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samedi 14 septembre 2024

Les principes essentiels devant guider le juge dans l’application de l’al. 515(10)c) C. cr.

R. c. St-Cloud, 2015 CSC 27 

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[87]                          Je résumerais ainsi les principes essentiels qui doivent guider le juge dans l’application de l’al. 515(10)cC. cr. :

                                    L’alinéa 515(10)cC. cr. ne prévoit pas un motif résiduel de détention, applicable seulement lorsque les deux premiers motifs de détention (al. a) et b)) ne sont pas satisfaits. Il s’agit d’un motif distinct permettant à lui seul d’ordonner la détention avant procès d’un accusé.

                                    L’alinéa 515(10)cC. cr. ne doit pas être interprété restrictivement (ou appliqué avec parcimonie), ni s’appliquer que dans de rares cas ou circonstances exceptionnelles, ou pour certains types de crime seulement.

                                    Les quatre circonstances énumérées à l’al. 515(10)cC. cr. ne sont pas exhaustives.

                                    Le tribunal ne doit pas automatiquement ordonner la détention même si les quatre circonstances énumérées favorisent ce résultat.

                                    Le tribunal doit plutôt tenir compte de toutes les circonstances propres à chaque cas d’espèce, en prêtant une attention particulière aux quatre circonstances énumérées.

                                    Le caractère « inexplicable » ou « inexpliqué » du crime n’est pas un critère devant guider l’analyse.

                                    Aucune circonstance n’est déterminante en soi. Le juge doit considérer les effets combinés de toutes les circonstances de chaque affaire qui lui permettront de déterminer si la détention est justifiée.

                                    Il s’agit d’un exercice de pondération de toutes les circonstances pertinentes, au terme duquel le tribunal doit ultimement se poser la question suivante : la détention est-elle nécessaire pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice? Tel est le test à satisfaire sous l’al. 515(10)c).

                                    Pour répondre à cette question, le tribunal doit adopter le point de vue du « public », c’est-à-dire celui d’une personne raisonnable, bien informée de la philosophie des dispositions législatives, des valeurs consacrées par la Charte et des circonstances réelles de l’affaire. Cette personne n’est toutefois pas un juriste et n’est pas en mesure d’apprécier les subtilités des différentes défenses qui s’offrent à l’accusé.

                                    La confiance de cette personne raisonnable envers l’administration de la justice peut être minée tout autant si le tribunal refuse d’ordonner une détention justifiée compte tenu des circonstances de l’espèce, que lorsqu’il l’ordonne alors qu’elle est injustifiée.

[88]                          En conclusion, en présence d’un crime grave ou très violent, lorsque la preuve contre l’accusé est accablante, et que la ou les victimes sont vulnérables, la détention préventive sera habituellement ordonnée.

Principes généraux régissant les conditions de mise en liberté sous caution

R. c. Zora, 2020 CSC 14 

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[83]                        Toutes les personnes qui jouent un rôle dans l’établissement des conditions de mise en liberté sous caution doivent se reporter aux principes généraux en cette matière, qui restreignent la façon dont les conditions sont établies. Comme le Code prévoit par défaut la mise en liberté sans condition, la première question consiste à savoir s’il a été démontré que l’imposition de conditions est nécessaire. Selon les principes de retenue et de l’échelle, quiconque propose d’ajouter des conditions de mise en liberté sous caution doit chercher à savoir si l’un des risques mentionnés au par. 515(10) est en cause et comprendre quels risques précis se poseraient si la personne prévenue était libérée sans condition : cette personne présente‑t‑elle un risque de fuite, sa mise en liberté pose‑t‑elle un risque pour la protection ou la sécurité du public ou est‑elle susceptible de miner la confiance du public envers l’administration de la justice?

