R. c. Cleghorn, 1995 CanLII 63 (C.S.C.)
La communication de l'alibi doit réunir deux conditions: elle doit être suffisante et être présentée en temps opportun. L'omission de communiquer correctement un alibi a pour conséquence que le juge des faits peut tirer une conclusion défavorable dans l'appréciation de la preuve d'alibi au procès. La communication insuffisante peut seulement affaiblir la preuve de l'alibi; elle ne peut exclure l'alibi.
Ainsi, l'omission de communiquer correctement un alibi a pour conséquence que le juge des faits risque de tirer une conclusion défavorable dans l'appréciation de la preuve d'alibi présentée au procès
La règle tient à la commodité et vise à fermer la porte aux alibis‑surprises fabriqués à la barre des témoins. Elle a été adaptée en fonction de normes de la Charte canadienne des droits et libertés, de sorte que la communication est suffisante si elle permet à la poursuite et à la police de vérifier la preuve de l'alibi avant le procès.
Le caractère suffisant et l'opportunité sont donc évalués au regard de la question de savoir si une vérification utile aurait pu être faite par suite de la communication. Il n'est pas exigé que la communication soit faite le plus tôt possible, ni qu'elle soit faite par l'accusé lui‑même. La communication par un tiers suffit.
3 En l'espèce, il s'agit de savoir si la défense d'alibi invoquée par l'accusé au procès a été correctement communiquée au ministère public. Comme l'a expliqué mon collègue, pour être correcte, la communication de l'alibi doit réunir deux conditions: elle doit être suffisante et être présentée en temps opportun. Ce principe a récemment été réitéré dans l'arrêt R. c. Letourneau 1994 CanLII 445 (BC C.A.), (1994), 87 C.C.C. (3d) 481 (C.A.C.‑B.), où le juge Cumming a écrit au nom de la cour à l'unanimité, à la p. 532:
[traduction] Il est établi en droit que la communication de la défense d'alibi doit respecter deux conditions:
a)elle doit être faite suffisamment tôt pour permettre aux autorités de la vérifier
b)elle doit être suffisamment précise pour permettre aux autorités de la vérifier de façon utile
Si l'omission de communiquer l'existence d'un alibi n'annule pas la défense, elle risque d'affaiblir la valeur que le juge des faits lui accordera . . .
4 Ainsi, l'omission de communiquer correctement un alibi a pour conséquence que le juge des faits risque de tirer une conclusion défavorable dans l'appréciation de la preuve d'alibi présentée au procès (Russell c. The King (1936), 67 C.C.C. 28 (C.S.C.), à la p. 32). Cependant la communication insuffisante peut seulement affaiblir la preuve de l'alibi; elle ne peut exclure l'alibi.
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lundi 13 juillet 2009
samedi 11 juillet 2009
Droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit ‑‑ Services gratuits d'avocats de garde
R. c. Bartle, 1994 CanLII 64 (C.S.C.)
Il existe une obligation d'informer les personnes détenues de l'existence de services d'avocats de garde.
L'alinéa 10b) impose trois obligations aux représentants de l'État: informer la personne détenue de son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat, lui donner la possibilité raisonnable d'exercer ce droit et s'abstenir de l'interroger jusqu'à ce qu'elle ait eu cette possibilité raisonnable.
La première obligation touche à l'information. Les deuxième et troisième sont des obligations de mise en application qui ne prennent naissance que si la personne détenue indique qu'elle veut exercer son droit à l'assistance d'un avocat. Le droit à l'assistance d'un avocat garanti par l'al. 10b) n'est pas absolu. À moins que la personne détenue ne fasse valoir son droit et qu'elle ne l'exerce avec diligence, l'obligation correspondante des policiers de lui donner la possibilité raisonnable de l'exercer et de s'abstenir de tenter de lui soutirer des éléments de preuve, soit ne prendra pas naissance, soit sera suspendue.
La personne détenue peut renoncer aux droits garantis par l'al. 10b), mais la norme est stricte, surtout lorsque la renonciation alléguée a été implicite. Le volet information du droit à l'assistance d'un avocat doit donc avoir une portée large et les policiers doivent donner les renseignements «promptement et d'une manière compréhensible». À moins d'être clairement et complètement informées de leurs droits dès le début, les personnes détenues ne sauraient faire des choix et prendre des décisions éclairées quant à savoir si elles communiqueront avec un avocat et, en outre, si elles exerceront d'autres droits, comme celui de garder le silence.
Qui plus est, étant donné la règle selon laquelle, en l'absence de circonstances particulières indiquant que la personne détenue ne comprend pas la mise en garde prévue à l'al. 10b), les policiers ne sont pas tenus de s'assurer qu'elle comprend pleinement ses droits, il importe que la mise en garde type soit aussi instructive et claire que possible.
La jurisprudence a ajouté deux éléments au volet information: les renseignements sur l'accès à l'aide juridique et à des avocats de garde.
L'imposition d'exigences supplémentaires aux policiers en matière d'information est justifiée par la nécessité de réaliser l'objectif sous‑jacent du droit à l'assistance d'un avocat que garantit la Charte. Le volet information de l'al. 10b), c.‑à‑d. l'information donnée dans tous les cas aux personnes détenues et dont dépendent les obligations corrélatives de l'État, revêt un caractère essentiel.
L'arrêt R. c. Brydges énonce le principe que les autorités policières sont tenues d'informer les personnes en détention de l'existence dans leur province ou territoire de services d'aide juridique et d'avocats de garde. La mise en garde type faite en vertu de l'al. 10b) devrait comprendre des renseignements de base sur la façon d'avoir accès aux conseils juridiques préliminaires gratuits qui sont à la disposition de ces personnes. L'omission de donner ces renseignements constitue une violation de l'al. 10b).
Si les policiers ne se sont pas conformés à leurs obligations découlant de l'al. 10b), on n'a pas à se demander si la personne détenue a exercé son droit de se voir faciliter le recours à l'assistance d'un avocat (toutefois ces questions peuvent être pertinentes lorsqu'il faut décider s'il y a lieu d'écarter, conformément au par. 24(2) de la Charte, les éléments de preuve obtenus par suite de la violation de la Charte). La violation de l'al. 10b) est complète, sauf dans les cas de renonciation ou d'urgence, quand les représentants de l'État n'informent pas la personne détenue comme il se doit de son droit à l'assistance d'un avocat et ce, jusqu'à ce que cette omission ait été corrigée.
