vendredi 10 janvier 2025

Ce que sont les crédits « Duncan » & « Summers »

Gauthier c. R., 2023 QCCA 1283

Lien vers la décision


[164]   Le poursuivant soutient que l’article 719 C.cr. n’autorise pas le juge à dépasser le plafond prévu dans cette disposition, car l’intention législative clairement exprimée au paragraphe 719(3.1) C.cr. est de limiter le crédit majoré à un ratio de 1,5 : 1. Au soutien de sa position, le poursuivant invoque l’arrêt Summers rendu par la Cour suprême :

[52]      Le législateur a clairement voulu restreindre le temps alloué pour la détention présentencielle, comme l’atteste l’établissement du maximum d’un jour et demi de crédit pour chaque jour de détention. […]

[…]

[57]      Il semble plus vraisemblable que le législateur ait eu l’intention de faire ce qu’il a fait explicitement. Les modifications établissent clairement un ratio maximum, à savoir un jour et demi contre un. […][79]

[Soulignements ajoutés; italiques dans l’original]

[165]   Avant de m’attaquer à la question en litige, je souhaite insister sur l’importance de ne pas confondre les facteurs pertinents à la détermination de la peine avec les circonstances qui permettent l’application d’un crédit pour fixer la durée effective de la peine à infliger.

[166]   Dans le premier cas, il s’agit de facteurs retenus par le juge de la peine tirés des principes directeurs énoncés dans le Code criminelDans le cadre de la détermination de la peine, le juge peut aussi tenir compte de tous autres facteurs pertinents, comme lorsque le délinquant a subi des conditions de détention particulièrement difficiles en raison de sa condition personnelle ou par suite de conditions exceptionnelles vécues durant sa réclusion. À ce stade, l’exercice relève toujours de la détermination de la peine où plusieurs facteurs (aggravants, atténuants et pertinents) sont mis en balance pour en arriver à une peine qui, de l’avis d’un juge, est juste, appropriée et indiquée.

[167]   La Cour d’appel de l’Ontario a déjà fait écho à certains facteurs pertinents dans l’arrêt Duncan[80], qu’une certaine jurisprudence a par la suite qualifié de « crédit Duncan »[81].

[168]   Dans le second cas, le juge est cette fois appelé, dans le cadre d’un exercice discrétionnaire, à prendre en compte le temps passé sous garde pour fixer la durée véritable et effective de la peine. On décrit souvent cette opération comme étant la soustraction d’un « crédit » pour le temps passé sous garde par suite de l’infraction. À ce stade, il s’agit de la déduction d’une période faite à partir de la peine juste et appropriée que le juge a préalablement déterminée. Cette déduction, aussi appelée « crédit Summers »[82], est plafonnée par le législateur à un ratio de 1 : 1,5 jour.

[169]   Cette distinction étant faite, je suis évidemment d’accord pour dire que, parmi les facteurs retenus dans le but de déterminer une peine juste et indiquée, il est loisible au juge de la peine de considérer des facteurs pertinents qui ne se sont pas expressément mentionnés parmi les principes directeurs énumérés dans le Code criminel[83].

[170]   Je suis toutefois en désaccord avec l’idée d’accorder une valeur chiffrée à des facteurs pertinents pour ensuite se livrer à un exercice mathématique de soustraction et d’addition dans le but de déterminer une peine juste et indiquée[84].

[171]   D’ailleurs, subséquemment à l’arrêt Duncan, la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Marshall apporte d’importantes nuances sur la portée même du concept de « crédit Duncan » :

[52]      The “Duncan” credit is not a deduction from the otherwise appropriate sentence, but is one of the factors to be taken into account in determining the appropriate sentence. Particularly punitive pretrial incarceration conditions can be a mitigating factor to be taken into account with the other mitigating and aggravating factors in arriving at the appropriate sentence from which the “Summers” credit will be deducted. Because the “Duncan” credit is one of the mitigating factors to be taken into account, it cannot justify the imposition of a sentence which is inappropriate, having regard to all of the relevant mitigating or aggravating factors.

[53]      Often times, a specific number of days or months are given as “Duncan” credit. While this quantification is not necessarily inappropriate, it may skew the calculation of the ultimate sentenceBy quantifying the “Duncan” credit, only one of presumably several relevant factors, there is a risk the “Duncan” credit will be improperly treated as a deduction from the appropriate sentence in the same way as the “Summers” creditIf treated in that way, the “Duncan” credit can take on an unwarranted significance in fixing the ultimate sentence imposed. Arguably, that is what happened in this case, where on the trial judge’s calculations, the “Duncan” credit devoured three-quarters of what the trial judge had deemed to be the appropriate sentence but for pretrial custody.[85]

[Renvoi omis; soulignements ajoutés]

[172]   Pour les raisons exprimées dans cet arrêt, je ne suis pas enclin à utiliser l’expression « crédit Duncan ». De plus, quantifier tous les facteurs atténuants, aggravants et pertinents, à l’instar d’un exercice comptable où l’on soustrait le passif de l’actif, me paraît contraire[86] à l’esprit même du processus de détermination et d’élaboration d’une peine juste, appropriée et indiquée[87].