[84]                        Seules les conditions qui ciblent les risques précis mentionnés au par. 515(10) sont nécessaires. Si la personne prévenue pose un risque de fuite, mais aucun autre risque, seules les conditions qui réduisent ce risque au minimum devraient être imposées. De même, si la personne prévenue pose un risque pour la sécurité ou la protection du public, seules les conditions les moins sévères possible pour répondre à cette menace précise devraient être imposées (R. c. S.K.1998 CanLII 13344 (C. prov. Sask.), par. 16‑19). De plus, de telles conditions ne seront pas nécessaires pour la protection ou la sécurité du public simplement du fait qu’il est possible que la personne prévenue commette une autre infraction pendant sa mise en liberté sous caution, à moins qu’il n’y ait une « probabilité marquée » qu’elle commette une infraction compromettant la protection ou la sécurité du public (Morales, p. 736‑737; al. 515(10)b)). Toute condition imposée pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice doit être fondée sur l’examen, du point de vue d’un membre raisonnable du public, de l’effet combiné de toutes les circonstances pertinentes, et tout particulièrement des quatre facteurs énoncés à l’al. 515(10)c) : le fait que l’accusation paraît fondée, la gravité de l’infraction, les circonstances entourant sa perpétration et la question de savoir si la personne prévenue encourt une longue peine d’emprisonnement (St‑Cloud, par. 55‑71 et 79).

[85]                        L’exigence de nécessité signifie aussi que la condition particulière doit atténuer les risques qui empêcheraient autrement la libération de la personne prévenue sans cette condition. Les conditions ne peuvent être imposées de façon injustifiée ou dans un but punitif (Antic, par. 67j); Birtchnell, par. 27‑28R. c. McDonald, 2010 ABQB 770, par. 34‑36 (CanLII)). Une condition qui peut convenir en vue d’un objectif de détermination de la peine, comme la réadaptation, ne sera pas appropriée à moins qu’elle ne vise à répondre aux risques prévus au par. 515(10) (Omeasoo, par. 31). Les conditions ne devraient pas être fondées sur un comportement (R. c. K. (R.)2014 ONCJ 566, par. 14‑19 (CanLII); J.A.D., par. 9 et 11). Une condition qui semble simplement [traduction] « bonne à avoir », mais qui n’est pas nécessaire pour la mise en liberté de la personne prévenue, n’est pas appropriée (Birtchnell, par. 40). Même si une condition donnée se veut thérapeutique, vise à aider ou « ne pourrait pas faire de mal », la possibilité qu’une responsabilité criminelle additionnelle soit engagée en vertu du par. 145(3) signifie que de telles limites à un comportement qui serait autrement légal pourraient aussi entraîner des sanctions pénales. La Cour insiste sur la retenue dans l’arrêt Antic, au par. 67j) :

        Les conditions de mise en liberté visées au par. 515(4) ne peuvent [traduction] « être imposées que dans la mesure où elles sont nécessaires » pour dissiper les préoccupations liées aux critères légaux de détention et pour permettre la mise en liberté de [la personne accusée]. Elles ne doivent pas être imposées pour modifier le comportement de [la personne accusée] ou pour [la] punir. [Note en bas de page omise.]

[86]                        De plus, les conditions de mise en liberté sous caution doivent être suffisamment liées aux risques définis dans la loi. Elles devraient être définies aussi étroitement que possible pour réaliser leur objectif de répondre aux risques prévus au par. 515(10) (R. c. D.A., 2014 ONSC 2166, [2014] O.J. No. 2059 (QL), par. 14‑17; R. c. Pammett, 2014 ONSC 5597, par. 10‑12 (CanLII); R. c. Clarke[2000] O.J. No. 5738 (QL) (C.S.), par. 9 et 12K. (R.), par. 14‑19J.A.D., par. 9 et 11). Comme pour l’établissement des conditions de probation, le lien entre une condition non énumérée et un risque prévu au par. 515(10) devrait être comparable aux liens évidents entre les conditions énumérées au par. 515(4) et les risques prévus au par. 515(10) (R. c. Shoker2006 CSC 44, [2006] 2 R.C.S. 399, par. 13‑14). Récemment, dans l’arrêt Penunsi, la Cour l’a souligné en ce qui a trait aux conditions relatives aux engagements de ne pas troubler l’ordre public :

        Lorsqu’elle n’est pas manifestement rattachée à la crainte alléguée, la condition risque davantage d’amener [la partie défenderesse] à ne pas la respecter [. . .] Aucune condition ne devrait être sévère au point de constituer dans les faits une ordonnance de détention en vouant [la partie défenderesse] à l’échec. [Références omises; par. 80.]

