

[66] L'ancien article 719(3) du Code se limite à prescrire que le tribunal peut prendre en compte toute période que la personne a passé sous garde par suite de l'infraction. Incidemment, le nouveau paragraphe (3) reprend le même texte; il y ajoute une limite au temps pouvant être alloué pour tenir compte de la période passée en détention provisoire.

[67] La modification au paragraphe (3) et l'addition de quatre nouveaux paragraphes ((3.1), (3.2), (3.3), (3.4)) témoignent d'une intention, non pas d'écarter toute la discrétion judiciaire que la Loi maintient, mais de l'encadrer, d'abord, en limitant le crédit pouvant être alloué par le juge pour tenir compte de la période passée en détention provisoire, et ensuite, en introduisant au procédé de la détermination de ce crédit une rationalisation en ce que le tribunal doit dorénavant motiver toute décision d'allouer du temps pour la période passée sous garde (paragraphe (3.2)), une obligation jusqu'alors inexistante dans le Code.

[68] En outre, le paragraphe (3.3) imposant des inscriptions au dossier du détenu permettra de rendre compte avec le plus d'exactitude possible de la peine véritablement imposée et répondre notamment aux impératifs de transparence et d'intelligibilité auxquels le public est en droit de s'attendre.

[69] Dès lors, et dans tous les cas de détention provisoire, incluant même les situations prévues aux articles 515(9.1) et 524(4) du Code, le temps alloué pour la période passée en détention provisoire ne peut excéder un jour pour chaque jour passé sous garde.

[70] Le paragraphe (3.1) crée une exception. À cet égard, le tribunal ne peut pas davantage se rallier à la décision dans Johnson. La préposition « malgré » connote l'idée d'une concession ou d'un compromis annoncé par le texte auquel elle est liée. Conséquemment, le paragraphe (3.1) qui commence par « malgré le paragraphe (3) », constitue véritablement une exception. Ainsi, « malgré » l'obstacle que représente la règle générale du paragraphe (3), le tribunal peut allouer un crédit d'un jour et demi par jour passé sous garde si les circonstances le justifient. Cependant, sont exclus de cette exception, le cas échéant, les détenus se trouvant dans les situations prévues aux articles 515(9.1) et 524(4) du Code.

[71] Comme il s'agit d'une exception à la règle générale, le détenu a le fardeau de faire une preuve que les circonstances justifient d'accroître le crédit. Il n'existe pas de présomption selon laquelle la période passée en détention provisoire mérite le crédit maximum, en l'occurrence, selon les nouvelles dispositions, d'un jour et demi. La lecture combinée des paragraphes (3) et (3.1) ne permet pas une autre interprétation qui tienne compte de l'intention du législateur.

[72] Quant aux circonstances pouvant justifier d'accroître le crédit, le paragraphe (3.1) n'en excepte aucune. Elles peuvent être tout aussi multiples que variées. Le tribunal rejette la proposition avancée dans Johnson selon laquelle les circonstances ne se rapporteraient qu'à l'aspect quantitatif de la détention provisoire. Le texte lui-même n'appuie pas cette interprétation qui du reste irait à l'encontre des critères dégagés par le droit prétorien admettant depuis longtemps les conditions pénibles de détention provisoire comme étant l'un des facteurs à considérer lorsqu'il s'agit d'établir le crédit auquel a droit le détenu au moment de recevoir sa peine. Rien dans le texte des nouvelles dispositions ne permet de croire que le Parlement entendait rendre ces critères dorénavant obsolètes.

[73] Cela étant, la réduction du crédit alloué pour tenir compte de la détention provisoire se traduira par des peines plus longues. On ne peut pas non plus disconvenir que dans certains cas, les personnes détenues en détention provisoire passeront plus de temps incarcérées que celles libérées en attente du procès. Toutefois, il faut présumer que le législateur connaissait l'éventualité de ces cas de figure à laquelle peut donner lieu le calcul des échéances de la peine aux fins du seuil d'admissibilité à la libération conditionnelle ou de la remise statutaire de peine.

[74] Par ailleurs, il faut rappeler que le tribunal a bénéficié dans Johnson d'une preuve factuelle sur les effets systémiques des lois régissant l'application des peines sur la longueur de l'incarcération de la personne détenue en détention provisoire. Ce n'est pas le cas en l'instance. Dès lors, doit-on considérer, par exemple, comme un fait notoire, une remise de peine quasi automatiquement accordée à presque toutes les personnes condamnées à l'emprisonnement? Quoi qu'il en soit, et vu l'interprétation du tribunal des paragraphes (3) et (3.1), il n'est pas nécessaire de répondre à cette question.

[75] En application de ce qui précède, le tribunal conclut que le défendeur ne démontre pas des circonstances justifiant de lui accorder un crédit d'un jour et demi par jour passé sous garde.

[76] Sans remettre en cause les conditions difficiles inhérentes à la détention provisoire, le défendeur ne convainc pas que sa situation s'écarte de façon marquée de celle de tout individu privé de sa liberté dans l'attente de son procès. Au-delà de l'isolement dans une cellule 24 heures sur 24, les conditions de détention restent floues. Si la décision d'isoler le défendeur semble être une mesure de protection, on ne sait pas quand elle est prise ni qui la prend ni sur la foi de quel motif exactement. On ne sait pas non plus si le défendeur lui-même demande cette protection, pas plus la période totale passée en isolement compte tenu d'un séjour semble-t-il à l'hôpital. Le défendeur allègue des problèmes de santé mais on ne sait pas en quoi la détention provisoire aurait été pour ce motif plus pénible. On établit pas non plus en quoi consiste le quotidien d'une personne détenue à l'abri de la population carcérale.

[77] En somme, le défendeur peut justifier l'application de la règle générale du crédit d'un jour par jour passé sous garde, ne serait-ce parce qu'il ne bénéficie pas durant cette période de crédits-jours aux fins de la remise statutaire de peine, vu l'article 719(1) du Code, mais il ne convainc pas qu'il ait été assujetti à des conditions si oppressives fondant d'accorder le crédit maximum prévu au paragraphe (3.1)

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