Pour qu'une renonciation à un droit procédural soit valide, il faut qu'il soit bien clair que la personne renonce au moyen de procédure conçu pour sa protection et qu'elle le fait en pleine connaissance des droits que cette procédure vise à protéger. Ce critère s'applique également aux droits garantis par la Charte. Dans le cas du volet information de l'al. 10b), pour qu'une personne renonçant au droit le fasse en «pleine connaissance», elle doit être déjà pleinement informée des renseignements qu'elle est en droit de recevoir. Si une personne détenue indique qu'elle ne désire pas entendre lecture des renseignements figurant sur la «mise en garde» habituelle donnée en vertu de l'al. 10b), ce fait ne constituera pas en soi une renonciation valide au volet information de l'al. 10b).
Lorsque les circonstances révèlent qu'une personne détenue ne comprend pas la mise en garde habituelle, les autorités doivent prendre des mesures additionnelles pour s'assurer qu'elle comprend ses droits en vertu de l'al. 10b) et les moyens qui lui permettront de les exercer. Par contre, il peut à l'occasion y avoir des cas où l'obligation des autorités de prendre des moyens raisonnables d'informer la personne détenue des droits que lui garantit l'al. 10b) sera respectée même s'il y a omission de certains éléments de la mise en garde habituelle. Cela sera possible seulement si la personne détenue renonce explicitement à son droit de recevoir la mise en garde habituelle et si les circonstances révèlent des motifs raisonnables de croire qu'elle connaît ses droits, les a invoqués et est au courant des moyens de les exercer.
Le fait qu'une personne détenue indique simplement qu'elle connaît ses droits n'établira pas en soi l'existence de motifs raisonnables de croire qu'elle en comprend pleinement l'ampleur ou qu'elle est au courant des moyens de les mettre en oeuvre. Il doit exister des motifs raisonnables de croire qu'une personne détenue qui renonce au volet information de l'al. 10b) est véritablement au courant de la totalité ou d'une partie des renseignements contenus dans la mise en garde habituelle. Dans ce cas, il peut ne pas y avoir violation de l'al. 10b) si l'on omet les renseignements en question dans la lecture de la mise en garde habituelle.
La norme relative à la renonciation au droit d'être informé est stricte. Compte tenu de l'importance du volet information dans l'atteinte des objectifs de l'al. 10b), on ne devrait reconnaître la validité d'une renonciation que dans les cas où il est évident que la personne détenue comprend pleinement les droits que lui garantit l'al. 10b) ainsi que les moyens qui lui sont offerts pour les exercer, et qu'elle invoque ces droits. En exigeant le respect de ces conditions, on s'assure qu'une renonciation au droit à l'assistance d'un avocat, qui suit une renonciation au droit d'être informé, est une décision prise en pleine connaissance de cause. Puisque les obligations d'informer que l'al. 10b) impose aux autorités de l'État ne sont pas écrasantes, il n'est pas déraisonnable d'insister pour que ces autorités dissipent toute incertitude quant à la connaissance que la personne détenue a de ses droits.
Il existe une obligation d'informer les personnes détenues de l'existence de services d'avocats de garde.
L'alinéa 10b) impose trois obligations aux représentants de l'État: informer la personne détenue de son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat, lui donner la possibilité raisonnable d'exercer ce droit et s'abstenir de l'interroger jusqu'à ce qu'elle ait eu cette possibilité raisonnable.
La première obligation touche à l'information. Les deuxième et troisième sont des obligations de mise en application qui ne prennent naissance que si la personne détenue indique qu'elle veut exercer son droit à l'assistance d'un avocat. Le droit à l'assistance d'un avocat garanti par l'al. 10b) n'est pas absolu. À moins que la personne détenue ne fasse valoir son droit et qu'elle ne l'exerce avec diligence, l'obligation correspondante des policiers de lui donner la possibilité raisonnable de l'exercer et de s'abstenir de tenter de lui soutirer des éléments de preuve, soit ne prendra pas naissance, soit sera suspendue.
La personne détenue peut renoncer aux droits garantis par l'al. 10b), mais la norme est stricte, surtout lorsque la renonciation alléguée a été implicite. Le volet information du droit à l'assistance d'un avocat doit donc avoir une portée large et les policiers doivent donner les renseignements «promptement et d'une manière compréhensible». À moins d'être clairement et complètement informées de leurs droits dès le début, les personnes détenues ne sauraient faire des choix et prendre des décisions éclairées quant à savoir si elles communiqueront avec un avocat et, en outre, si elles exerceront d'autres droits, comme celui de garder le silence.
Qui plus est, étant donné la règle selon laquelle, en l'absence de circonstances particulières indiquant que la personne détenue ne comprend pas la mise en garde prévue à l'al. 10b), les policiers ne sont pas tenus de s'assurer qu'elle comprend pleinement ses droits, il importe que la mise en garde type soit aussi instructive et claire que possible.
La jurisprudence a ajouté deux éléments au volet information: les renseignements sur l'accès à l'aide juridique et à des avocats de garde.
L'imposition d'exigences supplémentaires aux policiers en matière d'information est justifiée par la nécessité de réaliser l'objectif sous‑jacent du droit à l'assistance d'un avocat que garantit la Charte. Le volet information de l'al. 10b), c.‑à‑d. l'information donnée dans tous les cas aux personnes détenues et dont dépendent les obligations corrélatives de l'État, revêt un caractère essentiel.
L'arrêt R. c. Brydges énonce le principe que les autorités policières sont tenues d'informer les personnes en détention de l'existence dans leur province ou territoire de services d'aide juridique et d'avocats de garde. La mise en garde type faite en vertu de l'al. 10b) devrait comprendre des renseignements de base sur la façon d'avoir accès aux conseils juridiques préliminaires gratuits qui sont à la disposition de ces personnes. L'omission de donner ces renseignements constitue une violation de l'al. 10b).
Si les policiers ne se sont pas conformés à leurs obligations découlant de l'al. 10b), on n'a pas à se demander si la personne détenue a exercé son droit de se voir faciliter le recours à l'assistance d'un avocat (toutefois ces questions peuvent être pertinentes lorsqu'il faut décider s'il y a lieu d'écarter, conformément au par. 24(2) de la Charte, les éléments de preuve obtenus par suite de la violation de la Charte). La violation de l'al. 10b) est complète, sauf dans les cas de renonciation ou d'urgence, quand les représentants de l'État n'informent pas la personne détenue comme il se doit de son droit à l'assistance d'un avocat et ce, jusqu'à ce que cette omission ait été corrigée.