[87]                        Les conditions de mise en liberté sous caution doivent être raisonnables. Comme pour les conditions de probation, les conditions de mise en liberté sous caution ne peuvent contrevenir à une loi fédérale ou provinciale ou encore à la Charte (Shoker, par. 14). Les conditions de mise en liberté sous caution énumérées aux par. 515(4) à (4.2) aident à déterminer l’étendue du pouvoir discrétionnaire dont dispose l’entité judiciaire pour imposer d’autres conditions raisonnables non énumérées de mise en liberté sous caution (Shoker, par. 14). Les conditions doivent être claires, peu intrusives et proportionnées à tout risque posé. Aussi, elles ne seront raisonnables que si, de façon réaliste, elles peuvent être et seront respectées par la personne prévenue, car [traduction] « [e]xiger que la personne prévenue soit tenue à l’impossible ne constitue qu’un autre moyen de la priver d’une mise en liberté provisoire par voie judiciaire » en faisant en sorte qu’elle échoue, en plus de lui faire courir le risque d’engager sa responsabilité criminelle si elle omet de se conformer à une condition (Omeasoo, par. 33 et 37‑38; voir aussi Penunsi, par. 80). Comme l’a noté le juge Rosborough dans la décision Omeasoo, le retrait d’une condition déraisonnable n’exposera pas la collectivité à plus de risques que l’imposition d’une condition impossible à respecter pour la personne prévenue (par. 39). Les conditions raisonnables ne doivent pas non plus restreindre les droits garantis par la Charte à la personne prévenue, comme la liberté d’expression ou d’association, à moins que la condition soit raisonnablement liée aux risques que pose la personne prévenue, soit le risque de fuite, le risque d’atteinte à la sécurité du public ou le risque que le public perde confiance envers l’administration de la justice, ou qu’elle soit nécessaire pour répondre à de tels risques (R. c. Manseau, [1997] AZ‑51286266 (C.S. Qc)Clarke).

[88]                        Les conditions de mise en liberté sous caution doivent être adaptées aux risques individuels que pose la personne prévenue. On ne devrait pas imposer machinalement une liste de conditions. La seule condition de mise en liberté sous caution qui devrait être systématiquement imposée est celle qui exige la présence au tribunal de la personne prévenue (Birtchnell, par. 6), ainsi que celles qui doivent être envisagées pour certaines infractions aux termes des par. 515(4.1) à (4.3). Le recours à des listes de vérification pour passer en revue les conditions possibles ne pose aucun problème. Il n’y a problème que si des conditions sont simplement ajoutées, non parce qu’elles sont strictement nécessaires, mais simplement par habitude, parce que la personne prévenue y a consenti ou parce qu’un changement de comportement serait considéré comme souhaitable. Les conditions de mise en liberté sous caution peuvent être faciles à imposer, mais difficiles à vivre.

[89]                        En résumé, les questions suivantes peuvent aider à structurer l’analyse afin que les principes de retenue et de révision fassent réellement partie intégrante de l’élaboration de conditions de mise en liberté sous caution appropriées :

                     Si elle était libérée sans condition, la personne prévenue poserait‑elle un risque précis prévu par la loi qui justifie l’imposition de conditions de mise en liberté sous caution? Si la personne prévenue est libérée sans condition, existe‑t‑il un risque qu’elle ne se présente pas au tribunal au moment exigé, qu’il y ait atteinte à la sécurité ou à la protection du public ou que soit minée la confiance du public envers l’administration de la justice?

                     La condition est‑elle nécessaire? Si la condition n’était pas imposée, y aurait‑il un risque de fuite de la part de la personne prévenue, un risque d’atteinte à la protection ou à la sécurité du public ou un risque que le public perde confiance envers l’administration de la justice, qui empêcherait le tribunal de libérer la personne prévenue sur remise d’une promesse sans condition?

