R. c. G.R., 2005 CSC 45, [2005] 2 R.C.S. 371
11 Une fonction importante d’un acte d’accusation est de notifier formellement à l’accusé le risque qu’il court sur le plan juridique. Il est, bien sûr, tout aussi important que, lorsque le ministère public est en mesure d’établir l’existence d’une partie seulement des faits décrits dans l’acte d’accusation ou énoncés dans la définition légale de l’infraction et qu’une telle preuve partielle établit l’existence des éléments constitutifs d’une infraction moindre et incluse, il y ait non pas acquittement mais plutôt déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction incluse. Comme l’a écrit le professeur Glanville Williams, [traduction] « une infraction incluse est une infraction constituée de fragments de l’infraction reprochée » (« Included Offences » (1991), 55 J. Crim. L. 234, p. 234). Tout autre résultat engendrerait un gaspillage des ressources consacrées au procès.
25 Une infraction est « incluse » si ses éléments constitutifs sont compris dans l’infraction imputée (telle qu’elle est décrite dans la disposition qui la crée ou telle qu’elle est portée dans le chef d’accusation) ou si le Code criminel la qualifie expressément d’infraction comprise ou incluse. Le critère est strict : l’infraction doit « nécessairement » être comprise, comme l’affirmait le juge Martland dans l’arrêt Lafrance c. La Reine, 1973 CanLII 35 (C.S.C.), [1975] 2 R.C.S. 201, p. 214 :
. . . l’infraction créée par l’art. 281 [balade dans une voiture volée] n’est pas nécessairement comprise dans l’infraction de vol [. . .] et n’est pas comprise dans le chef d’accusation porté en la présente espèce.
Ce qui n’est pas « nécessairement compris » est exclu. Voir également Fergusson c. The Queen, 1961 CanLII 97 (S.C.C.), [1962] R.C.S. 229, p. 233; Barton c. The King, 1928 CanLII 17 (S.C.C.), [1929] R.C.S. 42, p. 46‑48.
26 L’interprétation stricte de l’art. 662 est liée à l’exigence de notification raisonnable du risque couru sur le plan juridique, comme le juge Sheppard l’a souligné dans l’arrêt R. c. Manuel (1960), 128 C.C.C. 383 (C.A.C.‑B.) :
[traduction] De plus, pour constituer une infraction incluse, l’inclusion doit être une composante si claire et essentielle de l’infraction imputée que l’accusé qui lit le chef d’accusation sera, dans tous les cas, raisonnablement informé qu’il devra se défendre non seulement contre l’infraction reprochée, mais également contre les infractions précises qui seront incluses. Une telle inclusion claire doit ressortir de la « disposition qui [. . .] crée » l’infraction ou de l’infraction « portée dans le chef d’accusation »; [le par. 662(1)] permet de tenir compte de l’une ou l’autre de ces situations, mais non de l’exposé initial de l’avocat ni de la preuve. [Je souligne; p. 385.]
27 Le juge Martin de la Cour d’appel de l’Ontario a également insisté sur l’importance d’expliquer clairement à l’accusé l’ampleur exacte du risque qu’il court sur le plan juridique :
[traduction] L’infraction imputée, telle qu’elle est décrite dans la disposition qui la crée ou telle qu’elle est portée dans le chef d’accusation, doit contenir les éléments essentiels de l’infraction qualifiée d’incluse. . .
. . . l’infraction imputée, telle qu’elle est décrite dans la disposition qui la crée ou telle qu’elle est portée dans le chef d’accusation, doit être suffisante pour informer l’accusé des infractions incluses contre lesquelles il devra se défendre.
28 Les principes énoncés par le juge Martin dans les motifs de jugement encyclopédiques qu’il a rédigés dans l’affaire Simpson (No. 2) ont, depuis lors, été adoptés et appliqués partout au Canada, y compris par la Cour d’appel du Québec dans les arrêts R. c. Drolet (références omises)
29 En common law, lorsqu’une infraction comportait plusieurs éléments constitutifs (« infraction divisible »), le jury pouvait déclarer une personne coupable de toute infraction [traduction] « dont les éléments constitutifs étaient compris dans l’infraction imputée, sous réserve de la règle selon laquelle le jury ne pouvait pas prononcer une déclaration de culpabilité d’infraction mineure lorsque l’acte d’accusation imputait un crime grave » (Simpson (No. 2), p. 132). La loi écrite traite maintenant de cette question et l’art. 662 autorise les déclarations de culpabilité d’infractions « incluses » dans le cas seulement de trois catégories d’infractions :
a) les infractions incluses par la loi comme, par exemple, celles qui sont mentionnées aux par. 662(2) à (6), et les tentatives de commettre une infraction, dont fait état l’art. 660;
b) les infractions incluses dans la loi qui crée l’infraction imputée comme, par exemple, les voies de fait simples dans une accusation d’agression sexuelle;
c) les infractions qui deviennent incluses par l’ajout de mots appropriés dans la description de l’accusation principale.
Aucune de ces catégories ne mentionne le « caractère suffisant » des détails factuels de l’affaire à l’origine de l’accusation. Il s’agit là d’un sujet totalement différent dont traite l’art. 581 du Code.
