R. c. N.S., 2024 QCCA 876
[9] La seule question qui subsiste est de savoir si le juge a erré dans son analyse du quatrième critère du test de Wigmore, qui consiste à se demander si l’intérêt public de protéger les communications faites dans un contexte hospitalier l’emporte sur celui de favoriser la recherche de la vérité dans le cadre d’un procès criminel. Plus précisément, la Cour doit déterminer si le juge a indûment limité son analyse en ce qui concerne l’intérêt public dans la recherche de la vérité en affirmant que, même si les aveux étaient exclus, il existait d’autres éléments de preuve permettant la tenue du procès criminel.
[27] La confidentialité est en effet « essentielle à la continuité et à l’efficacité des rapports thérapeutiques entre un psychiatre et le patient qui le consulte pour des problèmes psychiatriques »[21]. De plus, la santé mentale « représente un intérêt public d’une grande importance »[22], je dirais même d’une importance cruciale. En l’espèce, le fait de ne pas protéger la confidentialité des communications entre une patiente et l’équipe traitante en psychiatrie risquerait d’avoir un effet dissuasif sur la capacité d’autres personnes souffrant de conditions similaires d’obtenir les traitements nécessaires et sur celle des psychiatres et de l’équipe hospitalière de fournir ces traitements[23].
[28] Il existe également des considérations importantes liées à la protection de la vie privée des patients, découlant tant des valeurs pertinentes qui sous-tendent la Charte canadienne des droits et libertés[24], que de celles qui sont directement applicables selon la Charte des droits et libertés de la personne[25], laquelle garantit le droit à la vie privée[26]. À cela s’ajoutent les multiples dispositions législatives garantissant aux patients la confidentialité dans le cadre de relations médicales ou thérapeutiques avec le personnel hospitalier ou de l’obtention de services de santé et de services sociaux[27].
[29] Le juge considère que les confidences de l’intimée aux intervenants ont été faites dans un cadre thérapeutique en milieu hospitalier[28] et qu’il existe un important intérêt public à la protection des communications entre la patiente et ces intervenants. La candeur des communications de la patiente avec les intervenants hospitaliers était essentielle, selon la preuve, pour établir le plan de traitement de l’intimée, mais également pour juger de sa dangerosité pour elle-même (rappelons qu’elle avait précédemment été évaluée pour des pensées suicidaires et qu’elle a fait des verbalisations suicidaires le soir de l’incendie) ou pour la victime et le public en général.
[30] Dans l’arrêt Chatillon c. R.[29], notre Cour considérait justement la question de la production en preuve, dans le cadre d’un procès criminel, de verbalisations faites par l’accusé dans un contexte thérapeutique. Tant le juge Vauclair, pour la majorité, que le juge Mainville, dissident, faisaient mention de l’intérêt public visant à assurer la préservation du caractère confidentiel et privilégié des rapports entre un médecin et un patient ou entre un thérapeute et un patient dans le cadre d’une démarche thérapeutique entreprise de bonne foi[30]. Le juge Vauclair écrivait que, de ne pas reconnaître le privilège dans cette affaire découragerait les personnes aux prises avec des problématiques psychiatriques graves « de rechercher l’aide requise par leur état »[31]. Le juge Mainville s’exprimait dans le même sens en indiquant que « l’on peut douter de l’admissibilité, dans un procès criminel, d’aveux énoncés de façon confidentielle dans le cadre d’une démarche thérapeutique »[32]. Cependant, le juge Mainville a conclu que, dans ce cas précis, l’appelant avait consenti à la divulgation de ses aveux, notamment aux forces de l’ordre, et qu’il avait donc explicitement renoncé au caractère confidentiel de ceux-ci[33]. C’est ce que retient la Cour suprême, en accueillant l’appel[34].
[31] En l’espèce toutefois, comme discuté précédemment, il n’y a eu ni consentement de l’intimée à la divulgation des communications par les intervenants hospitaliers, sauf pour des fins très restreintes n’ayant pas de réelle incidence ici, ni renonciation à leur confidentialité. De fait, le juge conclut que sans la garantie de confidentialité des communications échangées avec les intervenants hospitaliers, l’intimée n’aurait jamais parlé des événements pouvant l’incriminer.
[32] Il est indéniable que les infractions criminelles en cause sont objectivement très graves. L’infraction d’incendie criminel constituant un danger pour la vie humaine est punissable de l’emprisonnement à perpétuité et celle d’incendie criminel causant des dommages matériels est punissable de 14 ans d’emprisonnement[35]. Il est aussi manifeste que les pertes et les conséquences subies par la victime ont été considérables. Il faut en outre considérer que, selon la position exprimée par le ministère public, la preuve des aveux était essentielle pour obtenir une condamnation dans le dossier de l’intimée.
[33] Malgré cela, selon les faits particuliers de cette affaire, en faisant preuve de bon sens et de discernement[36], il m’apparaît que, comme le conclut le juge de première instance, dans l’intérêt public général, le maintien de la confidentialité des communications entre la patiente et le personnel hospitalier lors de son hospitalisation psychiatrique prime sur la recherche de la vérité dans le cadre du procès criminel en cause. J’ajouterais que ce constat prévaut même si, dans la présente affaire, la possibilité de tenir un procès criminel est fortement compromise.
[34] Il était essentiel que l’intimée, qui a été admise à l’urgence psychiatrique dans un état de désorganisation comportementale, en faisant des verbalisations suicidaires et en présentant un important potentiel de dangerosité pour le public, puisse faire part des faits à la source de son hospitalisation et de son état d’esprit aux intervenants responsables de sa prise en charge avec toute la candeur nécessaire.
[35] Ceci était impératif, non seulement pour qu’elle puisse obtenir des traitements médicaux appropriés, mais également pour que le potentiel de dangerosité qu’elle présente pour elle-même ou pour autrui, incluant la victime dans le présent dossier, puisse être évalué adéquatement et exhaustivement. Il n’existait pas ici de danger pressant à la vie ou à la sécurité d’autrui nécessitant une divulgation immédiate[37].
[36] Comme énoncé précédemment, ne pas reconnaître le privilège au cas par cas dans la présente affaire pourrait décourager les personnes aux prises avec des problématiques psychiatriques graves de requérir l’aide médicale requise par leur état[38].
[37] Il en va de la protection de la vie et de la santé de patients psychiatriques qui se présentent souvent dans les hôpitaux dans un état de grande vulnérabilité[39]. Il en va également de la protection du public en général, qui s’attend à ce que les personnes potentiellement instables ou dangereuses en raison de leur état psychiatrique soient traitées et, si requis, hébergées en établissement le temps qu’il faudra pour améliorer leur état et neutraliser leur potentiel de dangerosité.