Pour qu'une renonciation à un droit procédural soit valide, il faut qu'il soit bien clair que la personne renonce au moyen de procédure conçu pour sa protection et qu'elle le fait en pleine connaissance des droits que cette procédure vise à protéger. Ce critère s'applique également aux droits garantis par la Charte. Dans le cas du volet information de l'al. 10b), pour qu'une personne renonçant au droit le fasse en «pleine connaissance», elle doit être déjà pleinement informée des renseignements qu'elle est en droit de recevoir. Si une personne détenue indique qu'elle ne désire pas entendre lecture des renseignements figurant sur la «mise en garde» habituelle donnée en vertu de l'al. 10b), ce fait ne constituera pas en soi une renonciation valide au volet information de l'al. 10b).
Lorsque les circonstances révèlent qu'une personne détenue ne comprend pas la mise en garde habituelle, les autorités doivent prendre des mesures additionnelles pour s'assurer qu'elle comprend ses droits en vertu de l'al. 10b) et les moyens qui lui permettront de les exercer. Par contre, il peut à l'occasion y avoir des cas où l'obligation des autorités de prendre des moyens raisonnables d'informer la personne détenue des droits que lui garantit l'al. 10b) sera respectée même s'il y a omission de certains éléments de la mise en garde habituelle. Cela sera possible seulement si la personne détenue renonce explicitement à son droit de recevoir la mise en garde habituelle et si les circonstances révèlent des motifs raisonnables de croire qu'elle connaît ses droits, les a invoqués et est au courant des moyens de les exercer.
Le fait qu'une personne détenue indique simplement qu'elle connaît ses droits n'établira pas en soi l'existence de motifs raisonnables de croire qu'elle en comprend pleinement l'ampleur ou qu'elle est au courant des moyens de les mettre en oeuvre. Il doit exister des motifs raisonnables de croire qu'une personne détenue qui renonce au volet information de l'al. 10b) est véritablement au courant de la totalité ou d'une partie des renseignements contenus dans la mise en garde habituelle. Dans ce cas, il peut ne pas y avoir violation de l'al. 10b) si l'on omet les renseignements en question dans la lecture de la mise en garde habituelle.
La norme relative à la renonciation au droit d'être informé est stricte. Compte tenu de l'importance du volet information dans l'atteinte des objectifs de l'al. 10b), on ne devrait reconnaître la validité d'une renonciation que dans les cas où il est évident que la personne détenue comprend pleinement les droits que lui garantit l'al. 10b) ainsi que les moyens qui lui sont offerts pour les exercer, et qu'elle invoque ces droits. En exigeant le respect de ces conditions, on s'assure qu'une renonciation au droit à l'assistance d'un avocat, qui suit une renonciation au droit d'être informé, est une décision prise en pleine connaissance de cause. Puisque les obligations d'informer que l'al. 10b) impose aux autorités de l'État ne sont pas écrasantes, il n'est pas déraisonnable d'insister pour que ces autorités dissipent toute incertitude quant à la connaissance que la personne détenue a de ses droits.
Droit de l’accusé de contre-interroger les témoins à charge
R. c. Lyttle, 2004 CSC 5 (CanLII)
Le droit d’un accusé de contre‑interroger les témoins à charge, sans se voir imposer d’entraves importantes et injustifiées, est un élément essentiel du droit à une défense pleine et entière. Le droit de contre‑interroger, qui est garanti par l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés, doit être protégé jalousement et être interprété généreusement.
Il est possible de contre‑interroger un témoin sur des points qui n’ont pas besoin d’être prouvés indépendamment, pourvu que l’avocat soit de bonne foi lorsqu’il pose ses questions. Il n’est pas inhabituel qu’un avocat prête foi à un fait qui est effectivement vrai, sans qu’il soit capable d’en faire la preuve autrement que par un contre-interrogatoire. La « bonne foi » est fonction des renseignements dont dispose le contre-interrogateur, de l’opinion de celui-ci sur leur probable exactitude et du but de leur utilisation.
Ces renseignements peuvent ne pas être des éléments de preuve admissibles et ils peuvent avoir un caractère incomplet ou incertain, pourvu toutefois que le contre-interrogateur ne soumette pas au témoin des hypothèses qui soient inconsidérées ou qu’il sait être fausses. Le contre-interrogateur peut soulever toute hypothèse qu’il avance honnêtement sur la foi d’inférences raisonnables, de son expérience ou de son intuition et rien ne l’oblige à présenter un fondement de preuve à l’égard de chaque fait soumis à un témoin. Lorsqu’une question implique l’existence d’une assise factuelle contestée et manifestement fragile ou suspecte, le juge du procès peut demander à l’avocat l’assurance qu’il pose la question de bonne foi.
Si les assurances données à cet égard satisfont le juge et que la formulation de la question n’est pas prohibée pour une autre raison, l’avocat devrait être autorisé à poser la question au témoin.
Bien que le contre‑interrogatoire puisse souvent s’avérer futile et parfois se révéler fatal, il demeure néanmoins un ami fidèle dans la poursuite de la justice ainsi qu’un allié indispensable dans la recherche de la vérité. Dans certains cas, il n’existe en effet aucun autre moyen de mettre au jour des faussetés, de rectifier une erreur, de corriger une distorsion ou de découvrir un renseignement essentiel qui, autrement, resterait dissimulé à jamais.
Le droit de l’innocent de ne pas être déclaré coupable est lié à son droit de présenter une défense pleine et entière. Il doit donc pouvoir présenter les éléments de preuve qui lui permettront d’établir sa défense ou de contester la preuve présentée par la poursuite. [. . .] Bref, la dénégation du droit de présenter ou de contester une preuve équivaut à la dénégation du droit d’invoquer un moyen de défense autorisé par la loi.