30 En ce qui concerne la nécessité d’une notification raisonnable, les infractions « incluses » relevant de la première catégorie peuvent être dégagées du Code criminel lui‑même; voir, par exemple, R. c. Wilmot, [1940] R.C.S. 53. Les cas relevant de la deuxième catégorie satisfont aussi au critère de notification raisonnable parce qu’[traduction] « un acte d’accusation imputant une infraction impute également toutes les infractions qui, en droit, sont nécessairement commises lorsqu’est commise l’infraction principale, telle qu’elle est décrite dans la loi qui la crée » (références omises)
31 En ce qui a trait à la deuxième catégorie, on peut dire que [traduction] « [s]i l’infraction imputée peut être commise intégralement sans que soit commise une autre infraction, cette autre infraction n’est pas incluse » (P. J. Gloin, « Included Offences » (1961‑62), 4 Crim. L.Q. 160, p. 160 (je souligne)). La Cour d’appel du Manitoba a souscrit à cette proposition dans l’arrêt R. c. Carey (1972), 10 C.C.C. (2d) 330, p. 334, le juge en chef Freedman, comme l’ont fait la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Simpson (No. 2), p. 139, le juge Martin, et la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Colburne, p. 1206, où le juge Proulx a ajouté ce qui suit :
J’ajouterai, pour ma part, que sera incluse l’infraction dont les éléments essentiels sont partie de l’infraction imputée. [En italique dans l’original.]
Il est évident qu’il est possible de commettre l’infraction d’inceste sans se livrer à une agression sexuelle ou à des contacts sexuels.
32 C’est la troisième catégorie de cas qui est la plus susceptible de causer des difficultés. Elle exige que les mots descriptifs de faits dans le chef d’accusation lui‑même informent l’accusé que, s’ils sont prouvés, ces faits pris avec les éléments de l’accusation révéleront la perpétration d’une infraction « incluse » (Allard). Par exemple, dans l’affaire Tousignant c. The Queen (1960), 33 C.R. 234 (B.R. Qué. (juridiction d’appel)), l’acte d’accusation reprochait à l’accusé d’avoir tenté de tuer la victime « en l[a] frappant sur la tête à l’aide d’un objet contondant » (p. 235 (je souligne)). Les mots soulignés n’étaient pas essentiels à l’accusation de tentative de meurtre, mais leur inclusion a, de toute façon, permis de prononcer une déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction moindre et (ainsi) incluse consistant à causer des lésions corporelles dans l’intention de blesser ou à commettre des voies de fait : voir Simpson (No. 2), p. 139. De même, dans l’arrêt R. c. Kay, [1958] O.J. No. 467 (QL) (C.A.), l’acte d’accusation faisait état d’un homicide involontaire coupable [traduction] « résultant d’un coup ou de coups ». L’ajout de ces mots descriptifs dans l’acte d’accusation faisait état de l’allégation de voies de fait, et la déclaration de culpabilité de l’accusé relativement à l’infraction incluse de voies de fait causant des lésions corporelles a été maintenue en appel.
33 Les mots ajoutés doivent, bien sûr, avoir trait à l’infraction imputée. Comme l’a écrit le juge Evans, dans l’arrêt Harmer and Miller :
[traduction] . . . l’accusation doit être libellée de façon à notifier raisonnablement à l’accusé l’infraction ou les infractions que comprendrait l’infraction principale qui lui est reprochée. De plus, l’infraction doit être incluse à juste titre dans le chef d’accusation. [p. 19]
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mercredi 14 juillet 2010
Les paramètres de la défense d'un tiers impliqué
R. c. Mancinelli , 2008 QCCS 817 (CanLII)
[19] La Cour suprême, dans R. c. Grandinetti 2005 CSC 5 (CanLII), [2005] 1 R.C.S. 27, a bien défini les paramètres de la défense d'un tiers impliqué. La preuve qu'une autre personne a pu perpétrer l'infraction sera admissible si elle est pertinente et convaincante. Sa pertinence et sa valeur probante dépendent de l'existence d'un lien suffisant entre l'autre personne et le crime.
[20] L'honorable juge Abella, aux paragraphes 46 à 49, dit ceci :
« B. La preuve qu’un tiers a pu commettre le crime
46 La preuve qu’une autre personne a pu perpétrer l’infraction est admissible. Dans R. c. McMillan (1975), 7 O.R. (2d) 750 (C.A.), conf. par 1977 CanLII 19 (C.S.C.), [1977] 2 R.C.S. 824, le juge Martin a exposé le principe fondamental :
[traduction] [I]l va de soi que s’il est accusé du meurtre de X, A peut, en défense, présenter des éléments de preuve établissant que c’est B, et non lui, qui a tué X. [p. 757]
Il a cependant précisé que la preuve doit être pertinente et avoir une valeur probante :
[traduction] Il va sans dire que la preuve selon laquelle le crime a été commis par une autre personne doit satisfaire au critère de la pertinence et avoir une valeur probante suffisante pour que son admission soit justifiée. En conséquence, les tribunaux ne se sont montrés disposés à l’admettre en preuve que lorsque l’autre personne était par ailleurs suffisamment liée au crime pour que la preuve offerte ait quelque valeur probante. [p. 757]
47 L’exigence d’un lien suffisant entre l’autre personne et le crime est essentielle. Faute d’un tel lien, l’élément de preuve offert n’a aucune pertinence ou valeur probante. L’élément peut reposer sur des inférences, mais celles‑ci doivent être raisonnables au regard de la preuve et ne pas être spéculatives.
48 L’accusé doit démontrer l’existence d’un élément susceptible de permettre à un jury raisonnable ayant reçu des directives appropriées de prononcer son acquittement sur le fondement du moyen de défense : R. c. Fontaine, 2004 CSC 27 (CanLII), [2004] 1 R.C.S. 702, 2004 CSC 27, par. 70. À défaut d’un lien suffisant, le moyen de défense fondé sur la perpétration du crime par une autre personne n’a pas la vraisemblance requise : R. c. Cinous, 2002 CSC 29 (CanLII), [2002] 2 R.C.S. 3, 2002 CSC 29.
49 La juge du procès a correctement énoncé le critère juridique applicable en la matière :
[traduction] Selon la jurisprudence, l’accusé peut présenter des éléments tendant à établir qu’un autre que lui a commis l’infraction. La prédisposition de l’autre personne à commettre l’infraction a valeur probante et est admissible à condition que d’autres éléments tendent à relier cette autre personne à la perpétration de l’infraction. »
[19] La Cour suprême, dans R. c. Grandinetti 2005 CSC 5 (CanLII), [2005] 1 R.C.S. 27, a bien défini les paramètres de la défense d'un tiers impliqué. La preuve qu'une autre personne a pu perpétrer l'infraction sera admissible si elle est pertinente et convaincante. Sa pertinence et sa valeur probante dépendent de l'existence d'un lien suffisant entre l'autre personne et le crime.
