dimanche 8 septembre 2024

L’arrêt Sinclair et le droit à une seconde consultation

R. c. Dussault, 2022 CSC 16

Lien vers la décision


[30]                        L’alinéa 10b) de la Charte précise que chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention, « d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit ». Exprimé de la manière la plus large possible, l’objet du droit à l’assistance d’un avocat consiste à « fournir au détenu l’occasion d’obtenir des conseils juridiques propres à sa situation juridique » : Sinclair, par. 24.

[31]                        L’alinéa 10b) impose des obligations correspondantes à l’État. Les policiers doivent informer les détenus de leur droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat (l’obligation d’information), et ils doivent fournir aux détenus qui invoquent ce droit une possibilité raisonnable de l’exercer (l’obligation de mise en application). L’inobservation de l’une ou l’autre de ces obligations entraîne une violation de l’al. 10b) : Sinclair, par. 27, citant R. c. Manninen1987 CanLII 67 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 1233.

[32]                        Les policiers peuvent normalement s’acquitter de leur obligation de mise en application en facilitant « une seule consultation, au moment de la mise en détention ou peu après celle‑ci » : Sinclair, par. 47. Dans ce contexte, la consultation vise à faire en sorte que « la décision du détenu de coopérer ou non à l’enquête soit à la fois libre et éclairée » : par. 26. Quelques minutes au téléphone avec un avocat peuvent suffire, même si les accusations sont très graves : voir, p. ex., R. c. Willier2010 CSC 37, [2010] 2 R.C.S. 429.

[33]                        Sur ce point, il convient de réitérer ce que les juges majoritaires ont clairement énoncé dans Sinclair : les détenus n’ont pas le droit d’obtenir l’assistance continue d’un avocat, et les policiers n’ont pas l’obligation de faciliter une telle assistance. Bien que d’autres pays reconnaissent le droit à la présence d’un avocat pendant toute la durée d’un interrogatoire policier, ce n’est pas le cas au Canada. Les tribunaux et les législateurs canadiens ont adopté une approche différente afin de concilier les droits individuels des détenus et l’intérêt du public à ce que les lois soient appliquées de manière efficace : Sinclair, par. 37‑39.

[34]                        Une fois qu’un détenu a consulté un avocat, les policiers ont le droit de commencer à recueillir des éléments de preuve, et c’est uniquement de façon exceptionnelle qu’il sont obligés de lui offrir une possibilité additionnelle de recevoir des conseils juridiques. Dans l’arrêt Sinclair, la juge en chef McLachlin et la juge Charron, qui ont rédigé les motifs de la majorité, ont expliqué que le droit a jusqu’ici reconnu trois catégories de « changement[s] de circonstances » pouvant faire renaître le droit d’un détenu à l’assistance d’un avocat : « . . . le détenu est soumis à des mesures additionnelles; un changement est survenu dans les risques courus par le détenu; il existe des raisons de croire que les renseignements fournis initialement comportent des lacunes » (par. 2). Bien entendu, pour que l’un ou l’autre de ces « changement[s] de circonstances » donne naissance au droit de consulter de nouveau, il doit être « objectivement observable ».

[35]                        À titre d’exemple précis de la troisième catégorie énumérée ci‑dessus, les juges majoritaires ont expliqué, au par. 52, que le droit de la personne détenue d’avoir recours à l’assistance d’un avocat peut renaître si la police « mine » les conseils juridiques qu’elle a reçus :

      De même, si la police mine les conseils juridiques reçus par le détenu, cela peut avoir pour effet de les dénaturer ou de les réduire à néant, ce qui entrave la réalisation de l’objet de l’al. 10b). Pour faire contrepoids à cet effet, on a estimé nécessaire d’accorder de nouveau au détenu le droit de consulter un avocat. Voir [R. c.Burlingham[, 1995 CanLII 88 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 206].


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