Rechercher sur ce blogue

mardi 28 novembre 2023

Les éléments essentiels de l’infraction d’agression sexuelle

Lafrance c. R., 2017 QCCA 1642 

Lien vers la décision


[78]        Les éléments essentiels de l’infraction d’agression sexuelle sont connus. Dans l’arrêt R. c. Ewanchuk, le juge Major les décrit ainsi :

[23]      Pour qu'un accusé soit déclaré coupable d'agression sexuelle, deux éléments fondamentaux doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable: qu'il a commis l'actus reus et qu'il avait la mens rea requise. L'actus reus de l'agression consiste en des attouchements sexuels non souhaités. La mens rea est l'intention de se livrer à des attouchements sur une personne, tout en sachant que celle-ci n'y consent pas, en raison de ses paroles ou de ses actes, ou encore en faisant montre d'insouciance ou d'aveuglement volontaire à l'égard de cette absence de consentement.[32] 

[79]        De fait, l’actus reus est établi par la preuve des trois éléments suivants : (i) les attouchements, (ii) la nature sexuelle des contacts et, (iii) l’absence de consentement. Les attouchements et la nature sexuelle des contacts sont des éléments objectifs, alors que l’absence de consentement « est subjective et déterminée par rapport à l’état d’esprit subjectif dans lequel se trouvait en son for intérieur la plaignante à l’égard des attouchements, lorsqu’ils ont eu lieu »[33].

[80]        La mens rea comporte pour sa part deux éléments : (i) l’intention de se livrer à des attouchements sur une personne et, (ii) la connaissance de son absence de consentement ou l’insouciance ou l’aveuglement volontaire à cet égard[34]. La défense d’erreur sur le consentement ne vise que la dénégation de la mens rea sur le second élément. Elle peut découler de la preuve principale du poursuivant, du témoignage de la plaignante, ou de celui de l’accusé, le cas échéant[35]. Cette preuve doit démontrer que l’accusé croyait sincèrement que la plaignante avait communiqué son consentement à l’activité sexuelle, que ce soit par ses paroles ou son comportement[36]. C’est ce que précise le juge Major, dans l’arrêt Ewanchuk :

[46]      Pour que les actes de l’accusé soient empreints d’innocence morale, la preuve doit démontrer que ce dernier croyait que la plaignante avait communiqué son consentement à l’activité sexuelle en question. Le fait que l’accusé ait cru dans son esprit que le plaignant souhaitait qu’il la touche, sans toutefois avoir manifesté ce désir, ne constitue pas une défense. Les suppositions de l’accusé relativement à ce qui se passait dans l’esprit de la plaignante ne constituent pas un moyen de défense.[37]

La notion de responsabilité en tant que coauteur d’une infraction (propos du juge Lebel)

R. c. Pickton, 2010 CSC 32

Lien vers la décision


[63]                          Dans certaines circonstances, l’incertitude quant à la participation d’autres personnes — connues ou inconnues — en tant que coauteurs peut également s’avérer non pertinente sur le plan juridique.  La notion de responsabilité en tant que coauteur d’une infraction a été inscrite, dans les termes suivants, à l’al. 21(1)a) du Code criminel : « Participent à une infraction : quiconque la commet réellement ».  Cette forme de responsabilité s’applique chaque fois que deux personnes ou plus « commettent réellement » une infraction, et elle rend chacune d’elles individuellement responsable de ce crime.  Elle s’applique également lorsque deux personnes ou plus forment le projet de commettre ensemble une infraction, sont présentes lorsque le crime est commis et contribuent à sa perpétration, et ce, même si tous les éléments essentiels de l’infraction ne peuvent être imputés à chacune de ces personnes (R. c. Mena (1987), 1987 CanLII 2868 (ON CA), 34 C.C.C. (3d) 304 (C.A. Ont.), p. 316).  Si le juge des faits est convaincu hors de tout doute raisonnable que tous les éléments du crime reproché à l’accusé ont été établis, il importe peu qu’une autre personne ait elle aussi commis ce crime.

Qu'est-ce qu'une question suggestive?

R. c. E.M.W., 2011 CSC 31

Lien vers la décision


[9]                              Nous ne pouvons souscrire à la conclusion des juges majoritaires de la Cour d’appel que le procureur de la Couronne a posé à la plaignante des questions suggestives inadmissibles.  Une question suggestive est une question qui suggère une réponse ou présume un état de fait qui est par ailleurs contesté.  En l’espèce, les questions du procureur de la Couronne à la plaignante lors de l’interrogatoire principal n’ont pas franchi ce seuil.  En présence d’une enfant réticente à répondre, le procureur a posé à celle‑ci des questions à caractère binaire, qui lui laissaient le choix entre deux réponses.  Ces questions ne suggéraient toutefois pas une réponse précise.  Les principaux éléments de l’infraction ont été obtenus de la plaignante par des questions non suggestives.  Nous ne sommes pas convaincus que le témoignage de cette dernière, considéré globalement, a été obtenu irrégulièrement au moyen de questions suggestives.

