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dimanche 2 février 2025

Le droit applicable à l'infraction de menaces

R. c. Bergeron, 2022 QCCQ 9410 

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[17]        L’infraction prévue à l’article 264.1 du Code criminel vise à prévenir les menaces qui suscitent la crainte ou l’intimidation[1].

[18]        Elle protège la liberté de choix et d’action de toute personne[2].

[19]        Il n’est pas nécessaire que la menace soit exécutée; l’infraction est complète lorsque la menace est proférée[3].

[20]        Il est entendu que des paroles prononcées à la blague, ou de manière tel qu’elles ne pouvaient être prises au sérieux, ne sont pas visées par cette infraction[4]. Toutefois, des paroles menaçantes, même accompagnées de rires ou d’un message voulant qu’il s’agit d’une blague peuvent constituer une menace au sens du Code criminel[5].

[21]        Comme toute infraction criminelle, le crime de menace comporte un acte prohibé (actus reus) et un état d’esprit concordant (mens rea). Les deux doivent coexister.

L’acte prohibé

[22]        L’acte prohibé est le fait de proférer des menaces de mort ou de blessures graves[6]. L’article 264.1 du Code criminel vise toute forme de communication : verbale, écrite ou gestuelle[7]. L’expression « blessures graves » vise toute blessure physique ou psychologique qui nuit d’une manière importante à l’intégrité, à la santé ou au bien-être physique ou psychologique d’un plaignant[8].

[23]        La question de savoir si des mots constituent une menace doit être tranchée suivant une norme objective, en utilisant le critère de la personne raisonnable[9].

[24]        Le Tribunal doit déterminer quel est le sens qu’une personne raisonnable donnerait aux mots utilisés, en tenant compte des circonstances ou du contexte dans lesquelles ils s’inscrivent, de la manière dont ils ont été proférés ou transmis et de la personne à qui ils étaient destinés[10]. Cette personne raisonnable est une personne objective, bien renseignée, sensée, pratique et réaliste[11].

[25]        Le point de départ de l’analyse doit toujours être le sens ordinaire des mots proférés[12]. Par exemple, les termes utilisés sont-ils explicites et clairs, ou plutôt ambigus[13] ?

[26]        Lorsque les mots utilisés constituent manifestement une menace et qu’il n’y a aucune raison de croire qu’ils avaient un sens secondaire ou moins évident, il n’est pas nécessaire de pousser plus loin l’analyse[14].

[27]        Dans certains cas, en raison du contexte, des mots à première vue menaçants peuvent ne pas constituer des menaces au sens de l’article 264.1 Code criminel[15].

[28]        Dans d’autres cas, des facteurs contextuels peuvent avoir pour effet d’élever au rang de menaces des mots qui seraient, à première vue, relativement anodins[16].

[29]        Les menaces peuvent être proférées, transmises ou reçues de quelque façon que ce soit par qui que ce soit[17]. Le poursuivant n’a pas à prouver que le destinataire de la menace en a été informé ou, s’il en a été informé, qu’il a été intimidé par elle ou qu’il l’a prise au sérieux[18].

[30]        Cependant, il y a lieu de prendre en considération l’effet que les mots ont eu sur un plaignant pour déterminer ce que signifient ces mots pour une personne raisonnable[19].

[31]        De plus, il n’est pas nécessaire que les mots s’adressent à une personne en particulier; il suffit que la menace soit dirigée contre un groupe déterminé de personnes[20].

L’élément de faute

[32]        L’élément de faute est disjonctif[21]. On peut l’établir en démontrant que l’accusé avait l’intention d’intimider ou qu’il entendait que les menaces soient prises au sérieux[22]. Il s’agit d’une intention spécifique par opposition à une intention générale[23]. L’insouciance ne suffit pas[24]. L’élément de faute revêt un caractère subjectif[25]; ce qui importe, c’est ce que l’accusé entendait effectivement faire[26].

[33]        Il n’est pas nécessaire de prouver que la menace a été proférée avec l’intention qu’elle soit transmise à son destinataire[27] ou que l’accusé entendait mettre la menace à exécution[28]. De même, le poursuivant n’a pas à démontrer que la personne visée par les menaces se soit sentie intimidée ou les ait prises au sérieux, puisqu’il suffit de prouver que l’accusé avait l’intention qu’elles produisent un tel effet[29].