[20] L'honorable juge Abella, aux paragraphes 46 à 49, dit ceci :
« B. La preuve qu’un tiers a pu commettre le crime
46 La preuve qu’une autre personne a pu perpétrer l’infraction est admissible. Dans R. c. McMillan (1975), 7 O.R. (2d) 750 (C.A.), conf. par 1977 CanLII 19 (C.S.C.), [1977] 2 R.C.S. 824, le juge Martin a exposé le principe fondamental :
[traduction] [I]l va de soi que s’il est accusé du meurtre de X, A peut, en défense, présenter des éléments de preuve établissant que c’est B, et non lui, qui a tué X. [p. 757]
Il a cependant précisé que la preuve doit être pertinente et avoir une valeur probante :
[traduction] Il va sans dire que la preuve selon laquelle le crime a été commis par une autre personne doit satisfaire au critère de la pertinence et avoir une valeur probante suffisante pour que son admission soit justifiée. En conséquence, les tribunaux ne se sont montrés disposés à l’admettre en preuve que lorsque l’autre personne était par ailleurs suffisamment liée au crime pour que la preuve offerte ait quelque valeur probante. [p. 757]
47 L’exigence d’un lien suffisant entre l’autre personne et le crime est essentielle. Faute d’un tel lien, l’élément de preuve offert n’a aucune pertinence ou valeur probante. L’élément peut reposer sur des inférences, mais celles‑ci doivent être raisonnables au regard de la preuve et ne pas être spéculatives.
48 L’accusé doit démontrer l’existence d’un élément susceptible de permettre à un jury raisonnable ayant reçu des directives appropriées de prononcer son acquittement sur le fondement du moyen de défense : R. c. Fontaine, 2004 CSC 27 (CanLII), [2004] 1 R.C.S. 702, 2004 CSC 27, par. 70. À défaut d’un lien suffisant, le moyen de défense fondé sur la perpétration du crime par une autre personne n’a pas la vraisemblance requise : R. c. Cinous, 2002 CSC 29 (CanLII), [2002] 2 R.C.S. 3, 2002 CSC 29.
49 La juge du procès a correctement énoncé le critère juridique applicable en la matière :
[traduction] Selon la jurisprudence, l’accusé peut présenter des éléments tendant à établir qu’un autre que lui a commis l’infraction. La prédisposition de l’autre personne à commettre l’infraction a valeur probante et est admissible à condition que d’autres éléments tendent à relier cette autre personne à la perpétration de l’infraction. »
mardi 13 juillet 2010
Le « flare gun », aussi appelé pistolet de détresse, est une arme à feu
R. c. Laplante, 2000 CanLII 87 (QC C.Q.)
Le rapport d’analyse de ce fusil de détresse, fait par l’expert M. Bernard Pomminville, permet de conclure que cet instrument possède les caractéristiques d’une arme à feu à savoir :
- Il s’agit d’une arme (l’utilisation de ce fusil de détresse était dans un but de menace, d’intimidation)
- possède un canon qui permet de tirer des projectiles (cartouches)
- est susceptible d’infliger des lésions corporelles graves (le rapport fait notamment mention des blessures graves qui peuvent être infligées si le visage est atteint).
La Cour Suprême du Canada a défini la notion de « blessures graves » - expression qui existait avant les modifications de 1995 – comme toute blessure ou lésion qui nuit d’une manière sérieuse ou importante à l’intégrité physique ou au bien-être du plaignant. McCraw c. La Reine 1991 CanLII 29 (C.S.C.), [1991] 3 R.C.S. 72.
Quand on analyse l’article 84(3) c.cr., il faut comprendre que lorsque les instruments conçus pour envoyer un signal sont utilisés par son possesseur pour servir exclusivement à ces fins, ce possesseur n’a pas besoin de permis d’autorisation ni de certificats d’enregistrement.
C’est ce qui ressort du Manuel de référence des préposés aux armes à feu, du Centre canadien des armes à feu, en page 10 et suivantes où on y spécifie :
« les armes à canon énumérées au par 84(3) c.cr. ne sont pas des armes à feu aux fins des infractions à la Loi sur les armes à feu ou au Code criminel pour l’application de la Loi sur les armes à feu. Cependant ces armes sont toujours considérées comme des armes à feu au regard de l’art 85 c.cr. (usage d’une arme à feu lors de la perpétration d’une infraction) et des dix actes criminels graves perpétrés à l’aide d’une arme à feu. »
D’ailleurs la Cour d’Appel de la Colombie Britannique dans l’affaire R. c. Wust 1998 CanLII 5492 (BC C.A.), (1998) 125 C.C.C. (3d) 43 a considéré que le « flare gun », pistolet de détresse était une arme à feu. Dans cette cause, l’accusée s’était présentée dans une station-service et avait pointé un pistolet lance-fusées chargé et armé sur le visage de l’employé en le menaçant de tirer s’il ne lui donnait pas l’argent. La Cour n’explique pas en quoi l’arme en question était une arme à feu mais souligne que le pistolet lance-fusées « looks very much like a handgun and it qualifies as a firearm under the appropriate legislations ».
Au Québec, en 1980 dans l’affaire Régina c. Brouillard 59 C.C.C. (2d) 81, notre Cour d’Appel a déterminé le point suivant : « A CO2 pellet revolver where there was a gas cartridge in the gun, but (…) no pellets in the chamber, came within the definition of a firearm ».