dimanche 26 novembre 2023

La partie qui cherche à présenter un élément de preuve doit être prête à convaincre le tribunal de sa pertinence et de son admissibilité

R. c. Darrach, 2000 CSC 46

Lien vers la décision


37                              Un accusé n’a jamais eu le droit de produire des éléments de preuve non pertinents.  Il n’a pas non plus le droit de produire des éléments de preuve trompeurs pour étayer des déductions illégitimes:  «il n’est pas permis à l’accusé de fausser la fonction de recherche de la vérité du processus judiciaire» (Mills, précité, au par. 74).  Comme le par. 276(1) établit une règle de preuve qui n’exclut que les éléments de preuve non pertinents, il ne peut pas porter atteinte au droit de l’accusé à une défense pleine et entière.  Le paragraphe 276(2) est plus compliqué et je vais maintenant l’examiner.

46                              Une règle de preuve fondamentale veut que la partie qui cherche à présenter un élément de preuve soit prête à convaincre le tribunal de sa pertinence et de son admissibilité.  Dans R. c. B. (K.G.), 1993 CanLII 116 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 740, à la p. 800, le juge en chef Lamer a indiqué que le fardeau de preuve applicable en matière de voir-dire à cet égard (dans ce cas, des déclarations antérieures incompatibles) est celui de «la prépondérance des probabilités, le fardeau habituel incombant à la partie qui cherche à faire admettre une preuve» (je souligne).  Tout comme pour la preuve par ouï‑dire, la preuve de moralité et la preuve de faits similaires, l’admissibilité de la preuve du comportement sexuel antérieur fait l’objet de restrictions.  La défense qui cherche à présenter une telle preuve doit établir qu’elle étaye au moins une déduction pertinente quelconque.  Le législateur a énoncé des critères d’admissibilité au par. 276(2) afin de guider les juges du procès dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire à cet égard.

Une déclaration extrajudiciaire inadmissble selon la règle des confessions peut néanmoins servir aux fins d'un voir‑dire constitutionnel

R. c. Paterson, 2017 CSC 15

Line vers la décision

[18]                          À mon avis, la portée de la règle des confessions ne devrait pas être accrue comme le préconise l’appelant. Plus particulièrement, et pour les raisons qui suivent, la règle ne devrait pas s’appliquer aux déclarations considérées lors d’un voir‑dire constitutionnel.

[19]                          Premièrement, les prétentions de l’appelant méconnaissent l’objet de l’examen auquel se livre le tribunal lors d’un voir‑dire constitutionnel et le fait que cet objet se distingue de celui d’un procès criminel, lequel se soucie de la culpabilité ou de la non‑culpabilité de la personne accusée d’une infraction, alors que le voir‑dire constitutionnel ne s’attache pas à la culpabilité de l’accusé, mais plutôt au respect ou non de ses droits constitutionnels. Le voir‑dire constitutionnel suppose donc l’analyse de la totalité des circonstances connues du représentant de l’État et sur lesquelles ce dernier s’est fondé au moment de prendre la mesure en cause. Plus précisément, seuls sont considérés l’état d’esprit et la conduite du représentant de l’État à ce moment précis, et la véracité de la déclaration à partir de laquelle il a agi ne l’est pas. C’est pourquoi la véracité d’une déclaration n’a pas d’incidence sur son admissibilité; l’examen s’attache plutôt à la question de savoir s’il était raisonnable que le représentant de l’État voie dans la déclaration un motif justifiant la mesure.

mercredi 8 novembre 2023

La preuve circonstancielle pour prouver l’infraction énoncée à l’al. 320.14 (1) b) du Code criminel

Bakalis c. R., 2021 QCCS 3990 

Lien vers la décision


[18]        Pour prouver l’infraction énoncée à l’al. 320.14 (1) b) du Code criminel, la Couronne doit, bien évidemment, prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé a conduit un véhicule. Elle doit aussi prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé a eu, dans les deux heures suivant le moment où il a cessé de conduire, une alcoolémie égale ou supérieure à la limite prescrite par la loi. Il s’agit de la substance même de l’infraction.

[19]        En matière de preuve circonstancielle, l’arrêt R. c. Villaroman2016 CSC 33 de la Cour suprême du Canada enseigne que l’analyse consiste à examiner les inférences raisonnables pouvant être tirées de la preuve circonstancielle pour déterminer si ces inférences établissent la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable. L’examen doit être fondé sur la logique et le bon sens. Ainsi, il importe de se mettre en garde contre le risque de combler les vides ou de sauter trop rapidement aux conclusions. De même, il faut se demander si la preuve circonstancielle supporte d’autres thèses ou possibilités raisonnables que la culpabilité, car un doute raisonnable peut émaner d’une inférence raisonnable incompatible avec la culpabilité. Cependant, une telle inférence disculpatoire doit être raisonnable, c’est-à-dire logiquement fondée sur la preuve ou sur une lacune dans la preuve. Les conjectures et hypothèses imaginaires ne peuvent pas susciter un doute raisonnable (voir aussi R. c. Mayuran2012 CSC 31, para. 38R. c. Griffin2009 CSC 28, para. 33R. c. Cooper1977 CanLII 11 (CSC)[1978] 1 RCS 860, p. 881; Sheikh c. R., 2020 QCCA 1266, para. 37, motifs dissidents approuvés à 2021 CSC 13; McClelland c. R., 2020 QCCA 324, para. 64-68Proulx c. R., 2016 QCCA 1425, para. 78-80R. c. Robinson2017 BCCA 6, para. 20-30).

