mardi 7 juillet 2009

Le degré de négligence nécessaire dans le contexte d'une accusation de coduite dangereuse

R. c. Beatty, 2008 CSC 5 (CanLII)

Résumé des faits
L’appelant, Justin Ronald Beatty, a été inculpé de trois chefs de conduite dangereuse d’un véhicule à moteur ayant causé la mort. Le tragique accident à l’origine de ces accusations est survenu quand la camionnette de M. Beatty a, sans raison apparente, traversé soudainement la ligne médiane pour se retrouver dans la voie d’un véhicule à moteur circulant en sens inverse, dont les trois occupants ont été tués lors de la collision.

Analyse
Suivant les principes fondamentaux de la justice pénale, les règles relatives à la négligence pénale doivent tenir compte non seulement du comportement dérogeant à la norme, mais aussi de l’état mental de l’auteur de l’infraction. Le critère objectif modifié établi dans Hundal reste le critère approprié pour déterminer la mens rea requise dans le cas des infractions criminelles fondées sur la négligence.

Ce qui constitue un « écart marqué » par rapport à la norme que respecterait un conducteur raisonnablement prudent est une affaire de degré. Le manque de diligence doit être suffisamment grave pour mériter d’être puni. Il n’y a aucun doute qu’un comportement de quelques secondes peut constituer un écart marqué par rapport à la norme de la personne raisonnable. Néanmoins, comme l’a souligné avec justesse le juge Doherty dans l’arrêt Willock, [traduction] « un comportement de si courte durée se produisant pendant la conduite d’un véhicule, conduite par ailleurs irréprochable à tous égards, suggère davantage l’extrémité civile que l’extrémité criminelle du continuum de la négligence »

Le ministère public est tenu de prouver à la fois l’actus reus et la mens rea de l’infraction de conduite dangereuse d’un véhicule à moteur. En ce qui a trait à l’actus reus, le comportement de l’accusé est examiné à la lumière du libellé de l’art. 249. Le juge des faits doit être convaincu, hors de tout doute raisonnable, qu’objectivement l’accusé conduisait « d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état du lieu, l’utilisation qui en est faite ainsi que l’intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu ».

Comme l’indiquent clairement les termes de la disposition, c’est la façon de conduire le véhicule à moteur qui est en cause, et non la conséquence de cette conduite. La conséquence — par exemple des décès, comme en l’espèce — peut entraîner l’infraction plus grave prévue au par. 249(4), mais elle n’a aucune incidence sur la question de savoir si l’infraction de conduite dangereuse a été établie ou pas.

Le juge des faits doit également être convaincu, hors de tout doute raisonnable, que le comportement objectivement dangereux de l’accusé était accompagné de la mens rea requise. Dans son appréciation objective, le juge des faits doit être convaincu, à la lumière de l’ensemble de la preuve, y compris la preuve relative à l’état d’esprit véritable de l’accusé, si une telle preuve existe, que le comportement en cause constituait un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé. En outre, si l’accusé offre une explication, il faut alors, pour qu’il y ait déclaration de culpabilité, que le juge des faits soit convaincu qu’une personne raisonnable dans des circonstances analogues aurait dû être consciente du risque et du danger inhérents au comportement de l’accusé.

Sauf incapacité d’apprécier le risque ou incapacité d’éviter de le créer, les qualités personnelles de l’accusé telles que l’âge, l’expérience et le niveau d’instruction ne sont pas pertinentes. La norme par rapport à laquelle le comportement doit être apprécié est celle du comportement auquel on s’attend de la part d’une personne raisonnablement prudente dans les circonstances. Toutefois, pour apprécier le caractère raisonnable du comportement, il faut placer la personne raisonnable dans les circonstances où se trouvait l’accusé lorsque les événements se sont produits.

Puisque seuls les titulaires d’un permis sont autorisés à conduire, en règle générale, la loi peut tenir pour acquis que ceux qui conduisent en sont mentalement et physiquement capables et qu’ils connaissent la norme de diligence requise. « Dès lors », comme l’a expliqué le juge Cory, « un tribunal n’est pas tenu d’établir que l’accusé a voulu les conséquences de sa façon de conduire ou qu’il en était conscient ». En d’autres mots, il est possible de simplement déduire la capacité et la conscience d’un conducteur à partir de l’exigence du permis

La prémisse permettant de conclure à une faute en raison d’un comportement objectivement dangereux constituant un écart marqué par rapport à la norme est la suivante : une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé aurait été consciente du risque créé par la façon de conduire en question et ne se serait pas livrée à l’activité. Il y aura cependant des cas où cette prémisse ne peut pas être invoquée parce qu’une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé n’aurait pas été consciente du risque, ou alors n’a pas été en mesure d’éviter de créer le danger. Naturellement, le conducteur ne peut pas se contenter de dire qu’il ne pensait pas à sa façon de conduire, puisque la faute réside dans le fait de ne pas accorder à l’activité dangereuse le degré de pensée et d’attention nécessaire

Il faut toutefois, pour apprécier le caractère raisonnable du comportement, placer la personne raisonnable dans les circonstances où se trouvait l’accusé lorsque les événements se sont produits. Pour reprendre l’exemple utilisé précédemment, la personne raisonnable devient celle qui « tout à fait soudainement, souffre d’une crise cardiaque, d’une attaque d’épilepsie ou d’un détachement de la rétine » ou encore celle qui, « sans en connaître les effets possibles et sans en avoir été averti[e], prend des médicaments qui lui ont été prescrits et qui, soudainement », l’amènent à conduire de façon dangereuse pour le public. Quand on place ainsi la personne raisonnable dans les mêmes circonstances que l’accusé, le critère n’est pas personnalisé et la norme demeure celle d’un conducteur raisonnablement prudent, mais elle est correctement mise en contexte.

Si le comportement ne constitue pas un écart marqué par rapport à la norme que respecterait un conducteur raisonnablement prudent, il n’est pas nécessaire de poursuivre l’analyse. L’infraction n’aura pas été établie. En revanche, si le juge des faits est convaincu, hors de tout doute raisonnable, que la conduite objectivement dangereuse constitue un écart marqué par rapport à la norme, il devra considérer la preuve relative à l’état d’esprit véritable de l’accusé — si une telle preuve a été présentée — pour déterminer si elle permet de douter raisonnablement qu’une personne raisonnable, placée dans la même situation que l’accusé, aurait été consciente du risque créé par ce comportement. En l’absence d’une telle preuve, le tribunal pourra déclarer l’accusé coupable.

La preuve limitée qui a été présentée à propos de l’état mental véritable de l’accusé tendait plutôt à démontrer que la conduite dangereuse était attribuable à une inattention momentanée. Il n’y avait aucune preuve de conduite inappropriée avant que le véhicule de l’accusé ne traverse momentanément la ligne médiane. Considéré objectivement, cet acte de négligence momentané était une preuve insuffisante pour permettre de conclure à un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait un conducteur prudent.

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