A plus forte raison faut-il conclure que le pistolet lance-fusées chargé de la cartouche contenant une matière pyrotechnique dont la combustion débute dès la mise à feu, est une arme à feu au sens de l’article 2 c.cr.
Quand cette arme à feu est dirigée à 1 pouce de la tempe frontale d’un individu, les blessures par brûlures ou lésions par la détonation pourraient nuire d’une manière sérieuse ou importante à l’intégrité physique ou au bien-être du plaignant et elles sont plus que probables. Le tribunal est donc satisfait hors de tout doute raisonnable que la Couronne a démontré que le fusil de détresse utilisé le 20 juin 2000 par Guillaume Laplante et Sébastien Drouin, son complice, était une arme à feu.
Le rapport d’analyse de ce fusil de détresse, fait par l’expert M. Bernard Pomminville, permet de conclure que cet instrument possède les caractéristiques d’une arme à feu à savoir :
- Il s’agit d’une arme (l’utilisation de ce fusil de détresse était dans un but de menace, d’intimidation)
- possède un canon qui permet de tirer des projectiles (cartouches)
- est susceptible d’infliger des lésions corporelles graves (le rapport fait notamment mention des blessures graves qui peuvent être infligées si le visage est atteint).
La Cour Suprême du Canada a défini la notion de « blessures graves » - expression qui existait avant les modifications de 1995 – comme toute blessure ou lésion qui nuit d’une manière sérieuse ou importante à l’intégrité physique ou au bien-être du plaignant. McCraw c. La Reine 1991 CanLII 29 (C.S.C.), [1991] 3 R.C.S. 72.
Quand on analyse l’article 84(3) c.cr., il faut comprendre que lorsque les instruments conçus pour envoyer un signal sont utilisés par son possesseur pour servir exclusivement à ces fins, ce possesseur n’a pas besoin de permis d’autorisation ni de certificats d’enregistrement.
C’est ce qui ressort du Manuel de référence des préposés aux armes à feu, du Centre canadien des armes à feu, en page 10 et suivantes où on y spécifie :
« les armes à canon énumérées au par 84(3) c.cr. ne sont pas des armes à feu aux fins des infractions à la Loi sur les armes à feu ou au Code criminel pour l’application de la Loi sur les armes à feu. Cependant ces armes sont toujours considérées comme des armes à feu au regard de l’art 85 c.cr. (usage d’une arme à feu lors de la perpétration d’une infraction) et des dix actes criminels graves perpétrés à l’aide d’une arme à feu. »
D’ailleurs la Cour d’Appel de la Colombie Britannique dans l’affaire R. c. Wust 1998 CanLII 5492 (BC C.A.), (1998) 125 C.C.C. (3d) 43 a considéré que le « flare gun », pistolet de détresse était une arme à feu. Dans cette cause, l’accusée s’était présentée dans une station-service et avait pointé un pistolet lance-fusées chargé et armé sur le visage de l’employé en le menaçant de tirer s’il ne lui donnait pas l’argent. La Cour n’explique pas en quoi l’arme en question était une arme à feu mais souligne que le pistolet lance-fusées « looks very much like a handgun and it qualifies as a firearm under the appropriate legislations ».
Au Québec, en 1980 dans l’affaire Régina c. Brouillard 59 C.C.C. (2d) 81, notre Cour d’Appel a déterminé le point suivant : « A CO2 pellet revolver where there was a gas cartridge in the gun, but (…) no pellets in the chamber, came within the definition of a firearm ».
A plus forte raison faut-il conclure que le pistolet lance-fusées chargé de la cartouche contenant une matière pyrotechnique dont la combustion débute dès la mise à feu, est une arme à feu au sens de l’article 2 c.cr.
Quand cette arme à feu est dirigée à 1 pouce de la tempe frontale d’un individu, les blessures par brûlures ou lésions par la détonation pourraient nuire d’une manière sérieuse ou importante à l’intégrité physique ou au bien-être du plaignant et elles sont plus que probables. Le tribunal est donc satisfait hors de tout doute raisonnable que la Couronne a démontré que le fusil de détresse utilisé le 20 juin 2000 par Guillaume Laplante et Sébastien Drouin, son complice, était une arme à feu.
mardi 6 juillet 2010
Le prévenu doit faire preuve d’une diligence raisonnable dans l’exercice de son droit à l’assistance d’un avocat sinon les obligations imposées aux policiers par ce droit sont suspendues et ne les empêchent plus de continuer leur enquête
Robichaud c. R., 2009 QCCA 1886 (CanLII)
[6] Le droit à l’avocat garanti par l’article 10 b) de la Charte impose trois obligations distinctes aux policiers qui détiennent un prévenu : celle de l’informer sans délai de son droit de recourir à l’aide d’un avocat, celle de lui donner la possibilité raisonnable d’exercer ce droit et celle de s’abstenir de l’interroger ou d’autrement lui soutirer des éléments de preuve, par exemple en le soumettant à l’alcootest, jusqu’à ce que la personne détenue ait eu cette possibilité raisonnable.
[7] Ce droit n’est cependant pas absolu ni illimité et il doit être exercé d’une façon qui soit conciliable avec les besoins de la société. Le prévenu doit faire preuve d’une diligence raisonnable dans l’exercice de son droit à l’assistance d’un avocat sinon les obligations imposées aux policiers par ce droit sont suspendues et ne les empêchent plus de continuer leur enquête. On ne peut permettre à une personne arrêtée ou détenue d’entraver le travail des policiers en lui permettant de faire en sorte que ces derniers ne puissent effectuer adéquatement leur tâche.
[8] Contrairement à ce que soutient l’appelant, il ne peut appartenir exclusivement à l’avocat consulté par un prévenu de déterminer, à son seul gré, le délai raisonnable dans lequel le droit à l’assistance d’un avocat est exercé. Il ne peut être le seul arbitre de ce qui constitue un exercice raisonnable de ce droit. Ce rôle ne peut être dévolu qu’au Tribunal. L’appelant, faut-il le dire, n’a soumis aucune source jurisprudentielle ou doctrinale au soutien de sa proposition.
