Canada (Procureur général) c. Goodleaf, 1997 CanLII 9982 (QC CA) |
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Le premier juge a conclu, dans un premier temps, à une violation de l'art. 8 qui accorde à chacun le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. Avec égards, je crois qu'il a erré sur ce point.
L'article 8 vise essentiellement à protéger le droit à la vie privée des personnes dans la mesure où ces dernières peuvent avoir une expectative raisonnable de vie privée ou du caractère confidentiel à l'égard de la chose saisie.
Cette «raisonnabilité» de l'expectative de vie privée peut varier selon les circonstances de l'espèce.
Il y a donc lieu, pour déterminer si l'art. 8 s'applique, d'examiner dans un premier temps, si le respect de la vie privée de la personne est en cause ou encore si nous sommes dans une situation où la personne avait le droit à la préservation du caractère confidentiel de l'objet saisi.
C'est dans ce contexte que la jurisprudence, encore très récemment dans l'arrêt R. c. Stillman, 1997 CanLII 384 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 607, a examiné le concept de l'«abandon» d'une chose au sujet de laquelle on a normalement une attente en matière de vie privée, pour exprimer l'idée qu'une personne qui abandonne sa chose cesse d'avoir une attente raisonnable de vie privée au sujet de cette chose et ne peut donc plus invoquer la protection que lui accorde l'art. 8.
Dans l'arrêt Stillman, supra, on a mentionné comme exemples d'un «abandon» les arrêts R. c. Leblanc, (1981), 64 C.C.C. (2d) 31 (C.A.N.-B.), R. c. Love (1995), 1995 ABCA 448 (CanLII), 102 C.C.C. (3d) 393 (C.A.Alb.) et R. c. Arp [1995] B.C.J. No. 882 (C.S.), sans oublier l'arrêt Dyment, supra, où pour la première fois ce sujet avait été traité en Cour Suprême. Dans l'arrêt Leblanc, supra, il s'agit d'un cas où la police, après avoir conduit l'accusé à l'hôpital, avait prélevé un échantillon de son sang sur le siège avant de sa voiture. La Cour d'appel a conclu que la police avait «recueilli» («gathering») plutôt que saisi l'élément de preuve, en ce qu'il fallait considérer que l'individu avait abandonné son sang, cessant donc d'avoir une attente raisonnable en matière de vie privée à son sujet.
À ces arrêts qui fournissent des exemples d'un abandon de la chose qui ne permet plus à son titulaire de revendiquer la protection prévue à l'art. 8, j'ajoute les arrêts R. c. Mackay; R. v. Sibbeston; R. v. Spinelli; et R. v. Pruim.
Dans R. v. Mackay, supra, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a statué que l'expectative de vie privée rattachée à une camionnette était d'autant plus faible lorsque son propriétaire stationne sur une voie publique plutôt que sur une propriété privée. Dans cette affaire, les policiers avaient saisi, sans mandat, une pièce de vêtement appartenant à la victime sous le véhicule de l'accusé.
Dans R. v. Sibbeston, supra, on a traité de l'expectative de vie privée à laquelle pouvait légitimement s'attendre un propriétaire à l'égard d'un véhicule stationné illégalement dans une aire réservée aux détenteurs de permis:
In the present case, the appellant in parking (or abandoning) his vehicle in a location without any right or authorization to do so, consciously lowered his own expectations or privacy from intrusions by the state. He could not reasonably expect that the privacy of his vehicle was as protected or as secure in that location as in the driveway of his private residence.
Plus récemment, dans R. v. Spinelli, supra, la Cour a conclu que le propriétaire d'un véhicule automobile qui avait encaissé une indemnité d'assurance après en avoir déclaré la perte ou le vol avait renoncé à toute expectative de vie privée à l'égard du contenu de la voiture retrouvée ultérieurement. Dans cette affaire, les policiers avaient saisi, sans mandat, des éléments de preuve susceptibles d'établir que l'accusé, à qui on reprochait une manoeuvre frauduleuse, avait utilisé le véhicule après en avoir déclaré le vol.
