mercredi 24 juillet 2024

L’actus reus & la mens rea de l'infraction de conduite dangereuse

R. c. Roy, 2012 CSC 26

Lien vers la décision


[33]                          Selon l’arrêt Beatty, l’actus reus de la conduite dangereuse est celui décrit à l’al. 249(1)a) du Code, c’est-à-dire conduire « d’une façon “dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances,  y compris la nature et l’état du lieu, l’utilisation qui en est faite ainsi que l’intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu” » (par. 43).

[34]                          Pour déterminer si l’actus reus a été établi, il faut déterminer si la façon de conduire était objectivement dangereuse pour le public dans les circonstances.  L’enquête doit être axée sur les risques créés par la façon de conduire de l’accusé, et non sur les conséquences, comme un accident dans lequel il aurait été impliqué.  Comme l’a déclaré la juge Charron au par. 46 de Beatty, « [l]e tribunal ne doit pas tirer de conclusion hâtive au sujet de la façon de conduire en se fondant sur la conséquence.  Il doit procéder à un examen sérieux de la façon de conduire » (je souligne).  Une façon de conduire peut à juste titre être qualifiée de dangereuse lorsqu’elle met en danger le public.  L’élément pertinent, c’est le risque de dommage ou de préjudice qu’engendre la façon de conduire, non les conséquences d’un accident ultérieur.  Dans cet examen portant sur la façon de conduire, il importe de se rappeler que la conduite est une activité fondamentalement dangereuse, mais elle n’en est pas moins une activité légale dotée d’une valeur sociale (Beatty, par. 31 et 34).  Les accidents résultant de la matérialisation des risques inhérents à la conduite d’un véhicule ne devraient habituellement pas entraîner des déclarations de culpabilité.

[35]                          En résumé, l’analyse relative à l’actus reus de l’infraction doit porter sur la façon de conduire le véhicule à moteur.  Le juge des faits ne doit pas simplement tirer de conclusions sur la façon dangereuse de conduire en se fondant sur les conséquences.  Il doit procéder à un examen sérieux de la façon de conduire.

         (4)     La mens rea

[36]                          L’analyse relative à la mens rea doit être centrée sur la question de savoir si la façon dangereuse de conduire résultait d’un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation (Beatty, par. 48).  Il est utile d’aborder le sujet en posant deux questions.  La première est de savoir si, compte tenu de tous les éléments de preuve pertinents, une personne raisonnable aurait prévu le risque et pris les mesures pour l’éviter si possible.  Le cas échéant, la deuxième question est de savoir si l’omission de l’accusé de prévoir le risque et de prendre les mesures pour l’éviter si possible constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé.

[37]                          La simple imprudence que même les conducteurs les plus prudents peuvent à l’occasion commettre n’est généralement pas criminelle.  Tel qu’indiqué précédemment, la juge Charron a formulé ainsi cette idée au nom des juges majoritaires dans l’arrêt Beatty : « [s]’il faut considérer comme une infraction criminelle chaque écart par rapport à la norme civile, quelle qu’en soit la gravité, on risque de ratisser trop large et de qualifier de criminelles des personnes qui en réalité ne sont pas moralement blâmables » (par. 34).  La Juge en chef a exprimé un point de vue semblable : « même les bons conducteurs ont à l’occasion des moments d’inattention qui peuvent, selon les circonstances, engager leur responsabilité civile ou donner lieu à une condamnation pour conduite imprudente.  Mais en général, ces moments d’inattention ne vont pas jusqu’à l’écart marqué requis pour justifier une déclaration de culpabilité pour conduite dangereuse » (par. 71).

[38]                          L’exigence minimale en matière de faute réside dans l’écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation — un critère objectif modifié.  L’application de ce critère objectif modifié signifie que, bien que la personne raisonnable soit placée dans la situation de l’accusé, la preuve des qualités personnelles de l’accusé (telles que son âge, son expérience et son niveau d’instruction) n’est pas pertinente, sauf si elles visent son incapacité d’apprécier ou d’éviter le risque (par. 40).  Certes, la preuve d’une mens rea subjective — c’est-à-dire, conduire délibérément de façon dangereuse — justifierait une déclaration de culpabilité pour conduite dangereuse, mais cette preuve n’est pas requise (la juge Charron, par. 47; voir aussi la juge en chef McLachlin, par. 74-75, et le juge Fish, par. 86).

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