Le contre‑interrogatoire a une importance incontestable. Il remplit un rôle essentiel dans le processus qui permet de déterminer si un témoin est digne de foi. Même lorsqu’il vise le témoin le plus honnête qui soit, il peut permettre de jauger la fragilité des témoignages. Il peut servir, par exemple, à montrer le handicap visuel ou auditif d’un témoin. Il peut permettre d’établir que les conditions météorologiques pertinentes ont pu limiter la capacité d’observation d’un témoin, ou que des médicaments pris par le témoin ont pu avoir un effet sur sa vision ou son ouïe. Son importance ne peut être mise en doute. C’est le moyen par excellence d’établir la vérité et de tester la véracité. Il faut autoriser le contre‑interrogatoire pour que l’accusé puisse présenter une défense pleine et entière. La possibilité de contre‑interroger les témoins constitue un élément fondamental du procès équitable auquel l’accusé a droit. Il s’agit d’un principe ancien et bien établi qui est lié de près à la présomption d’innocence.
Le droit de contre‑interroger doit donc être protégé jalousement et être interprété généreusement. Il ne doit cependant pas être exercé de manière abusive. Les avocats sont liés par les règles de la pertinence et il leur est interdit de harceler le témoin, de faire des déclarations inexactes, de se répéter inutilement ou, de façon plus générale, de poser des questions dont l’effet préjudiciable excède la valeur probante.
Tout comme le droit de contre‑interroger n’est pas lui-même absolu, les limites dont il est assorti ne le sont pas elles non plus. Le juge du procès jouit, à cet égard comme dans d’autres aspects de la conduite d’un procès, d’un large pouvoir discrétionnaire lui permettant d’assurer l’équité de celui-ci et de voir à ce que justice soit rendue — et perçue comme l’ayant été. Il peut arriver que, dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, le juge estime approprié d’assouplir quelque peu les règles de la pertinence ou de tolérer un degré de répétition qui serait par ailleurs inacceptable dans d’autres circonstances.
Un avocat dispose de la latitude voulue pour poser, en contre‑interrogatoire, des questions reposant sur des éléments d’information qu’il n’est pas en mesure de prouver directement. Le prix à payer est que, s’il obtient une dénégation ou une réponse qui ne lui convient pas, cette réponse joue contre lui pour ce qu’elle vaut.
Le droit d’un accusé de contre‑interroger les témoins à charge, sans se voir imposer d’entraves importantes et injustifiées, est un élément essentiel du droit à une défense pleine et entière. Le droit de contre‑interroger, qui est garanti par l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés, doit être protégé jalousement et être interprété généreusement.
Il est possible de contre‑interroger un témoin sur des points qui n’ont pas besoin d’être prouvés indépendamment, pourvu que l’avocat soit de bonne foi lorsqu’il pose ses questions. Il n’est pas inhabituel qu’un avocat prête foi à un fait qui est effectivement vrai, sans qu’il soit capable d’en faire la preuve autrement que par un contre-interrogatoire. La « bonne foi » est fonction des renseignements dont dispose le contre-interrogateur, de l’opinion de celui-ci sur leur probable exactitude et du but de leur utilisation.
Ces renseignements peuvent ne pas être des éléments de preuve admissibles et ils peuvent avoir un caractère incomplet ou incertain, pourvu toutefois que le contre-interrogateur ne soumette pas au témoin des hypothèses qui soient inconsidérées ou qu’il sait être fausses. Le contre-interrogateur peut soulever toute hypothèse qu’il avance honnêtement sur la foi d’inférences raisonnables, de son expérience ou de son intuition et rien ne l’oblige à présenter un fondement de preuve à l’égard de chaque fait soumis à un témoin. Lorsqu’une question implique l’existence d’une assise factuelle contestée et manifestement fragile ou suspecte, le juge du procès peut demander à l’avocat l’assurance qu’il pose la question de bonne foi.
Si les assurances données à cet égard satisfont le juge et que la formulation de la question n’est pas prohibée pour une autre raison, l’avocat devrait être autorisé à poser la question au témoin.
Bien que le contre‑interrogatoire puisse souvent s’avérer futile et parfois se révéler fatal, il demeure néanmoins un ami fidèle dans la poursuite de la justice ainsi qu’un allié indispensable dans la recherche de la vérité. Dans certains cas, il n’existe en effet aucun autre moyen de mettre au jour des faussetés, de rectifier une erreur, de corriger une distorsion ou de découvrir un renseignement essentiel qui, autrement, resterait dissimulé à jamais.
Le droit de l’innocent de ne pas être déclaré coupable est lié à son droit de présenter une défense pleine et entière. Il doit donc pouvoir présenter les éléments de preuve qui lui permettront d’établir sa défense ou de contester la preuve présentée par la poursuite. [. . .] Bref, la dénégation du droit de présenter ou de contester une preuve équivaut à la dénégation du droit d’invoquer un moyen de défense autorisé par la loi.
Le contre‑interrogatoire a une importance incontestable. Il remplit un rôle essentiel dans le processus qui permet de déterminer si un témoin est digne de foi. Même lorsqu’il vise le témoin le plus honnête qui soit, il peut permettre de jauger la fragilité des témoignages. Il peut servir, par exemple, à montrer le handicap visuel ou auditif d’un témoin. Il peut permettre d’établir que les conditions météorologiques pertinentes ont pu limiter la capacité d’observation d’un témoin, ou que des médicaments pris par le témoin ont pu avoir un effet sur sa vision ou son ouïe. Son importance ne peut être mise en doute. C’est le moyen par excellence d’établir la vérité et de tester la véracité. Il faut autoriser le contre‑interrogatoire pour que l’accusé puisse présenter une défense pleine et entière. La possibilité de contre‑interroger les témoins constitue un élément fondamental du procès équitable auquel l’accusé a droit. Il s’agit d’un principe ancien et bien établi qui est lié de près à la présomption d’innocence.
Le droit de contre‑interroger doit donc être protégé jalousement et être interprété généreusement. Il ne doit cependant pas être exercé de manière abusive. Les avocats sont liés par les règles de la pertinence et il leur est interdit de harceler le témoin, de faire des déclarations inexactes, de se répéter inutilement ou, de façon plus générale, de poser des questions dont l’effet préjudiciable excède la valeur probante.