[9] L’appréciation dans chaque cas de la possibilité raisonnable donnée par les policiers à la personne détenue d’exercer son droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat et celle de la diligence raisonnable dont cette personne doit faire preuve dépend de l’ensemble des circonstances que doit apprécier le juge des faits en les considérant globalement
[11] L’appelant a été informé de son droit à l’assistance d’un avocat avant qu’il soit soumis à l’alcootest et les policiers lui ont fourni la possibilité d’exercer ce droit. Il a pu discuter avec un avocat pendant une heure et les interventions des policiers après 32, 37 et 57 minutes de consultation ne l’ont pas empêché de continuer d’exercer son droit. Avant d’intervenir pour mettre fin à la conversation téléphonique, le sergent April à même pris la précaution de consulter un avocat. Non seulement l’appelant ne s’est‑il pas plaint des conseils de son avocat, mais, de son propre aveu, il a été en mesure de lui raconter en détail toute la journée précédant celle de son arrestation.
[6] Le droit à l’avocat garanti par l’article 10 b) de la Charte impose trois obligations distinctes aux policiers qui détiennent un prévenu : celle de l’informer sans délai de son droit de recourir à l’aide d’un avocat, celle de lui donner la possibilité raisonnable d’exercer ce droit et celle de s’abstenir de l’interroger ou d’autrement lui soutirer des éléments de preuve, par exemple en le soumettant à l’alcootest, jusqu’à ce que la personne détenue ait eu cette possibilité raisonnable.
[7] Ce droit n’est cependant pas absolu ni illimité et il doit être exercé d’une façon qui soit conciliable avec les besoins de la société. Le prévenu doit faire preuve d’une diligence raisonnable dans l’exercice de son droit à l’assistance d’un avocat sinon les obligations imposées aux policiers par ce droit sont suspendues et ne les empêchent plus de continuer leur enquête. On ne peut permettre à une personne arrêtée ou détenue d’entraver le travail des policiers en lui permettant de faire en sorte que ces derniers ne puissent effectuer adéquatement leur tâche.
[8] Contrairement à ce que soutient l’appelant, il ne peut appartenir exclusivement à l’avocat consulté par un prévenu de déterminer, à son seul gré, le délai raisonnable dans lequel le droit à l’assistance d’un avocat est exercé. Il ne peut être le seul arbitre de ce qui constitue un exercice raisonnable de ce droit. Ce rôle ne peut être dévolu qu’au Tribunal. L’appelant, faut-il le dire, n’a soumis aucune source jurisprudentielle ou doctrinale au soutien de sa proposition.
[9] L’appréciation dans chaque cas de la possibilité raisonnable donnée par les policiers à la personne détenue d’exercer son droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat et celle de la diligence raisonnable dont cette personne doit faire preuve dépend de l’ensemble des circonstances que doit apprécier le juge des faits en les considérant globalement
[11] L’appelant a été informé de son droit à l’assistance d’un avocat avant qu’il soit soumis à l’alcootest et les policiers lui ont fourni la possibilité d’exercer ce droit. Il a pu discuter avec un avocat pendant une heure et les interventions des policiers après 32, 37 et 57 minutes de consultation ne l’ont pas empêché de continuer d’exercer son droit. Avant d’intervenir pour mettre fin à la conversation téléphonique, le sergent April à même pris la précaution de consulter un avocat. Non seulement l’appelant ne s’est‑il pas plaint des conseils de son avocat, mais, de son propre aveu, il a été en mesure de lui raconter en détail toute la journée précédant celle de son arrestation.
samedi 3 juillet 2010
Ce que doit prouver la poursuite dans le cas de complicité après le fait
R. v. Duong, 1998 CanLII 7124 (ON C.A.)
[19] A charge a laid under s. 23(1) must allege the commission of a specific offence (or offences) and the Crown must prove that the alleged accessory knew that the person assisted was a party to that offence. The Crown will meet its burden if it proves that the accused had actual knowledge of the offence committed. Whether wilful blindness will suffice is addressed below. The further question of whether recklessness as to the offence committed by the principal would be sufficient need not be decided in this case.
[19] A charge a laid under s. 23(1) must allege the commission of a specific offence (or offences) and the Crown must prove that the alleged accessory knew that the person assisted was a party to that offence. The Crown will meet its burden if it proves that the accused had actual knowledge of the offence committed. Whether wilful blindness will suffice is addressed below. The further question of whether recklessness as to the offence committed by the principal would be sufficient need not be decided in this case.
