vendredi 8 septembre 2023

Les circonstances inhabituelles permettant une interprétation souple du mot « immédiatement »

R. c. Breault, 2023 CSC 9

Lien vers la décision

[53]                          La Cour d’appel du Québec se dirige bien en droit lorsqu’elle indique que des circonstances inhabituelles liées à l’utilisation de l’ADA ou à la fiabilité du résultat qui sera généré peuvent justifier une interprétation souple du mot « immédiatement » figurant à l’al. 254(2)b) C. cr.

[54]                          Comme je l’ai mentionné, pour les besoins du présent pourvoi, il n’est ni nécessaire ni souhaitable d’identifier dans l’abstrait et exhaustivement les circonstances pouvant être qualifiées d’inhabituelles et pouvant justifier une interprétation souple de l’exigence d’immédiateté. Il est préférable que celles‑ci soient identifiées au cas par cas, à la lumière des faits propres à chaque affaire. Cependant, afin de guider les tribunaux d’instance inférieure dans cet examen, il importe de tracer des lignes directrices.

[55]                          Premièrement, le fardeau de démontrer l’existence de circonstances inhabituelles repose sur le ministère public.

[56]                          Deuxièmement, comme dans l’arrêt Bernshaw, les circonstances inhabituelles doivent être identifiées eu égard au texte de la disposition (Piazza, par. 82). Ceci permet de préserver l’intégrité constitutionnelle de la disposition en faisant en sorte que les tribunaux n’élargissent pas indûment le sens ordinaire strictement réservé au mot « immédiatement ».

[57]                          Tout comme la disposition en cause dans l’arrêt Bernshaw, l’al. 254(2)b) C. cr. prévoit que l’échantillon recueilli doit être nécessaire à la réalisation d’une « analyse convenable », ce qui ouvre la porte à des délais causés par des circonstances inhabituelles relatives à l’utilisation de l’appareil ou à la fiabilité du résultat.

[58]                          Ceci dit, les tribunaux pourraient reconnaître des circonstances inhabituelles autres que celles directement liées à l’utilisation de l’ADA ou à la fiabilité du résultat qui sera généré. Par exemple, dans l’optique où la procédure de détection d’alcool au volant vise d’abord et avant tout à assurer la sécurité de tous, des circonstances relatives à l’urgence d’assurer la sécurité du public ou celle des agents de la paix pourraient être reconnues.

[59]                          Troisièmement, les circonstances inhabituelles ne peuvent être le résultat de considérations budgétaires ou d’efficacité pratique. Une interprétation souple de l’exigence d’immédiateté ne peut être justifiée par l’importance des fonds publics devant être affectés à l’approvisionnement des forces policières en ADA, ou par le temps requis pour former des agents à leur utilisation. De telles considérations utilitaires n’ont rien d’inhabituel. Le lot quotidien de tout gouvernement consiste à allouer des ressources budgétaires limitées (Conseil scolaire francophone de la Colombie‑Britannique c. Colombie‑Britannique2020 CSC 13, [2020] 1 R.C.S. 678, par. 153).

[60]                          Quatrièmement, l’absence d’un ADA sur les lieux au moment de la formulation de l’ordre ne constitue pas en soi une circonstance inhabituelle.

[66]                          Rien dans l’al. 254(2)b) C. cr. n’indique que le Parlement avait l’intention de créer la présomption de validité que propose le ministère public. Cela étant dit, les agents de la paix qui n’ont pas d’ADA avec eux lorsqu’ils interceptent un automobiliste soupçonné d’avoir de l’alcool dans son organisme ne sont pas entièrement dépourvus de moyens. En effet, ils peuvent requérir de l’automobiliste qu’il effectue des tests de coordination comme le permet l’actuel al. 320.27(1)a) C. cr. De même, ces agents disposent des pouvoirs de common law en matière de vérification de sobriété. Lorsque cela est raisonnable et nécessaire, ils peuvent notamment questionner un conducteur légalement intercepté sur sa consommation préalable d’alcool ou lui demander de se soumettre à des épreuves physiques autres que celles prévues dans le Code criminel (R. c. Orbanski2005 CSC 37, [2005] 2 R.C.S. 3, par. 43‑49Leclerc c. R.2022 QCCA 365, par. 45‑48 (CanLII)).

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