Tout comme le droit de contre‑interroger n’est pas lui-même absolu, les limites dont il est assorti ne le sont pas elles non plus. Le juge du procès jouit, à cet égard comme dans d’autres aspects de la conduite d’un procès, d’un large pouvoir discrétionnaire lui permettant d’assurer l’équité de celui-ci et de voir à ce que justice soit rendue — et perçue comme l’ayant été. Il peut arriver que, dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, le juge estime approprié d’assouplir quelque peu les règles de la pertinence ou de tolérer un degré de répétition qui serait par ailleurs inacceptable dans d’autres circonstances.
Un avocat dispose de la latitude voulue pour poser, en contre‑interrogatoire, des questions reposant sur des éléments d’information qu’il n’est pas en mesure de prouver directement. Le prix à payer est que, s’il obtient une dénégation ou une réponse qui ne lui convient pas, cette réponse joue contre lui pour ce qu’elle vaut.
mercredi 8 juillet 2009
Conséquence déontologique du refus d'un policier de prendre une plainte
Article 7 du Code de déontologie des policiers du Québec
Le policier doit respecter l'autorité de la loi et des tribunaux et collaborer à l'administration de la justice.
Notamment, le policier ne doit pas :
1. empêcher ou contribuer à empêcher la justice de suivre son cours;
2. cacher ou ne pas transmettre une preuve ou un renseignement dans le but de favoriser ou de nuire à une personne.
Tiré de Commissaire c. Gagnon, C.D.P., C-2000-2857-1, 14 novembre 2000
Le refus de la part d'un policier de prendre une plainte s'inscrit bien dans le cadre de l'article 7 du Code de déontologie des policiers du Québec en ce que cela touche directement l'administration de la justice. En effet, qu'il soit de nature pénale ou déontologique, le processus débute généralement par le dépôt d'une plainte.
Tiré de Commissaire c. Dumouchel, C.D.P., C-98-2437-1, 24 février et 9 mars 1999
La discrétion du policier ne va pas jusqu'à lui permettre de refuser de prendre une plainte. (...) Il ne s’agit pas ici d’un enquêteur qui, aux termes d’une enquête tenue en bonne et due forme, arrive à la conclusion que la plainte est dénuée de tout fondement. C'est le devoir du policier de prendre la plainte et de la référer au service des enquêtes. En refusant de prendre une plainte, le policier ne se comporte pas de manière à préserver confiance et considération et omet d'accomplir son devoir d'officier de justice, contrairement aux normes de conduite prescrites à l'article 7 du Code de déontologie
Le policier doit respecter l'autorité de la loi et des tribunaux et collaborer à l'administration de la justice.
Notamment, le policier ne doit pas :
1. empêcher ou contribuer à empêcher la justice de suivre son cours;
2. cacher ou ne pas transmettre une preuve ou un renseignement dans le but de favoriser ou de nuire à une personne.
Tiré de Commissaire c. Gagnon, C.D.P., C-2000-2857-1, 14 novembre 2000
Le refus de la part d'un policier de prendre une plainte s'inscrit bien dans le cadre de l'article 7 du Code de déontologie des policiers du Québec en ce que cela touche directement l'administration de la justice. En effet, qu'il soit de nature pénale ou déontologique, le processus débute généralement par le dépôt d'une plainte.
Tiré de Commissaire c. Dumouchel, C.D.P., C-98-2437-1, 24 février et 9 mars 1999
La discrétion du policier ne va pas jusqu'à lui permettre de refuser de prendre une plainte. (...) Il ne s’agit pas ici d’un enquêteur qui, aux termes d’une enquête tenue en bonne et due forme, arrive à la conclusion que la plainte est dénuée de tout fondement. C'est le devoir du policier de prendre la plainte et de la référer au service des enquêtes. En refusant de prendre une plainte, le policier ne se comporte pas de manière à préserver confiance et considération et omet d'accomplir son devoir d'officier de justice, contrairement aux normes de conduite prescrites à l'article 7 du Code de déontologie
mardi 7 juillet 2009
Résumé des éléments de preuve qui peuvent être pris en considération afin de prouver les facultés affaiblies d’un accusé
R. c. Laprise, 1996 CanLII 6000 (QC C.A.)
L'affaiblissement des facultés de conduire s'entend généralement de l'altération du jugement et de la diminution de l'habilité physique
Pour établir que le conducteur avait les facultés affaiblies, la poursuite dispose de moyens de preuve très variés. Tout d'abord, elle peut mettre en preuve, par le témoignage d'un policier ou de toute autre personne, les caractéristiques de la conduite de l'accusé. Cet état peut également se déduire de constatations usuelles, comme l'odeur de l'alcool, la démarche chancelante ou les yeux vitreux. Une telle démonstration peut aussi être faite au moyen du résultat d'un test d'haleine, d'urine ou de sang. Toutefois, si un tel résultat peut corroborer les observations d'un policier quant à la cause de la diminution des capacités de conduire, il ne permet pas à lui seul de déduire la quantité d'alcool consommée ni ses effets, sauf si un expert établit une corrélation entre le résultat et un affaiblissement possible des facultés. En effet, les tribunaux n'ont pas une connaissance judiciaire de ces faits. Enfin, d'autres tests, tels que la capacité de marcher sur une ligne blanche, permettent parfois d'inférer que le conducteur avait les facultés affaiblies
L'affaiblissement des facultés de conduire s'entend généralement de l'altération du jugement et de la diminution de l'habilité physique
Pour établir que le conducteur avait les facultés affaiblies, la poursuite dispose de moyens de preuve très variés. Tout d'abord, elle peut mettre en preuve, par le témoignage d'un policier ou de toute autre personne, les caractéristiques de la conduite de l'accusé. Cet état peut également se déduire de constatations usuelles, comme l'odeur de l'alcool, la démarche chancelante ou les yeux vitreux. Une telle démonstration peut aussi être faite au moyen du résultat d'un test d'haleine, d'urine ou de sang. Toutefois, si un tel résultat peut corroborer les observations d'un policier quant à la cause de la diminution des capacités de conduire, il ne permet pas à lui seul de déduire la quantité d'alcool consommée ni ses effets, sauf si un expert établit une corrélation entre le résultat et un affaiblissement possible des facultés. En effet, les tribunaux n'ont pas une connaissance judiciaire de ces faits. Enfin, d'autres tests, tels que la capacité de marcher sur une ligne blanche, permettent parfois d'inférer que le conducteur avait les facultés affaiblies
L'affaiblissement des facultés n'a pas à être marqué dans le cadre d'une accusation pour facultés affaiblies
