R. c. Breault, 2023 CSC 9
[29] Il importe de s’attarder au sens de deux mots que l’on retrouve à la disposition sous étude : « fournir » et « immédiatement ». « Fournir » signifie « [f]aire avoir » quelque chose à quelqu’un (Le Petit Robert (nouv. éd. 2023), p. 1088). « Immédiatement » veut dire « [à] l’instant même, tout de suite » (Woods, par. 13, citant Le Nouveau Petit Robert (2003), p. 1312; voir aussi R. c. Grant, 1991 CanLII 38 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 139, p. 150).
[30] Selon le sens ordinaire et grammatical de ces termes, le conducteur détenu en vertu de l’al. 254(2)b) C. cr. doit « faire avoir » un échantillon d’haleine à l’agent de la paix « [à] l’instant même, tout de suite ». Par ailleurs, selon le libellé de la disposition, cet échantillon doit être « nécessaire à la réalisation d’une analyse convenable » à l’aide d’un ADA.
[31] Partant, et contrairement à ce prétend le ministère public, le mot « immédiatement » qualifie l’ordre auquel doivent obéir les conducteurs. En effet, les conducteurs interceptés « sont tenus par le par. 254(2) d’obtempérer immédiatement » (Woods, par. 45). Ils n’ont pas le loisir de fournir l’échantillon quand bon leur semble.
[32] Certes, le mot « immédiatement » comprend implicitement un délai d’ordre opérationnel, car l’agent « doit préparer le matériel et indiquer au suspect ce qu’il doit faire » (Bernshaw, par. 64). Toutefois, ce n’est pas ce type de délai qui est en cause en l’espèce, mais plutôt le délai relatif à la livraison d’un appareil sur les lieux.
[38] Le 21 juin 2018, la Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport) et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, L.C. 2018, c. 21, reçoit la sanction royale. Par cette loi, le Parlement abroge les art. 249 à 261 du Code criminel et introduit les art. 320.11 à 320.4, lesquels sont entrés en vigueur le 18 décembre 2018.
[39] Pour l’essentiel, le libellé de l’al. 320.27(1)b) C. cr. est analogue à celui de l’al. 254(2)b) C. cr. L’alinéa 320.27(1)b) C. cr. prévoit que l’agent de la paix qui a des motifs raisonnables de soupçonner qu’une personne a de l’alcool dans son organisme et qu’elle a conduit un moyen de transport dans les trois heures précédentes peut lui ordonner de fournir immédiatement les échantillons d’haleine qu’il estime nécessaires à la réalisation d’une analyse convenable à l’aide d’un ADA. Aux termes du par. 320.15(1) C. cr., quiconque, sans excuse raisonnable, omet ou refuse d’obtempérer à un tel ordre, s’expose à des sanctions criminelles.
[40] L’une des distinctions entre le nouveau régime et l’ancien est le par. 320.27(2) C. cr., lequel autorise le dépistage aléatoire des conducteurs par l’agent de la paix ayant en sa possession un ADA et agissant dans l’exercice légitime de ses pouvoirs, et ce, même en l’absence de motifs raisonnables de soupçonner la présence d’alcool dans l’organisme du conducteur interpellé.
[41] Selon l’argument du ministère public, puisque l’al. 254(2)b) C. cr. ne requiert pas explicitement que les agents de la paix aient en leur possession un ADA lorsqu’ils formulent l’ordre, le mot « immédiatement » ne doit pas être interprété comme ayant, dans les faits, créé une obligation en ce sens. Devant nous, l’appelant a invité notre Cour à voir dans le nouveau régime un « indice » que le législateur fédéral a pris acte de la jurisprudence de certaines cours d’appel du pays qui tolère des délais de plusieurs minutes, et n’a pas voulu la répudier. Je suis d’avis que cet argument doit être rejeté, pour deux raisons.
[42] Premièrement, l’évolution législative subséquente, soit les modifications apportées à la version d’une disposition en vigueur au moment des faits, « ne peut jeter aucune lumière sur l’intention du législateur, qu’il soit fédéral ou provincial » quant à cette version antérieure aux modifications (États‑Unis d’Amérique c. Dynar, 1997 CanLII 359 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 462, par. 45; voir aussi Banque de Montréal c. Marcotte, 2014 CSC 55, [2014] 2 R.C.S. 725, par. 78). Comme le précise le par. 45(3) de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, c. I‑21, « [l]’abrogation ou la modification, en tout ou en partie, d’un texte ne constitue pas ni n’implique une déclaration sur l’état antérieur du droit. » Dans le même ordre d’idées, le par. 45(4) de la Loi d’interprétation ajoute que « [l]a nouvelle édiction d’un texte, ou sa révision, refonte, codification ou modification, n’a pas valeur de confirmation de l’interprétation donnée, par décision judiciaire ou autrement, des termes du texte ou de termes analogues. »
[43] Même dans l’hypothèse où la conservation du mot « immédiatement » au par. 320.27(1) C. cr. (le mot « forthwith » a été remplacé par « immediately » dans la version anglaise) pourrait être vue comme une confirmation de l’interprétation que lui ont donnée les tribunaux (et qu’est présumé connaître le législateur), ce corpus jurisprudentiel est composé, au premier chef, des arrêts Thomsen, Grant, Bernshaw et Woods de notre Cour qui interprètent ce mot conformément à son sens ordinaire, sauf dans des circonstances inhabituelles (motifs de la C.A., par. 67 in fine). Comme le souligne à juste titre le juge Doyon dans ses motifs, si le Parlement souhaitait s’éloigner de cette interprétation, il lui était loisible d’employer d’autres termes — tels que « dès que raisonnablement possible » ou « dans les meilleurs délais » (par. 68). Pourtant, il ne l’a pas fait.
[44] Deuxièmement, et plus important encore, il existe une différence conceptuelle entre l’exigence de possession prévue au par. 320.27(2) C. cr. et l’exigence d’immédiateté, laquelle est relative à la temporalité. D’ailleurs, le mot « immédiatement » figure aussi au par. 320.27(2) C. cr. Il s’ensuit que les enseignements du présent arrêt relatifs à l’interprétation de l’exigence d’immédiateté contenue à l’al. 254(2)b) C. cr. s’appliquent à l’interprétation du mot « immédiatement » figurant à l’al. 320.27(1)b) C. cr.
[47] Le sens ordinaire du mot « immédiatement » s’accorde avec l’objet de l’al. 254(2)b) C. cr. et le contexte dans lequel s’inscrit cette disposition. D’ailleurs, la jurisprudence de notre Cour a constamment interprété ce mot en lui attribuant ce sens précis sous réserve de circonstances inhabituelles. Par exemple, dans l’arrêt Grant, notre Cour refuse d’interpréter le mot « immédiatement » comme permettant un délai de 30 minutes pour la livraison d’un ADA sur les lieux d’une interception (voir aussi Thomsen, p. 653‑655; Woods, par. 13 et 43‑44).
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