jeudi 1 juillet 2010
Il existe une présomption voulant que le prévenu qui a consulté son avocat a été dûment avisé qu'une déclaration qu'il remplit pourra être utilisée contre lui
R. c. Graetz, 2007 QCCS 3517 (CanLII)
[74] À ce sujet, il est intéressant de noter ce que les auteurs Béliveau et Vauclair écrivent :
« Enfin, on peut se poser la question de savoir si, au même moment, le policier a l’obligation d’aviser le prévenu de son droit au silence. Un certain flottement existait au niveau des Cours d’appel mais il nous apparaît que la Cour suprême ait implicitement réglé question dans l’arrêt Whittle, alors qu’elle a indiqué que la renonciation au droit au silence nécessite « la capacité de comprendre une mise en garde selon laquelle la déposition pourra être utilisée contre l’accusé. Toutefois, cela ne signifie pas que la police est tenue d’en informer l’accusé; Il suffit que ce dernier en soit au courant. De plus, il existe une présomption voulant que le prévenu qui a consulté son avocat en ait été dûment avisé. »
[74] À ce sujet, il est intéressant de noter ce que les auteurs Béliveau et Vauclair écrivent :
« Enfin, on peut se poser la question de savoir si, au même moment, le policier a l’obligation d’aviser le prévenu de son droit au silence. Un certain flottement existait au niveau des Cours d’appel mais il nous apparaît que la Cour suprême ait implicitement réglé question dans l’arrêt Whittle, alors qu’elle a indiqué que la renonciation au droit au silence nécessite « la capacité de comprendre une mise en garde selon laquelle la déposition pourra être utilisée contre l’accusé. Toutefois, cela ne signifie pas que la police est tenue d’en informer l’accusé; Il suffit que ce dernier en soit au courant. De plus, il existe une présomption voulant que le prévenu qui a consulté son avocat en ait été dûment avisé. »
Les grandes lignes de l'arrêt Grant (pour évaluer la pertinence d'exclure la preuve recueillie en violation de la Charte)
R. c. Côté, 2010 QCCA 303 (CanLII)
[33] Comme précédemment mentionné, le pourvoi ne soulève plus qu'une seule question, cependant déterminante, et pour laquelle le juge de première instance n'avait pas le bénéfice des décisions très récentes de la Cour suprême dans R. c. Grant et R. c. Harrison. Il s'agit de l'admission en preuve des éléments dérivés fiables, souvent exclus par le passé en cas de violation grave des droits constitutionnels de l'accusé. La règle est dorénavant changée en ce que « [l]e juge doit désormais se demander si l'utilisation des éléments de preuve dérivée obtenus par suite d'une violation de la Charte serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice ».
[34] Avant de poursuivre l'examen de cette question, il est opportun de reprendre les grandes lignes de l'affaire Grant.
[35] L'arrêt Grant présente un cadre d'analyse en trois étapes pour évaluer la pertinence d'exclure la preuve recueillie en violation de la Charte :
67 Le libellé du par. 24(2) en exprime bien l'objet : préserver la considération dont jouit l'administration de la justice. L'expression « administration de la justice » est souvent employée pour désigner les processus d'enquête, d'accusation et de jugement qui entrent en jeu en cas de non-respect de la loi. Toutefois, elle englobe de façon plus générale le maintien des droits garantis par la Charte et du principe de la primauté du droit dans l'ensemble du système de justice.
68 L'expression « déconsidérer l'administration de la justice » doit être prise dans l'optique du maintien à long terme de l'intégrité du système de justice et de la confiance à son égard. Certes, l'exclusion d'éléments de preuve qui aboutit à un acquittement peut provoquer des critiques sur le coup. Il n'en demeure pas moins que les réactions immédiates, dans des cas particuliers, ne sont pas visées par l'objet du par. 24(2). Cette disposition concerne plutôt l'appréciation de l'effet à long terme de l'utilisation d'éléments de preuve sur la considération globale dont jouit le système de justice et suppose un examen de nature objective, qui vise à déterminer si une personne raisonnable, au fait de l'ensemble des circonstances pertinentes et des valeurs sous-jacentes de la Charte, conclurait que l'utilisation d'éléments de preuve donnés serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.
69 L'objet du par. 24(2) n'est pas seulement à long terme, il est également prospectif. L'existence d'une violation de la Charte signifie que l'administration de la justice a déjà été mise à mal. Le paragraphe 24(2) part de là et vise à faire en sorte que les éléments de preuve obtenus au moyen de cette violation ne déconsidèrent pas davantage le système de justice.
70 Enfin, le par. 24(2) a un objet sociétal. Il ne vise pas à sanctionner la conduite des policiers ou à dédommager l'accusé, il a plutôt une portée systémique. Il se rapporte aux importantes répercussions de l'utilisation d'éléments de preuve sur la considération à long terme portée au système de justice.
71 Il ressort de la jurisprudence et de la doctrine qu'il faut, pour déterminer si l'utilisation d'un élément de preuve obtenue en violation de la Charte déconsidérerait l'administration de la justice, examiner trois questions tirant chacune leur origine des intérêts publics sous-jacents au par. 24(2), considérés à long terme dans une perspective sociétale prospective. Ainsi, le tribunal saisi d'une demande d'exclusion fondée sur le par. 24(2) doit évaluer et mettre en balance l'effet que l'utilisation des éléments de preuve aurait sur la confiance de la société envers le système de justice en tenant compte de : (1) la gravité de la conduite attentatoire de l'État (l'utilisation peut donner à penser que le système de justice tolère l'inconduite grave de la part de l'État), (2) l'incidence de la violation sur les droits de l'accusé garantis par la Charte (l'utilisation peut donner à penser que les droits individuels ont peu de poids) et (3) l'intérêt de la société à ce que l'affaire soit jugée au fond. Le rôle du tribunal appelé à trancher une demande fondée sur le par. 24(2) consiste à procéder à une mise en balance de chacune de ces questions pour déterminer si, eu égard aux circonstances, l'utilisation d'éléments de preuve serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Bien qu'elles ne recoupent pas exactement les catégories élaborées dans Collins, ces questions visent les facteurs pertinents pour trancher une demande fondée sur le par. 24(2), tels qu'ils ont été formulés dans Collins et dans la jurisprudence subséquente.
[36] Appliquant l'arrêt Grant, la Cour suprême, dans Harrison, énonce ce qui suit pour diriger l'analyse sous le premier élément, soit la gravité de la conduite attentatoire de l'État :
22 À ce stade, le tribunal saisi de l'affaire examine la nature de la conduite de la police qui a porté atteinte aux droits protégés par la Charte et mené à la découverte des éléments de preuve. S'agit-il d'une inconduite dont le tribunal devrait souhaiter se dissocier? C'est le cas si la dérogation aux normes prescrites par la Charte était flagrante, ou si le policier savait (ou aurait dû savoir) que sa conduite ne respectait pas la Charte. En revanche, si la violation ne consiste qu'en une simple irrégularité ou résulte d'une erreur compréhensible, il n'est pas aussi crucial de s'en dissocier.