R. c. Aubé, 1993 CanLII 4143 (QC C.A.)
D'ailleurs, cette formulation exprimée par l'arrêt R. c. McKenzie, qui ajoutait au texte dudit article en utilisant l'expression «marked impairment», formulation acceptée à tort dans quelques décisions citées par l'appelant, fut rectifiée par d'autres plus récentes notamment de R. v. Stellato, précitée, et auparavant par R. v. Bruhjell, (C.A. B.C.), décision inédite du l8 septembre 1986; R.v. Campbell, (C.A. P.E.), 26 M.V.R. (2d), 3l9. La Cour d'appel d'Ontario, dans l'arrêt unanime cité précédemment, a correctement statué que le fardeau de la preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable est rempli lorsque la preuve est faite que les facultés de conduire un véhicule automobile pour un accusé étaient affaiblies par l'alcool ou une drogue, et pas davantage. En effet, ce que le législateur exige dans l'article 253a) c'est de reconnaître un affaiblissement de la capacité de conduire, mais non pas un affaiblissement «marqué». L'arrêt R. v. Stellato, pp. 5 et 6:
«The court noted in Smith that if Parliament had intended to proscribe any impairment, however slight, it could have done so. On the other hand, if Parliament had intended to proscribe impaired driving only where accompanied by a marked departure from the norm, it also could have done so. With all due respect to those who hold a contrary view, it is my opinion that the interpretation of s. 253(a) which was advanced in Winlaw, Bruhjell and Campbell is the correct one. Specifically, I agree with Mitchell J.A. in Campbell that the Criminal Code does not prescribe any special test for determining impairment. In the words of Mitchell J.A., impairment is an issue of fact which the trial judge must decide on the evidence and the standard of proof is neither more nor less than that required for any other element of a criminal offence: courts should not apply tests which imply a tolerance that does not exist in law.
In all criminal cases the trial judge must be satisfied as to the accused's guilt beyond a reasonable doubt before a conviction can be registered. Accordingly, before convicting an accused of impaired driving, the trial judge must be satisfied that the accused's ability to operate a motor vehicle was impaired by alcohol or a drug. If the evidence of impairment is so frail as to leave the trial judge with a reasonable doubt as to impairment, the accused must be acquitted. If the evidence of impairment establishes any degree of impairment ranging from slight to great, the offence has been made out.
In the present case, the trial judge applied the correct test for impairment. There was sufficient evidence adduced at trial from which he could find that the Crown had proved, beyond a reasonable doubt, that the appellant's ability to operate a motor vehicle was impaired by alcohol at the material time. Consequently, the Summary Conviction Appeal court did not err in dismissing the appellant's appeal.
I would grant leave to appeal and dismiss the appeal.»
D'ailleurs, cette formulation exprimée par l'arrêt R. c. McKenzie, qui ajoutait au texte dudit article en utilisant l'expression «marked impairment», formulation acceptée à tort dans quelques décisions citées par l'appelant, fut rectifiée par d'autres plus récentes notamment de R. v. Stellato, précitée, et auparavant par R. v. Bruhjell, (C.A. B.C.), décision inédite du l8 septembre 1986; R.v. Campbell, (C.A. P.E.), 26 M.V.R. (2d), 3l9. La Cour d'appel d'Ontario, dans l'arrêt unanime cité précédemment, a correctement statué que le fardeau de la preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable est rempli lorsque la preuve est faite que les facultés de conduire un véhicule automobile pour un accusé étaient affaiblies par l'alcool ou une drogue, et pas davantage. En effet, ce que le législateur exige dans l'article 253a) c'est de reconnaître un affaiblissement de la capacité de conduire, mais non pas un affaiblissement «marqué». L'arrêt R. v. Stellato, pp. 5 et 6:
«The court noted in Smith that if Parliament had intended to proscribe any impairment, however slight, it could have done so. On the other hand, if Parliament had intended to proscribe impaired driving only where accompanied by a marked departure from the norm, it also could have done so. With all due respect to those who hold a contrary view, it is my opinion that the interpretation of s. 253(a) which was advanced in Winlaw, Bruhjell and Campbell is the correct one. Specifically, I agree with Mitchell J.A. in Campbell that the Criminal Code does not prescribe any special test for determining impairment. In the words of Mitchell J.A., impairment is an issue of fact which the trial judge must decide on the evidence and the standard of proof is neither more nor less than that required for any other element of a criminal offence: courts should not apply tests which imply a tolerance that does not exist in law.
In all criminal cases the trial judge must be satisfied as to the accused's guilt beyond a reasonable doubt before a conviction can be registered. Accordingly, before convicting an accused of impaired driving, the trial judge must be satisfied that the accused's ability to operate a motor vehicle was impaired by alcohol or a drug. If the evidence of impairment is so frail as to leave the trial judge with a reasonable doubt as to impairment, the accused must be acquitted. If the evidence of impairment establishes any degree of impairment ranging from slight to great, the offence has been made out.
In the present case, the trial judge applied the correct test for impairment. There was sufficient evidence adduced at trial from which he could find that the Crown had proved, beyond a reasonable doubt, that the appellant's ability to operate a motor vehicle was impaired by alcohol at the material time. Consequently, the Summary Conviction Appeal court did not err in dismissing the appellant's appeal.
I would grant leave to appeal and dismiss the appeal.»
Le degré de négligence nécessaire dans le contexte d'une accusation de coduite dangereuse
R. c. Beatty, 2008 CSC 5 (CanLII)
Résumé des faits
L’appelant, Justin Ronald Beatty, a été inculpé de trois chefs de conduite dangereuse d’un véhicule à moteur ayant causé la mort. Le tragique accident à l’origine de ces accusations est survenu quand la camionnette de M. Beatty a, sans raison apparente, traversé soudainement la ligne médiane pour se retrouver dans la voie d’un véhicule à moteur circulant en sens inverse, dont les trois occupants ont été tués lors de la collision.
Analyse
Suivant les principes fondamentaux de la justice pénale, les règles relatives à la négligence pénale doivent tenir compte non seulement du comportement dérogeant à la norme, mais aussi de l’état mental de l’auteur de l’infraction. Le critère objectif modifié établi dans Hundal reste le critère approprié pour déterminer la mens rea requise dans le cas des infractions criminelles fondées sur la négligence.