[34]        L’intention de l’accusé est habituellement tranchée en fonction du contexte et des mots utilisés, y compris de la façon dont les mots ont été perçus par ceux qui les ont entendus[30]. La perception de la victime constitue une preuve pertinente quant à l’intention de l’accusé[31], tout comme l’est l’état d’intoxication avancé d’un accusé[32].

[35]        Par ailleurs, le fait qu’un accusé soit dans l’impossibilité de mettre ses menaces à exécution, au moment où il les profère, n’empêche pas une condamnation. En fait, une impossibilité d’agir peut constituer une circonstance tendant à démontrer que l’accusé veut intimider par la parole, puisqu’il n’est pas en mesure de s’imposer physiquement[33].

[36]        Le fait de prononcer des paroles irréfléchies, ou même par bravade, voire des paroles que l’on peut regretter plus tard, ne change pas le caractère potentiellement suffisant de telles menaces[34]. De même, la colère ne constitue pas, en soi, un moyen de défense[35]. De plus, le comportement qu’adopte un accusé, avant, pendant ou après avoir proféré des menaces, peut servir à apprécier son état d’esprit au moment où il les profère[36].

[37]        Cela dit, le Tribunal se doit de distinguer entre le « mobile » d’un accusé qui le pousse à dire ce qu’il a dit (ex : frustration; colère) et son « intention »[37]. Toutefois, la preuve d’un mobile, qui est une forme particulière de preuve circonstancielle, peut servir à décider si un accusé possède l’état d’esprit requis[38].

Le moyen de défense fondé sur la provocation

Laperrière c. R., 2014 QCCA 1159 

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[26]        Avant de soumettre le moyen de défense à l’appréciation du jury, le juge du procès doit conclure que la provocation est vraisemblable eu égard à ces deux éléments objectif et subjectif.

[27]        Il s’agit alors de déterminer si un jury convenablement instruit en droit, agissant raisonnablement, pourrait avoir un doute raisonnable, fondé sur la défense de provocation, relativement à la culpabilité de l’accusé à l’accusation de meurtre.

[28]        Dans R. c. Mayuran, la Cour suprême identifie un outil efficace pour analyser le critère de la vraisemblance :

Pour déterminer si un moyen de défense est vraisemblable, il faut se demander si la preuve est suffisante. Il ne suffit pas qu’il existe « une preuve » étayant le moyen de défense (Cinous, par. 83). Il faut se demander « s’il existe (1) une preuve (2) qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant raisonnablement de prononcer l’acquittement s’il y ajoutait foi (Cinous, par. 65). S’agissant de moyens de défense qui se fondent sur une preuve indirecte ou de moyens – telle la provocation – qui ont une composante objective de raisonnabilité, le juge du procès doit examiner les « inférences de fait » qui peuvent raisonnablement être tirées au vu de la preuve (Cinous, par. 91).[4]

                                                                                                            [Référence omise]

[29]        Dans l’arrêt Thibert, le juge Cory décrit aussi le volet objectif et subjectif du moyen de défense prévu à l’article 232 du Code criminel :

Premièrement, pour satisfaire à l’élément objectif, il faut établir qu’il y a eu une action ou une insulte de telle nature qu’elle suffise à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser. Deuxièmement, l’élément subjectif exige la preuve que l’accusé a agi sous l’impulsion du moment et avant d’avoir eu le temps de reprendre son sang-froid.[5]

                                                                                                [Référence omise]

[30]        L’analyse du critère de la vraisemblance du moyen de défense exige de contextualiser l’élément objectif pour prendre en compte les données qui influent sur la gravité et l’importance de l’insulte ou de l’action injuste, sans toutefois l’individualiser à partir des facteurs propres à l’accusé, lesquels seront plutôt considérés lors de l’évaluation du volet subjectif.

[35]        En l’espèce, le juge a conclu que l’appelant n’avait pas satisfait à l’élément objectif du critère de la vraisemblance :

[29]      Je suis donc d’avis que les faits présentés par l’ensemble de la preuve et soutenus par l’accusé pour appuyer une défense de provocation ne peuvent, en droit, être perçus comme une insulte. Cela étant le critère de la vraisemblance n’a pas été établi.