[38] Dans Harrison, la Cour suprême décrit ainsi le second élément, soit celui de l'incidence de la violation sur les droits de l'accusé garantis par la Charte :
28 Ce facteur porte sur la gravité de la violation, du point de vue de l'accusé. La violation a-t-elle sérieusement porté atteinte aux intérêts sous-jacents aux droits qui ont été enfreints? Ou l'incidence de la violation était-elle simplement passagère ou anodine? Voilà quelques questions auxquelles il faut répondre dans le cadre de l'analyse de ce facteur.
[40] Le troisième et dernier élément, l'intérêt de la société à ce que l'affaire soit jugée au fond, est présenté ainsi dans Harrison :
33 À ce stade, le tribunal saisi de l'affaire prend en compte les facteurs telles la fiabilité des éléments de preuve et leur importance pour la preuve du ministère public.
34 […] Comme nous l'avons souligné dans Grant, même si le public a un intérêt accru à ce que les litiges soient jugés au fond lorsque l'infraction reprochée est grave, le public a aussi un intérêt vital à ce que le système de justice soit irréprochable, particulièrement lorsque l'accusé encourt de lourdes conséquences pénales […].
[42] L'étape finale est celle de la balance des inconvénients. Voici ce que la Cour suprême dit à ce sujet dans Harrison :
36 L'exercice de mise en balance que commande le par. 24(2) est de nature qualitative et il ne peut être effectué avec une précision mathématique. Il ne s'agit pas simplement de savoir si, dans un cas en particulier, la majorité des facteurs pertinents milite en faveur de l'exclusion. La preuve à l'égard de chacune de ces questions doit être soupesée afin de déterminer si, eu égard aux circonstances, l'utilisation des éléments de preuve serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. La nécessité pour le système de justice de se dissocier de l'inconduite de la police ne l'emporte pas toujours sur les intérêts de recherche de la vérité du système de justice pénale. L'inverse est tout aussi vrai. Dans tous les cas, c'est la considération à long terme pour l'administration de la justice qui doit être examinée.
[43] Selon la Cour suprême, la possibilité de découvrir la preuve matérielle « reste toutefois utile pour évaluer l'impact réel de la violation sur les intérêts protégés de l'accusé » car ce critère permet « d'évaluer la force du lien de causalité entre l'auto-incrimination contraire à la Charte et les éléments de preuve qui en ont découlé ».
[45] Dans l'affaire Grant, la Cour suprême réitère le principe selon lequel « si les éléments de preuve dérivée pouvaient être découverts de façon indépendante, l'incidence de la violation pour l'accusé est atténuée et l'utilisation des éléments de preuve est plus probable ». Cela fait partie de l'analyse du deuxième élément devant servir à l'examen d'une violation d'un droit protégé en vertu de l'article 24 (2) de la Charte, étape où il s'agit de circonscrire les conséquences de cette violation pour l'accusée.
[46] Sur le troisième critère, soit celui de savoir si l'utilisation des éléments de preuve dérivée est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice, question qui, comme déjà mentionné, met en cause l'intérêt de la société à ce que l'affaire soit entendue et jugée au fond, la Cour suprême précise que :
Comme la preuve dérivée est de nature matérielle, sa fiabilité est généralement moins problématique, et l'intérêt du public à ce qu'un procès soit instruit sur le fond favorisera donc habituellement son utilisation
[33] Comme précédemment mentionné, le pourvoi ne soulève plus qu'une seule question, cependant déterminante, et pour laquelle le juge de première instance n'avait pas le bénéfice des décisions très récentes de la Cour suprême dans R. c. Grant et R. c. Harrison. Il s'agit de l'admission en preuve des éléments dérivés fiables, souvent exclus par le passé en cas de violation grave des droits constitutionnels de l'accusé. La règle est dorénavant changée en ce que « [l]e juge doit désormais se demander si l'utilisation des éléments de preuve dérivée obtenus par suite d'une violation de la Charte serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice ».
[34] Avant de poursuivre l'examen de cette question, il est opportun de reprendre les grandes lignes de l'affaire Grant.
[35] L'arrêt Grant présente un cadre d'analyse en trois étapes pour évaluer la pertinence d'exclure la preuve recueillie en violation de la Charte :
67 Le libellé du par. 24(2) en exprime bien l'objet : préserver la considération dont jouit l'administration de la justice. L'expression « administration de la justice » est souvent employée pour désigner les processus d'enquête, d'accusation et de jugement qui entrent en jeu en cas de non-respect de la loi. Toutefois, elle englobe de façon plus générale le maintien des droits garantis par la Charte et du principe de la primauté du droit dans l'ensemble du système de justice.
68 L'expression « déconsidérer l'administration de la justice » doit être prise dans l'optique du maintien à long terme de l'intégrité du système de justice et de la confiance à son égard. Certes, l'exclusion d'éléments de preuve qui aboutit à un acquittement peut provoquer des critiques sur le coup. Il n'en demeure pas moins que les réactions immédiates, dans des cas particuliers, ne sont pas visées par l'objet du par. 24(2). Cette disposition concerne plutôt l'appréciation de l'effet à long terme de l'utilisation d'éléments de preuve sur la considération globale dont jouit le système de justice et suppose un examen de nature objective, qui vise à déterminer si une personne raisonnable, au fait de l'ensemble des circonstances pertinentes et des valeurs sous-jacentes de la Charte, conclurait que l'utilisation d'éléments de preuve donnés serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.
69 L'objet du par. 24(2) n'est pas seulement à long terme, il est également prospectif. L'existence d'une violation de la Charte signifie que l'administration de la justice a déjà été mise à mal. Le paragraphe 24(2) part de là et vise à faire en sorte que les éléments de preuve obtenus au moyen de cette violation ne déconsidèrent pas davantage le système de justice.