[173]   L’arrêt Marshall précise bien que le « crédit Duncan » est « one of the factors to be taken into account in determining the appropriate sentence »[88]. Au stade de la détermination d’une peine juste et indiquée, j’estime préférable de tout simplement inclure ce facteur parmi les facteurs pertinents, sans autrement le qualifier[89]. L’expression « facteurs pertinents » est d’ailleurs reprise par notre Cour dans l’arrêt Émond :

[41]      Il importe d’insister sur cette distinction entre les facteurs aggravants et atténuants au sens strict par rapport au principe de proportionnalité et la vaste étendue des autres considérations et facteurs pertinents au résultat final d’une peine indiquée. Le respect du principe fondamental de la proportionnalité de la peine est essentiel à toute peine et une erreur à cet égard justifiera plus aisément l’intervention en appel puisqu’il s’agit alors d’une erreur de principe. Les facteurs extrinsèques à l’évaluation de la proportionnalité entrent inévitablement dans la discrétion du juge qui impose la peine, car leur pertinence et pondération les prêtent moins à une évaluation objective. L’appréciation de ces facteurs dans la détermination d’une peine indiquée relève de la discrétion du juge qui impose la peine et mérite la déférence des cours d’appel à moins que la peine infligée ne soit manifestement non indiquée.[90]

[Soulignement ajouté]

[174]   En l’espèce, les motifs du juge font clairement voir que le crédit Covid intervient après avoir soupesé les facteurs atténuants et aggravants qui ont servi à déterminer la peine à neuf ans d’emprisonnement. En somme, le « crédit Covid supplémentaire » consenti par le juge n’intervient qu’au stade de l’infliction de la peine (à l’instar du « crédit Summers ») et non à l’étape de sa détermination (à l’instar d’un crédit dit « Duncan »).

[175]   La possibilité d’une erreur dans l’appréciation d’un facteur pertinent lié aux conditions sanitaires prévalant lors de la détention provisoire de l’intimé ne se pose donc pas à l’égard de la justesse de la peine totale de neuf ans.

[176]   De toute façon, le juge ne s’est pas vu présenter une preuve directe, individualisée et propre à l’intimé en ce qui a trait à « both the conditions of the presentence incarceration and the impact of those conditions on the accused »[91]. D’ailleurs, le juge reconnaît lui-même que « [l]e Tribunal ne connaît pas l’impact précis sur l’accusé des mesures prises par les autorités carcérales relativement à la Covid »[92].

[177]   Ce qui m’amène à la seule véritable question en litige, soit celle de décider si le juge pouvait pour quelques raisons dépasser le plafond législatif prévu au paragraphe 719(3.1) C.crÀ cette question, je réponds par la négative.

[178]   La Cour suprême décrit en ces termes la démarche analytique applicable aux paragraphes 719(3) et (3.1) C.cr. :

[70]      Pour calculer le crédit que justifie la détention présentencielle, le tribunal peut allouer au plus un jour et demi par jour passé sous garde si les circonstances le justifientLa loi établit désormais un maximum, mais la démarche analytique de la Cour dans Wust demeure par ailleurs valable. Le tribunal doit continuer d’accorder un crédit du point de vue quantitatif afin de refléter la perte subie aux fins de l’admissibilité à la libération anticipée et à la libération conditionnelle pendant la détention présentencielle, ainsi que du point de vue qualitatif afin de compenser la dureté relative des conditions de détention.

[71]      À elle seule, la perte subie aux fins de l’admissibilité à la libération anticipée suffit habituellement à justifier l’octroi d’un crédit à raison d’un jour et demi contre un, même lorsque les conditions de détention n’ont pas été spécialement dures et que la libération conditionnelle est peu probable. Certes, un ratio inférieur peut être indiqué lorsque la détention résulte de l’inconduite du délinquant, ou qu’il est peu probable que ce dernier soit libéré avant terme ou conditionnellement. Lorsque les exceptions prévues au par. 719(3.1) écartent son application, le ratio ne peut être que d’un jour contre un. De plus, l’art. 719 n’entre en jeu que dans le cas où la détention présentencielle résulte de l’infraction pour laquelle le délinquant est condamné à une peine.[93]

[Soulignements ajoutés]

[179]   Ces enseignements ne prévoient pas la possibilité d’étendre la discrétion du juge au-delà de ce que le législateur a prévu au paragraphe 719(3) C.cr.

[180]   Le crédit mentionné dans cette disposition n’est pas autre chose qu’un exercice de déduction effectué a posteriori, c’est-à-dire après la détermination de la peine. Plus précisément, il consiste en une période retranchée de la peine juste et indiquée. Le temps passé en détention provisoire est donc réputé faire partie de la peine infligée après la déclaration de culpabilité.

[181]   En l’espèce, le juge n’avait pas le pouvoir de consentir un crédit se situant au-delà de ce que la loi prévoit déjà, c’est-à-dire un crédit qui ne peut dépasser un jour et demi pour chaque jour passé sous garde.

[182]   Le juge a donc commis une erreur de principe en outrepassant les dictats de l’article 719 C.cr. Cette erreur a eu une incidence sur la peine au point de la réduire indûment de 195,5 jours. La Cour est donc autorisée à intervenir de façon circonscrite[94], comme le demande le poursuivant, et de casser le crédit « Covid » illégalement octroyé à l’intimé.

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