Ce qui constitue un « écart marqué » par rapport à la norme que respecterait un conducteur raisonnablement prudent est une affaire de degré. Le manque de diligence doit être suffisamment grave pour mériter d’être puni. Il n’y a aucun doute qu’un comportement de quelques secondes peut constituer un écart marqué par rapport à la norme de la personne raisonnable. Néanmoins, comme l’a souligné avec justesse le juge Doherty dans l’arrêt Willock, [traduction] « un comportement de si courte durée se produisant pendant la conduite d’un véhicule, conduite par ailleurs irréprochable à tous égards, suggère davantage l’extrémité civile que l’extrémité criminelle du continuum de la négligence »
Le ministère public est tenu de prouver à la fois l’actus reus et la mens rea de l’infraction de conduite dangereuse d’un véhicule à moteur. En ce qui a trait à l’actus reus, le comportement de l’accusé est examiné à la lumière du libellé de l’art. 249. Le juge des faits doit être convaincu, hors de tout doute raisonnable, qu’objectivement l’accusé conduisait « d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état du lieu, l’utilisation qui en est faite ainsi que l’intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu ».
Comme l’indiquent clairement les termes de la disposition, c’est la façon de conduire le véhicule à moteur qui est en cause, et non la conséquence de cette conduite. La conséquence — par exemple des décès, comme en l’espèce — peut entraîner l’infraction plus grave prévue au par. 249(4), mais elle n’a aucune incidence sur la question de savoir si l’infraction de conduite dangereuse a été établie ou pas.
Le juge des faits doit également être convaincu, hors de tout doute raisonnable, que le comportement objectivement dangereux de l’accusé était accompagné de la mens rea requise. Dans son appréciation objective, le juge des faits doit être convaincu, à la lumière de l’ensemble de la preuve, y compris la preuve relative à l’état d’esprit véritable de l’accusé, si une telle preuve existe, que le comportement en cause constituait un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé. En outre, si l’accusé offre une explication, il faut alors, pour qu’il y ait déclaration de culpabilité, que le juge des faits soit convaincu qu’une personne raisonnable dans des circonstances analogues aurait dû être consciente du risque et du danger inhérents au comportement de l’accusé.
Sauf incapacité d’apprécier le risque ou incapacité d’éviter de le créer, les qualités personnelles de l’accusé telles que l’âge, l’expérience et le niveau d’instruction ne sont pas pertinentes. La norme par rapport à laquelle le comportement doit être apprécié est celle du comportement auquel on s’attend de la part d’une personne raisonnablement prudente dans les circonstances. Toutefois, pour apprécier le caractère raisonnable du comportement, il faut placer la personne raisonnable dans les circonstances où se trouvait l’accusé lorsque les événements se sont produits.
Puisque seuls les titulaires d’un permis sont autorisés à conduire, en règle générale, la loi peut tenir pour acquis que ceux qui conduisent en sont mentalement et physiquement capables et qu’ils connaissent la norme de diligence requise. « Dès lors », comme l’a expliqué le juge Cory, « un tribunal n’est pas tenu d’établir que l’accusé a voulu les conséquences de sa façon de conduire ou qu’il en était conscient ». En d’autres mots, il est possible de simplement déduire la capacité et la conscience d’un conducteur à partir de l’exigence du permis
La prémisse permettant de conclure à une faute en raison d’un comportement objectivement dangereux constituant un écart marqué par rapport à la norme est la suivante : une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé aurait été consciente du risque créé par la façon de conduire en question et ne se serait pas livrée à l’activité. Il y aura cependant des cas où cette prémisse ne peut pas être invoquée parce qu’une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé n’aurait pas été consciente du risque, ou alors n’a pas été en mesure d’éviter de créer le danger. Naturellement, le conducteur ne peut pas se contenter de dire qu’il ne pensait pas à sa façon de conduire, puisque la faute réside dans le fait de ne pas accorder à l’activité dangereuse le degré de pensée et d’attention nécessaire
Il faut toutefois, pour apprécier le caractère raisonnable du comportement, placer la personne raisonnable dans les circonstances où se trouvait l’accusé lorsque les événements se sont produits. Pour reprendre l’exemple utilisé précédemment, la personne raisonnable devient celle qui « tout à fait soudainement, souffre d’une crise cardiaque, d’une attaque d’épilepsie ou d’un détachement de la rétine » ou encore celle qui, « sans en connaître les effets possibles et sans en avoir été averti[e], prend des médicaments qui lui ont été prescrits et qui, soudainement », l’amènent à conduire de façon dangereuse pour le public. Quand on place ainsi la personne raisonnable dans les mêmes circonstances que l’accusé, le critère n’est pas personnalisé et la norme demeure celle d’un conducteur raisonnablement prudent, mais elle est correctement mise en contexte.
Si le comportement ne constitue pas un écart marqué par rapport à la norme que respecterait un conducteur raisonnablement prudent, il n’est pas nécessaire de poursuivre l’analyse. L’infraction n’aura pas été établie. En revanche, si le juge des faits est convaincu, hors de tout doute raisonnable, que la conduite objectivement dangereuse constitue un écart marqué par rapport à la norme, il devra considérer la preuve relative à l’état d’esprit véritable de l’accusé — si une telle preuve a été présentée — pour déterminer si elle permet de douter raisonnablement qu’une personne raisonnable, placée dans la même situation que l’accusé, aurait été consciente du risque créé par ce comportement. En l’absence d’une telle preuve, le tribunal pourra déclarer l’accusé coupable.
La preuve limitée qui a été présentée à propos de l’état mental véritable de l’accusé tendait plutôt à démontrer que la conduite dangereuse était attribuable à une inattention momentanée. Il n’y avait aucune preuve de conduite inappropriée avant que le véhicule de l’accusé ne traverse momentanément la ligne médiane. Considéré objectivement, cet acte de négligence momentané était une preuve insuffisante pour permettre de conclure à un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait un conducteur prudent.
Résumé des faits
L’appelant, Justin Ronald Beatty, a été inculpé de trois chefs de conduite dangereuse d’un véhicule à moteur ayant causé la mort. Le tragique accident à l’origine de ces accusations est survenu quand la camionnette de M. Beatty a, sans raison apparente, traversé soudainement la ligne médiane pour se retrouver dans la voie d’un véhicule à moteur circulant en sens inverse, dont les trois occupants ont été tués lors de la collision.