70 Enfin, le par. 24(2) a un objet sociétal. Il ne vise pas à sanctionner la conduite des policiers ou à dédommager l'accusé, il a plutôt une portée systémique. Il se rapporte aux importantes répercussions de l'utilisation d'éléments de preuve sur la considération à long terme portée au système de justice.
71 Il ressort de la jurisprudence et de la doctrine qu'il faut, pour déterminer si l'utilisation d'un élément de preuve obtenue en violation de la Charte déconsidérerait l'administration de la justice, examiner trois questions tirant chacune leur origine des intérêts publics sous-jacents au par. 24(2), considérés à long terme dans une perspective sociétale prospective. Ainsi, le tribunal saisi d'une demande d'exclusion fondée sur le par. 24(2) doit évaluer et mettre en balance l'effet que l'utilisation des éléments de preuve aurait sur la confiance de la société envers le système de justice en tenant compte de : (1) la gravité de la conduite attentatoire de l'État (l'utilisation peut donner à penser que le système de justice tolère l'inconduite grave de la part de l'État), (2) l'incidence de la violation sur les droits de l'accusé garantis par la Charte (l'utilisation peut donner à penser que les droits individuels ont peu de poids) et (3) l'intérêt de la société à ce que l'affaire soit jugée au fond. Le rôle du tribunal appelé à trancher une demande fondée sur le par. 24(2) consiste à procéder à une mise en balance de chacune de ces questions pour déterminer si, eu égard aux circonstances, l'utilisation d'éléments de preuve serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Bien qu'elles ne recoupent pas exactement les catégories élaborées dans Collins, ces questions visent les facteurs pertinents pour trancher une demande fondée sur le par. 24(2), tels qu'ils ont été formulés dans Collins et dans la jurisprudence subséquente.
[36] Appliquant l'arrêt Grant, la Cour suprême, dans Harrison, énonce ce qui suit pour diriger l'analyse sous le premier élément, soit la gravité de la conduite attentatoire de l'État :
22 À ce stade, le tribunal saisi de l'affaire examine la nature de la conduite de la police qui a porté atteinte aux droits protégés par la Charte et mené à la découverte des éléments de preuve. S'agit-il d'une inconduite dont le tribunal devrait souhaiter se dissocier? C'est le cas si la dérogation aux normes prescrites par la Charte était flagrante, ou si le policier savait (ou aurait dû savoir) que sa conduite ne respectait pas la Charte. En revanche, si la violation ne consiste qu'en une simple irrégularité ou résulte d'une erreur compréhensible, il n'est pas aussi crucial de s'en dissocier.
[38] Dans Harrison, la Cour suprême décrit ainsi le second élément, soit celui de l'incidence de la violation sur les droits de l'accusé garantis par la Charte :
28 Ce facteur porte sur la gravité de la violation, du point de vue de l'accusé. La violation a-t-elle sérieusement porté atteinte aux intérêts sous-jacents aux droits qui ont été enfreints? Ou l'incidence de la violation était-elle simplement passagère ou anodine? Voilà quelques questions auxquelles il faut répondre dans le cadre de l'analyse de ce facteur.
[40] Le troisième et dernier élément, l'intérêt de la société à ce que l'affaire soit jugée au fond, est présenté ainsi dans Harrison :
33 À ce stade, le tribunal saisi de l'affaire prend en compte les facteurs telles la fiabilité des éléments de preuve et leur importance pour la preuve du ministère public.
34 […] Comme nous l'avons souligné dans Grant, même si le public a un intérêt accru à ce que les litiges soient jugés au fond lorsque l'infraction reprochée est grave, le public a aussi un intérêt vital à ce que le système de justice soit irréprochable, particulièrement lorsque l'accusé encourt de lourdes conséquences pénales […].
[42] L'étape finale est celle de la balance des inconvénients. Voici ce que la Cour suprême dit à ce sujet dans Harrison :
36 L'exercice de mise en balance que commande le par. 24(2) est de nature qualitative et il ne peut être effectué avec une précision mathématique. Il ne s'agit pas simplement de savoir si, dans un cas en particulier, la majorité des facteurs pertinents milite en faveur de l'exclusion. La preuve à l'égard de chacune de ces questions doit être soupesée afin de déterminer si, eu égard aux circonstances, l'utilisation des éléments de preuve serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. La nécessité pour le système de justice de se dissocier de l'inconduite de la police ne l'emporte pas toujours sur les intérêts de recherche de la vérité du système de justice pénale. L'inverse est tout aussi vrai. Dans tous les cas, c'est la considération à long terme pour l'administration de la justice qui doit être examinée.
[43] Selon la Cour suprême, la possibilité de découvrir la preuve matérielle « reste toutefois utile pour évaluer l'impact réel de la violation sur les intérêts protégés de l'accusé » car ce critère permet « d'évaluer la force du lien de causalité entre l'auto-incrimination contraire à la Charte et les éléments de preuve qui en ont découlé ».
[45] Dans l'affaire Grant, la Cour suprême réitère le principe selon lequel « si les éléments de preuve dérivée pouvaient être découverts de façon indépendante, l'incidence de la violation pour l'accusé est atténuée et l'utilisation des éléments de preuve est plus probable ». Cela fait partie de l'analyse du deuxième élément devant servir à l'examen d'une violation d'un droit protégé en vertu de l'article 24 (2) de la Charte, étape où il s'agit de circonscrire les conséquences de cette violation pour l'accusée.
[46] Sur le troisième critère, soit celui de savoir si l'utilisation des éléments de preuve dérivée est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice, question qui, comme déjà mentionné, met en cause l'intérêt de la société à ce que l'affaire soit entendue et jugée au fond, la Cour suprême précise que :
Comme la preuve dérivée est de nature matérielle, sa fiabilité est généralement moins problématique, et l'intérêt du public à ce qu'un procès soit instruit sur le fond favorisera donc habituellement son utilisation
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