                     La condition est‑elle raisonnable? La condition est‑elle claire et proportionnelle au risque que pose la personne prévenue? Peut‑on s’attendre à ce que la personne prévenue respecte la condition de façon sécuritaire et raisonnable? Sur le fondement de ce que l’on sait de la personne prévenue, est‑il probable que ses conditions de vie, sa dépendance, son handicap ou sa maladie fassent en sorte qu’elle serait incapable de se conformer à la condition?

                     La condition est‑elle suffisamment liée aux motifs de détention prévus à l’al. 515(10)c)? Se limite‑t‑elle à répondre au risque précis que pose la libération de la personne prévenue?

                     Quel est l’effet cumulatif de toutes les conditions? Prises ensemble, constituent‑elles les conditions les moins nombreuses et les moins sévères nécessaires dans les circonstances?

Ces questions sont interreliées et n’ont pas besoin d’être abordées dans un ordre particulier, ni d’être posées et de recevoir une réponse concernant chaque condition dans tous les cas. Compte tenu des considérations d’ordre pratique des tribunaux chargés des remises en liberté sous caution, qui sont très occupés, il n’est ni réaliste ni souhaitable d’exiger que les entités judiciaires se penchent sur les conditions qui ne soulèvent pas de préoccupations particulières. Ce qui importe est que quiconque participe à l’établissement des conditions de mise en liberté sous caution recoure à ce type de questions pour orienter les politiques et évaluer quelles conditions devraient être visées et imposées.

[90]                        Lorsque l’on examine le caractère approprié des conditions de mise en liberté sous caution, il faut garder à l’esprit que l’infraction criminelle créée au par. 145(3) non seulement recommande la retenue et la révision, mais fournit un cadre de référence additionnel qui intègre des considérations de proportionnalité dans l’évaluation. Étant donné la relation directe entre l’imposition de conditions et le manquement, les évaluations de la nécessité et du caractère raisonnable dont il est question dans l’arrêt Antic devraient aussi tenir compte du fait que les omissions de se conformer aux conditions imposées deviennent des crimes distincts contre l’administration de la justice. Par conséquent, la question est la suivante : est‑il nécessaire et raisonnable d’imposer cette condition susceptible d’entraîner une responsabilité criminelle, alors que l’on sait que le manquement peut donner lieu à une privation de liberté en raison d’une accusation ou d’une déclaration de culpabilité au titre du par. 145(3)? En résumé, lors de l’examen de la question de savoir si une condition proposée répond à un risque établi et précis, il faut chercher à savoir s’il serait proportionné qu’un manquement à cette condition constitue une infraction criminelle ou devienne une raison de révoquer la mise en liberté sous caution.


dimanche 8 septembre 2024

Comment définir la norme du doute raisonnable à un jury

R. c. Starr, 2000 CSC 40

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242                           J’estime qu’une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu’elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités.  Comme l’arrêt Lifchus l’a précisé, le juge du procès est tenu d’expliquer qu’il faut moins que la certitude absolue et plus que la culpabilité probable pour que le jury prononce une déclaration de culpabilité.  Ces deux normes subsidiaires se comprennent assez facilement.  Il sera très utile au jury que le juge du procès situe la norme du doute raisonnable de la bonne façon entre ces deux normes.  Les directives supplémentaires au jury qui ont été énoncées dans Lifchus, quant au sens du doute raisonnable et à la façon d’en déterminer l’existence, servent à définir ce qui sépare la certitude absolue de la preuve hors de tout doute raisonnable.  À cet égard, je suis d’accord avec le juge Twaddle de la Cour d’appel lorsqu’il dit, à la p. 177:

 

[traduction]  Si les normes de preuve étaient inscrites sur un étalon de mesure, la preuve «hors de tout doute raisonnable» se situerait beaucoup plus près de la «certitude absolue» que de la «prépondérance des probabilités».  De la même manière que le juge est tenu de dire au jury que la certitude absolue n’est pas requise, il lui incombe, à mon avis, de lui dire que la norme en matière criminelle est plus qu’une probabilité.  Les mots qu’il utilise pour transmettre cette idée n’ont pas d’importance, mais l’idée elle‑même doit être transmise. . .