Analyse
Suivant les principes fondamentaux de la justice pénale, les règles relatives à la négligence pénale doivent tenir compte non seulement du comportement dérogeant à la norme, mais aussi de l’état mental de l’auteur de l’infraction. Le critère objectif modifié établi dans Hundal reste le critère approprié pour déterminer la mens rea requise dans le cas des infractions criminelles fondées sur la négligence.
Ce qui constitue un « écart marqué » par rapport à la norme que respecterait un conducteur raisonnablement prudent est une affaire de degré. Le manque de diligence doit être suffisamment grave pour mériter d’être puni. Il n’y a aucun doute qu’un comportement de quelques secondes peut constituer un écart marqué par rapport à la norme de la personne raisonnable. Néanmoins, comme l’a souligné avec justesse le juge Doherty dans l’arrêt Willock, [traduction] « un comportement de si courte durée se produisant pendant la conduite d’un véhicule, conduite par ailleurs irréprochable à tous égards, suggère davantage l’extrémité civile que l’extrémité criminelle du continuum de la négligence »
Le ministère public est tenu de prouver à la fois l’actus reus et la mens rea de l’infraction de conduite dangereuse d’un véhicule à moteur. En ce qui a trait à l’actus reus, le comportement de l’accusé est examiné à la lumière du libellé de l’art. 249. Le juge des faits doit être convaincu, hors de tout doute raisonnable, qu’objectivement l’accusé conduisait « d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état du lieu, l’utilisation qui en est faite ainsi que l’intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu ».
Comme l’indiquent clairement les termes de la disposition, c’est la façon de conduire le véhicule à moteur qui est en cause, et non la conséquence de cette conduite. La conséquence — par exemple des décès, comme en l’espèce — peut entraîner l’infraction plus grave prévue au par. 249(4), mais elle n’a aucune incidence sur la question de savoir si l’infraction de conduite dangereuse a été établie ou pas.
Le juge des faits doit également être convaincu, hors de tout doute raisonnable, que le comportement objectivement dangereux de l’accusé était accompagné de la mens rea requise. Dans son appréciation objective, le juge des faits doit être convaincu, à la lumière de l’ensemble de la preuve, y compris la preuve relative à l’état d’esprit véritable de l’accusé, si une telle preuve existe, que le comportement en cause constituait un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé. En outre, si l’accusé offre une explication, il faut alors, pour qu’il y ait déclaration de culpabilité, que le juge des faits soit convaincu qu’une personne raisonnable dans des circonstances analogues aurait dû être consciente du risque et du danger inhérents au comportement de l’accusé.
Sauf incapacité d’apprécier le risque ou incapacité d’éviter de le créer, les qualités personnelles de l’accusé telles que l’âge, l’expérience et le niveau d’instruction ne sont pas pertinentes. La norme par rapport à laquelle le comportement doit être apprécié est celle du comportement auquel on s’attend de la part d’une personne raisonnablement prudente dans les circonstances. Toutefois, pour apprécier le caractère raisonnable du comportement, il faut placer la personne raisonnable dans les circonstances où se trouvait l’accusé lorsque les événements se sont produits.
Puisque seuls les titulaires d’un permis sont autorisés à conduire, en règle générale, la loi peut tenir pour acquis que ceux qui conduisent en sont mentalement et physiquement capables et qu’ils connaissent la norme de diligence requise. « Dès lors », comme l’a expliqué le juge Cory, « un tribunal n’est pas tenu d’établir que l’accusé a voulu les conséquences de sa façon de conduire ou qu’il en était conscient ». En d’autres mots, il est possible de simplement déduire la capacité et la conscience d’un conducteur à partir de l’exigence du permis
La prémisse permettant de conclure à une faute en raison d’un comportement objectivement dangereux constituant un écart marqué par rapport à la norme est la suivante : une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé aurait été consciente du risque créé par la façon de conduire en question et ne se serait pas livrée à l’activité. Il y aura cependant des cas où cette prémisse ne peut pas être invoquée parce qu’une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé n’aurait pas été consciente du risque, ou alors n’a pas été en mesure d’éviter de créer le danger. Naturellement, le conducteur ne peut pas se contenter de dire qu’il ne pensait pas à sa façon de conduire, puisque la faute réside dans le fait de ne pas accorder à l’activité dangereuse le degré de pensée et d’attention nécessaire
Il faut toutefois, pour apprécier le caractère raisonnable du comportement, placer la personne raisonnable dans les circonstances où se trouvait l’accusé lorsque les événements se sont produits. Pour reprendre l’exemple utilisé précédemment, la personne raisonnable devient celle qui « tout à fait soudainement, souffre d’une crise cardiaque, d’une attaque d’épilepsie ou d’un détachement de la rétine » ou encore celle qui, « sans en connaître les effets possibles et sans en avoir été averti[e], prend des médicaments qui lui ont été prescrits et qui, soudainement », l’amènent à conduire de façon dangereuse pour le public. Quand on place ainsi la personne raisonnable dans les mêmes circonstances que l’accusé, le critère n’est pas personnalisé et la norme demeure celle d’un conducteur raisonnablement prudent, mais elle est correctement mise en contexte.
Si le comportement ne constitue pas un écart marqué par rapport à la norme que respecterait un conducteur raisonnablement prudent, il n’est pas nécessaire de poursuivre l’analyse. L’infraction n’aura pas été établie. En revanche, si le juge des faits est convaincu, hors de tout doute raisonnable, que la conduite objectivement dangereuse constitue un écart marqué par rapport à la norme, il devra considérer la preuve relative à l’état d’esprit véritable de l’accusé — si une telle preuve a été présentée — pour déterminer si elle permet de douter raisonnablement qu’une personne raisonnable, placée dans la même situation que l’accusé, aurait été consciente du risque créé par ce comportement. En l’absence d’une telle preuve, le tribunal pourra déclarer l’accusé coupable.
La preuve limitée qui a été présentée à propos de l’état mental véritable de l’accusé tendait plutôt à démontrer que la conduite dangereuse était attribuable à une inattention momentanée. Il n’y avait aucune preuve de conduite inappropriée avant que le véhicule de l’accusé ne traverse momentanément la ligne médiane. Considéré objectivement, cet acte de négligence momentané était une preuve insuffisante pour permettre de conclure à un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait un conducteur prudent.
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