                                                                                                [Référence omise]

[36]        Cette conclusion prend notamment appui sur un extrait de l’arrêt Tran dans lequel la juge Charron de la Cour suprême du Canada écrit :

Plus précisément, il n’y a pas eu d’insulte au sens de l’art. 232 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46. Comme la Cour d’appel le conclut à juste titre, la vue par l’appelant de son ex-épouse au lit avec un autre homme – assimilée à une « insulte » lors du procès – ne saurait légalement suffire à excuser [traduction] « une perte de maîtrise de soi revêtant la forme d’une fureur homicide » ni constituer « une excuse » pour une personne ordinaire, quels que soient sa situation particulière ou ses antécédents (juge Watson, par. 64).[7]

[37]        Le « récit principal » que fait l’appelant des événements établit clairement que c’est la vision de sa conjointe dans une position explicite et compromettante qui l’a mis en état de choc et qui l’a incité à porter le premier coup et non la narration de Nathalie Jacob quant à la violence que lui a fait subir Tessier.

[38]        Il avait préalablement conçu l’intention de punir et de tuer sa victime. La violence subséquente qu’il a appliquée à Tessier s’inscrit dans la continuité de sa fureur meurtrière.

[39]        C’est en conséquence à bon droit que le juge a conclu que la vision de sa conjointe au lit avec un autre homme ne pouvait être assimilée à l’insulte qui aurait suffi à faire perdre à une personne raisonnable la maîtrise de soi et à constituer une excuse.

La défense de provocation permet à l’accusé de réduire l’accusation de meurtre à homicide involontaire

Gendron c. R., 2019 QCCA 1959 

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[16]        La défense de provocation permet à l’accusé de réduire l’accusation de meurtre à homicide involontaire[4]. L’accusé est déclaré coupable d’homicide involontaire coupable parce que le droit reconnaît qu’en raison de la fragilité humaine, il a réagi de façon intempestive et disproportionnée, mais compréhensible, à une action injuste ou une insulte suffisamment grave[5]. Cette défense est codifiée à l’article 232 du Code criminel (« C.cr. ») tel que modifié[6]. Les critères d’ouverture de cette défense présentent des aspects objectifs et subjectifs que la juge en chef McLachlin résume ainsi dans R. c. Cairney[7] :

[33]        Premièrement, « (1) il doit y avoir une action injuste ou une insulte et (2) l’action injuste ou l’insulte doit être suffisante pour priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser » (Tran, par. 25).  Il s’agit du volet objectif de la provocation.

[34]        Deuxièmement, « (1) l’accusé [doit avoir] agi en réaction à la provocation et (2) sous l’impulsion du moment, [sans] avoir eu le temps de reprendre son sang‑froid » (Tran, par. 36).  Il s’agit du volet subjectif.

[17]        L’exigence que l’accusé ait effectivement agi en réaction à la provocation est bien établie : il faut que l’accusé ait causé la mort parce qu’il a été provoqué et non parce qu’il y ait eu provocation[8]. L’insulte doit être assez grave objectivement pour provoquer la perte de la maîtrise de soi[9] et doit répondre aux nouvelles exigences du paragraphe 232 (2) C.cr. . La frustration ou la colère ne sont pas en soi suffisantes, il doit y avoir perte du pouvoir de se maîtriser.

[18]        Or, en l’occurrence, bien qu’aux fins de la détermination de la vraisemblance de la défense l’on puisse ici tenir pour acquis que la victime a commis une action injuste en menaçant l’appelant avec une bouteille de parfum[10], les autres éléments requis pour soutenir cette défense ne présentent pas un caractère de vraisemblance. À cette fin, le critère de la vraisemblance est bien établi : il s’agit de déterminer si la preuve versée au dossier permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant raisonnablement d’accueillir la défense de provocation[11].

[19]        La preuve au procès n’établit nullement que la menace de la victime avec la bouteille de parfum était suffisante pour priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser ni que l’appelant ait agi sous l’impulsion du moment sans avoir eu le temps de reprendre son sang-froid avant d’étrangler la victime. Toutes les explications fournies par l’appelant, voulant qu’il ait agi dans le but de maîtriser la victime afin de l’empêcher de lui lancer la bouteille de parfum ou de le frapper avec celle-ci, sont incompatibles avec la thèse maintenant avancée voulant qu’il ait perdu le pouvoir de se maîtriser et qu’il ait agi sous l’impulsion du moment.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

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