Quelle est l'essence du droit à l'avocat?

R. c. Dussault, 2022 CSC 16

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[56]                        Dans R. c. Rover2018 ONCA 745, 143 O.R. (3d) 135, le juge Doherty a décrit le droit à l’assistance d’un avocat comme un [traduction] « canal de communication » grâce auquel les personnes détenues obtiennent des conseils juridiques et « ont aussi le sentiment qu’elles ne sont pas entièrement à la merci des policiers pendant leur détention » : par. 45; voir aussi R. c. Tremblay2021 QCCA 24, 69 C.R. (7th) 28, par. 40. Je suis d’accord. En l’espèce, la conduite policière a eu pour effet de miner et de dénaturer les conseils que M. Dussault avait reçus. Les policiers auraient dû offrir à ce dernier une seconde possibilité de rétablir son « canal de communication », mais ils ne l’ont pas fait. En ne le faisant pas, ils ont violé les droits que l’al. 10b) garantit à M. Dussault.

L’arrêt Sinclair et le droit à une seconde consultation

R. c. Dussault, 2022 CSC 16

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[30]                        L’alinéa 10b) de la Charte précise que chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention, « d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit ». Exprimé de la manière la plus large possible, l’objet du droit à l’assistance d’un avocat consiste à « fournir au détenu l’occasion d’obtenir des conseils juridiques propres à sa situation juridique » : Sinclair, par. 24.

[31]                        L’alinéa 10b) impose des obligations correspondantes à l’État. Les policiers doivent informer les détenus de leur droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat (l’obligation d’information), et ils doivent fournir aux détenus qui invoquent ce droit une possibilité raisonnable de l’exercer (l’obligation de mise en application). L’inobservation de l’une ou l’autre de ces obligations entraîne une violation de l’al. 10b) : Sinclair, par. 27, citant R. c. Manninen1987 CanLII 67 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 1233.

[32]                        Les policiers peuvent normalement s’acquitter de leur obligation de mise en application en facilitant « une seule consultation, au moment de la mise en détention ou peu après celle‑ci » : Sinclair, par. 47. Dans ce contexte, la consultation vise à faire en sorte que « la décision du détenu de coopérer ou non à l’enquête soit à la fois libre et éclairée » : par. 26. Quelques minutes au téléphone avec un avocat peuvent suffire, même si les accusations sont très graves : voir, p. ex., R. c. Willier2010 CSC 37, [2010] 2 R.C.S. 429.

[33]                        Sur ce point, il convient de réitérer ce que les juges majoritaires ont clairement énoncé dans Sinclair : les détenus n’ont pas le droit d’obtenir l’assistance continue d’un avocat, et les policiers n’ont pas l’obligation de faciliter une telle assistance. Bien que d’autres pays reconnaissent le droit à la présence d’un avocat pendant toute la durée d’un interrogatoire policier, ce n’est pas le cas au Canada. Les tribunaux et les législateurs canadiens ont adopté une approche différente afin de concilier les droits individuels des détenus et l’intérêt du public à ce que les lois soient appliquées de manière efficace : Sinclair, par. 37‑39.

[34]                        Une fois qu’un détenu a consulté un avocat, les policiers ont le droit de commencer à recueillir des éléments de preuve, et c’est uniquement de façon exceptionnelle qu’il sont obligés de lui offrir une possibilité additionnelle de recevoir des conseils juridiques. Dans l’arrêt Sinclair, la juge en chef McLachlin et la juge Charron, qui ont rédigé les motifs de la majorité, ont expliqué que le droit a jusqu’ici reconnu trois catégories de « changement[s] de circonstances » pouvant faire renaître le droit d’un détenu à l’assistance d’un avocat : « . . . le détenu est soumis à des mesures additionnelles; un changement est survenu dans les risques courus par le détenu; il existe des raisons de croire que les renseignements fournis initialement comportent des lacunes » (par. 2). Bien entendu, pour que l’un ou l’autre de ces « changement[s] de circonstances » donne naissance au droit de consulter de nouveau, il doit être « objectivement observable ».