[20]        M. Bakalis plaide que la preuve circonstancielle présentée au procès était insuffisante. Il soutient que le fait que la preuve n’a pas révélé qu’il était en possession des clés du véhicule au moment de son interpellation. Aussi, il reproche au juge d’avoir fait montre d’incohérence en affirmant, d’une part, que le conducteur ne pouvait être personne d’autre que M. Bakalis considérant la faible densité de la circulation à cette heure matinale et, d’autre part, qu’il n’a pas pu s’écouler une longue période avant que l’accident soit signalé par un automobiliste passant par là. Par ailleurs, il est acquis que l’appel à la police constituait du ouï-dire et ne prouvait ni l’accident ni le moment de celle-ci.

[21]        Il demeure que la situation de M. Bakalis, telle que décrite par la policière ayant témoigné, permettait amplement au juge du procès d’inférer hors de tout doute raisonnable que M. Bakalis était le conducteur du véhicule. Ensuite, cette preuve, bien qu’elle n’établissait pas l’heure précise de l’accident, permettait au juge d’inférer hors de tout doute raisonnable que cet accident était récent. La preuve du délai de deux heures pouvait être faite sans prouver exactement le moment de la cessation de la conduite. Au passage, mentionnons que le para. 320.31 (4) du Code criminel prévoit que l’alcoolémie dans ce délai peut être déterminée au moyen d’un rétrocalcul. Rappelons que M. Bakalis a été trouvé au petit matin, au milieu d’une autoroute, à Laval, à côté d’un véhicule accidenté enregistré à son adresse de résidence. Tout scénario disculpatoire relève de la spéculation ou de l’hypothèse imaginaire.

[22]        Les conclusions du juge du procès eu égard à la preuve circonstancielle sont raisonnables et doivent être considérées avec déférence en appel (Domond c. R., 2021 QCCA 412, para. 38-40Bélanger c. R., 2020 QCCA 431, para. 41-45Dubourg c. R., 2018 QCCA 1999, para. 17-22).

La mens rea de l’infraction de conduite avec capacité affaiblie & la défense d’intoxication involontaire

Garneau c. R., 2023 QCCA 131

Lien vers la décision


[26]      La mens rea de l’infraction de conduite avec capacité affaiblie « réside dans le fait de s’intoxiquer volontairement »[12]. L’accusé doit être acquitté lorsque sa défense d’intoxication involontaire est retenue, c’est-à-dire « si une preuve soulève un doute raisonnable sur la capacité qu’avait cette personne, au moment où elle a décidé de conduire, de réaliser le caractère sérieux et inadéquat de son état sans une faute de sa part »[13].

[27]      Dans l’arrêt The Queen c. King, la Cour suprême, sous la plume du juge Ritchie, est venue préciser que la démonstration des éléments de l’infraction de conduite avec capacité affaiblie donne lieu à une présomption d’intoxication volontaire pouvant être réfutée par le biais d’une preuve soulevant un doute raisonnable :

The existence of mens rea as an essential ingredient of an offence and the method of proving the existence of that ingredient are two different things, and I am of opinion that when it has been proved that a driver was driving a motor vehicle while his ability to do so was impaired by alcohol or a drug, then a rebuttable presumption arises that his condition was voluntarily induced and that he is guilty of the offence created by s. 223 [now s. 320.14(1)a) of the Criminal Code] and must be convicted unless other evidence is adduced which raises a reasonable doubt as to whether he was, through no fault of his own, disabled when he undertook to drive and drove, from being able to appreciate and know that he was or might become impaired.[14]

[28]      Ainsi, lorsqu’un accusé soulève une défense d’intoxication involontaire, il assume un fardeau de présentation pour démontrer que sa défense satisfait le critère de vraisemblance. Il ne s’agit pas d’un fardeau de persuasion, puisqu’il revient au ministère public d’établir les éléments de l’infraction, dont l’intention coupable hors de tout doute raisonnable. L’accusé pourra ainsi être acquitté si la preuve soulève un doute raisonnable sur le caractère volontaire de son intoxication[15]. Il n’aura toutefois pas à faire la démonstration par preuve prépondérante d’une intoxication involontaire. Si, sur la base de l’ensemble de la preuve, le tribunal entretient un doute raisonnable quant au caractère volontaire de l’intoxication, l’accusé devra alors être acquitté.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Le ré-interrogatoire

R. v. Lavoie, 2000 ABCA 318 Lien vers la décision Re-examination of Stephen Greene, Re-cross-examination of Stephen Greene   [ 46 ]        T...