Enfin, dans R. v. Pruim, supra, contrairement au juge de première instance, la Cour d'appel du Manitoba a reconnu qu'il n'existait aucune attente raisonnable de vie privée à l'égard d'un véhicule motorisé lorsque son occupant l'abandonne dans la cour d'un concessionnaire au profit d'une voiture volée pour compléter sa fuite.
Dans R. v. Belnavis and Lawrence (1996), 1996 CanLII 4007 (ON CA), 107 C.C.C. (3d) 195, la Cour d'appel d'Ontario, a insisté sur le «contrôle de l'accès» (au véhicule) comme élément déterminant du principe du droit à la vie privée.
Appliquant ces principes au cas à l'étude, j'estime qu'il s'agit d'un cas flagrant d'abandon par l'intimée de son véhicule et du contenu.
Pourchassée par la police, elle a choisi d'abandonner son véhicule plutôt que d'accepter les conséquences de ses actions illégales, s'en remettant au sort d'une découverte éventuelle du chargement. C'est comme si l'intimée s'était enfuie avec une mallette qu'elle aurait finalement laissé tomber sur le sol pour accélérer sa fuite: alors de la même façon il faudrait considérer qu'elle a abandonné son bien et son droit d'en contrôler l'accès au profit de l'État.
En conséquence de cet abandon, l'intimée ne pouvait donc invoquer la violation d'un droit auquel elle ne pouvait plus prétendre. La fouille et la saisie n'ont donc pas porté atteinte à un droit de l'intimée et la preuve obtenue était donc admissible. Pour ce motif, le jugement d'acquittement doit donc être cassé, puisque le ministère public n'avait offert que cette preuve au procès.
Par ailleurs, même si on devait considérer autrement l'intervention policière et y voir une violation de l'art. 8, je conclurais qu'alors la preuve ne devait pas être exclue en application du par. 24(2) de la Charte.
En effet, dans l'arrêt Stillman, supra, la Cour Suprême a insisté dans l'analyse de l'équité du procès comme premier des trois facteurs à examiner en regard du par. 24(2), sur la nécessité de qualifier au départ l'élément de preuve obtenu, selon qu'il a été obtenu ou non en mobilisant l'accusé contre lui-même, c'est-à-dire, s'il dépend ou non de la participation de l'accusé.
Si l'élément de preuve a été obtenu en mobilisant l'accusé contre lui-même, l'admission de cette preuve rendrait le procès inéquitable. Par contre, si la preuve est qualifiée de preuve non obtenue en mobilisant l'intimée contre elle-même, ce qui est évidemment le cas en l'espèce puisqu'elle a choisi de fuir en laissant son véhicule entre les mains de la police, alors s'impose l'obligation de considérer les deuxième et troisième facteurs, soit la gravité de la violation et l'effet de l'exclusion.
Le policier, dans les circonstances, était justifié de procéder à la fouille. Certes, il ignorait les motifs de la fuite de l'intimée mais avait certes raison de soupçonner que la fuite était liée à d'autres motifs que celui d'échapper à sa responsabilité pour des infractions au Code de la sécurité routière. À l'exemple des commentaires que faisait le juge A. Martin dans l'arrêt R. v. Chapin (1983), 1983 CanLII 1811 (ON CA), 7 C.C.C. (3d) 538 (C.A.Ont.), relativement à une situation semblable au cas à l'étude, il y a plutôt lieu de se demander si c'est l'inaction policière qui n'aurait pas été plutôt condamnable dans un tel cas.
Quoi qu'il en soit, la fouille a eu lieu en relevant la couverture, mais dans la boîte ouverte du camion abandonné volontairement, portière ouverte, sur une route publique: je réfère ici aux arrêts Mackay, Sibbeston, Spinelli et Pruim. On ne saurait donc conclure à une violation grave. Enfin, compte tenu de l'ensemble des circonstances ayant mené à la fouille, de la nature de la preuve saisie et son importance en regard de la preuve du ministère public, je suis d'avis que c'est l'exclusion de cette preuve qui serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.
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