[35]                        À titre d’exemple précis de la troisième catégorie énumérée ci‑dessus, les juges majoritaires ont expliqué, au par. 52, que le droit de la personne détenue d’avoir recours à l’assistance d’un avocat peut renaître si la police « mine » les conseils juridiques qu’elle a reçus :

      De même, si la police mine les conseils juridiques reçus par le détenu, cela peut avoir pour effet de les dénaturer ou de les réduire à néant, ce qui entrave la réalisation de l’objet de l’al. 10b). Pour faire contrepoids à cet effet, on a estimé nécessaire d’accorder de nouveau au détenu le droit de consulter un avocat. Voir [R. c.Burlingham[, 1995 CanLII 88 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 206].


Dans quelles circonstances l'utilisation d'une arme en direction de quelqu'un peut constituer des voies de fait?

Bouchard-Sasseville c. R., 2020 QCCS 5009 

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[20]        Dans le contexte de cette affaire, l’exhibition par Bouchard-Sasseville de ce qui ressemble à une arme à feu, et de ce qu’il sous-entend être une vraie arme à feu, est manifestement assimilable en droit à une menace actualisable d’employer la force au sens de l’al 265(1)b); au port, à l’utilisation ou à la menace d’utilisation d’une arme au sens de l’al. 267a) C.cr.; et à l’utilisation d’une arme à feu ou d’une fausse arme lors de la commission de voies de fait, au sens de l’art 85 C.cr.

[21]        Pour s’en convaincre, le Tribunal réfère à certains précédents disposant directement des arguments mis de l’avant par Bouchard-Sasseville:

R. v. Horner2018 ONCA 971, par. 13 à 16, où la Cour d’appel de l’Ontario confirme qu’en s’avançant avec un couteau en direction d’une personne qui lui a demandé de quitter les lieux, l’inculpé a commis des voies de fait au sens de l’al 265(1)b), et au surplus des voies de fait armées au sens de l’al. 267a) C.cr;

R. v. Steele2007 CSC 36 (CanLII), 2007 3 RCS 3, par. 13 à 16, où la Cour suprême retient que celui qui, à l’occasion d’une introduction par effraction, mentionne aux occupants du lieu qu’il a une arme à feu, et qui tient en main quelque chose qui ressemble à une arme à feu, utilise une arme ou fausse arme à feu au sens de l’art. 85 C.cr.

[22]        De plus, l’opinion exprimée dans l’obiter de Colburne lie d’autant moins le Tribunal que la proposition qu’on y pose (par. 86 : braquer une arme en direction de quelqu'un peut constituer des voies de fait, mais pas des voies de fait armées), et le résultat auquel elle conduit, ont été mis de côté dans l’arrêt R. c. Thibault2015 QCCA 400 (par. 8 : pointer une arme à bout touchant sur la victime constitue des voies de fait armées). Dans Thibault, la Cour d’appel casse l’acquittement prononcé sur un chef de voies de fait armées et la condamnation prononcée sur l’infraction moindre de voies de fait, et y substitue une déclaration de culpabilité pour des voies de fait armées.

[23]        Enfin, le Tribunal est d’avis que, dans les cas où il y a totale redondance entre les éléments constitutifs des voies de fait, tels que définis à l’art. 265, et les éléments constitutifs de l’infraction de voies de fait armées, et donc absence d’élément additionnel pour cette forme aggravée de voies de fait, l’approche à adopter est celle retenue par le juge Healy, alors qu’à la Cour du Québec, dans R. v. Mancini2008 QCCQ 2006, par 38-43 : « A court does not have a choice between the greater and lesser offence in these circumstances » (par. 43).

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

L’article 739.1 C.cr. prévoit que les moyens financiers ou la capacité de payer du délinquant n’empêchent pas le Tribunal de rendre l’ordonnance visée à l’article 738 C.cr

R. c. Lavallée, 2016 QCCA 1655  Lien vers la décision [ 15 ]          At the outset, it is useful to note that the  Victims Bill of Rights A...