R. c. Lyttle, 2004 CSC 5 (CanLII)
Le droit d’un accusé de contre‑interroger les témoins à charge, sans se voir imposer d’entraves importantes et injustifiées, est un élément essentiel du droit à une défense pleine et entière. Le droit de contre‑interroger, qui est garanti par l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés, doit être protégé jalousement et être interprété généreusement.
Il est possible de contre‑interroger un témoin sur des points qui n’ont pas besoin d’être prouvés indépendamment, pourvu que l’avocat soit de bonne foi lorsqu’il pose ses questions. Il n’est pas inhabituel qu’un avocat prête foi à un fait qui est effectivement vrai, sans qu’il soit capable d’en faire la preuve autrement que par un contre-interrogatoire. La « bonne foi » est fonction des renseignements dont dispose le contre-interrogateur, de l’opinion de celui-ci sur leur probable exactitude et du but de leur utilisation.
Ces renseignements peuvent ne pas être des éléments de preuve admissibles et ils peuvent avoir un caractère incomplet ou incertain, pourvu toutefois que le contre-interrogateur ne soumette pas au témoin des hypothèses qui soient inconsidérées ou qu’il sait être fausses. Le contre-interrogateur peut soulever toute hypothèse qu’il avance honnêtement sur la foi d’inférences raisonnables, de son expérience ou de son intuition et rien ne l’oblige à présenter un fondement de preuve à l’égard de chaque fait soumis à un témoin. Lorsqu’une question implique l’existence d’une assise factuelle contestée et manifestement fragile ou suspecte, le juge du procès peut demander à l’avocat l’assurance qu’il pose la question de bonne foi.
Si les assurances données à cet égard satisfont le juge et que la formulation de la question n’est pas prohibée pour une autre raison, l’avocat devrait être autorisé à poser la question au témoin.
Bien que le contre‑interrogatoire puisse souvent s’avérer futile et parfois se révéler fatal, il demeure néanmoins un ami fidèle dans la poursuite de la justice ainsi qu’un allié indispensable dans la recherche de la vérité. Dans certains cas, il n’existe en effet aucun autre moyen de mettre au jour des faussetés, de rectifier une erreur, de corriger une distorsion ou de découvrir un renseignement essentiel qui, autrement, resterait dissimulé à jamais.
Le droit de l’innocent de ne pas être déclaré coupable est lié à son droit de présenter une défense pleine et entière. Il doit donc pouvoir présenter les éléments de preuve qui lui permettront d’établir sa défense ou de contester la preuve présentée par la poursuite. [. . .] Bref, la dénégation du droit de présenter ou de contester une preuve équivaut à la dénégation du droit d’invoquer un moyen de défense autorisé par la loi.
Le contre‑interrogatoire a une importance incontestable. Il remplit un rôle essentiel dans le processus qui permet de déterminer si un témoin est digne de foi. Même lorsqu’il vise le témoin le plus honnête qui soit, il peut permettre de jauger la fragilité des témoignages. Il peut servir, par exemple, à montrer le handicap visuel ou auditif d’un témoin. Il peut permettre d’établir que les conditions météorologiques pertinentes ont pu limiter la capacité d’observation d’un témoin, ou que des médicaments pris par le témoin ont pu avoir un effet sur sa vision ou son ouïe. Son importance ne peut être mise en doute. C’est le moyen par excellence d’établir la vérité et de tester la véracité. Il faut autoriser le contre‑interrogatoire pour que l’accusé puisse présenter une défense pleine et entière. La possibilité de contre‑interroger les témoins constitue un élément fondamental du procès équitable auquel l’accusé a droit. Il s’agit d’un principe ancien et bien établi qui est lié de près à la présomption d’innocence.
Le droit de contre‑interroger doit donc être protégé jalousement et être interprété généreusement. Il ne doit cependant pas être exercé de manière abusive. Les avocats sont liés par les règles de la pertinence et il leur est interdit de harceler le témoin, de faire des déclarations inexactes, de se répéter inutilement ou, de façon plus générale, de poser des questions dont l’effet préjudiciable excède la valeur probante.
Tout comme le droit de contre‑interroger n’est pas lui-même absolu, les limites dont il est assorti ne le sont pas elles non plus. Le juge du procès jouit, à cet égard comme dans d’autres aspects de la conduite d’un procès, d’un large pouvoir discrétionnaire lui permettant d’assurer l’équité de celui-ci et de voir à ce que justice soit rendue — et perçue comme l’ayant été. Il peut arriver que, dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, le juge estime approprié d’assouplir quelque peu les règles de la pertinence ou de tolérer un degré de répétition qui serait par ailleurs inacceptable dans d’autres circonstances.
Un avocat dispose de la latitude voulue pour poser, en contre‑interrogatoire, des questions reposant sur des éléments d’information qu’il n’est pas en mesure de prouver directement. Le prix à payer est que, s’il obtient une dénégation ou une réponse qui ne lui convient pas, cette réponse joue contre lui pour ce qu’elle vaut.
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