R. c. Bergeron, 2022 QCCQ 9410
[17] L’infraction prévue à l’article 264.1 du Code criminel vise à prévenir les menaces qui suscitent la crainte ou l’intimidation[1].
[19] Il n’est pas nécessaire que la menace soit exécutée; l’infraction est complète lorsque la menace est proférée[3].
[20] Il est entendu que des paroles prononcées à la blague, ou de manière tel qu’elles ne pouvaient être prises au sérieux, ne sont pas visées par cette infraction[4]. Toutefois, des paroles menaçantes, même accompagnées de rires ou d’un message voulant qu’il s’agit d’une blague peuvent constituer une menace au sens du Code criminel[5].
[21] Comme toute infraction criminelle, le crime de menace comporte un acte prohibé (actus reus) et un état d’esprit concordant (mens rea). Les deux doivent coexister.
L’acte prohibé
[22] L’acte prohibé est le fait de proférer des menaces de mort ou de blessures graves[6]. L’article 264.1 du Code criminel vise toute forme de communication : verbale, écrite ou gestuelle[7]. L’expression « blessures graves » vise toute blessure physique ou psychologique qui nuit d’une manière importante à l’intégrité, à la santé ou au bien-être physique ou psychologique d’un plaignant[8].
[23] La question de savoir si des mots constituent une menace doit être tranchée suivant une norme objective, en utilisant le critère de la personne raisonnable[9].
[24] Le Tribunal doit déterminer quel est le sens qu’une personne raisonnable donnerait aux mots utilisés, en tenant compte des circonstances ou du contexte dans lesquelles ils s’inscrivent, de la manière dont ils ont été proférés ou transmis et de la personne à qui ils étaient destinés[10]. Cette personne raisonnable est une personne objective, bien renseignée, sensée, pratique et réaliste[11].
[25] Le point de départ de l’analyse doit toujours être le sens ordinaire des mots proférés[12]. Par exemple, les termes utilisés sont-ils explicites et clairs, ou plutôt ambigus[13] ?
[26] Lorsque les mots utilisés constituent manifestement une menace et qu’il n’y a aucune raison de croire qu’ils avaient un sens secondaire ou moins évident, il n’est pas nécessaire de pousser plus loin l’analyse[14].
[27] Dans certains cas, en raison du contexte, des mots à première vue menaçants peuvent ne pas constituer des menaces au sens de l’article 264.1 Code criminel[15].
[28] Dans d’autres cas, des facteurs contextuels peuvent avoir pour effet d’élever au rang de menaces des mots qui seraient, à première vue, relativement anodins[16].
[29] Les menaces peuvent être proférées, transmises ou reçues de quelque façon que ce soit par qui que ce soit[17]. Le poursuivant n’a pas à prouver que le destinataire de la menace en a été informé ou, s’il en a été informé, qu’il a été intimidé par elle ou qu’il l’a prise au sérieux[18].
[30] Cependant, il y a lieu de prendre en considération l’effet que les mots ont eu sur un plaignant pour déterminer ce que signifient ces mots pour une personne raisonnable[19].
[31] De plus, il n’est pas nécessaire que les mots s’adressent à une personne en particulier; il suffit que la menace soit dirigée contre un groupe déterminé de personnes[20].
L’élément de faute
[32] L’élément de faute est disjonctif[21]. On peut l’établir en démontrant que l’accusé avait l’intention d’intimider ou qu’il entendait que les menaces soient prises au sérieux[22]. Il s’agit d’une intention spécifique par opposition à une intention générale[23]. L’insouciance ne suffit pas[24]. L’élément de faute revêt un caractère subjectif[25]; ce qui importe, c’est ce que l’accusé entendait effectivement faire[26].
[33] Il n’est pas nécessaire de prouver que la menace a été proférée avec l’intention qu’elle soit transmise à son destinataire[27] ou que l’accusé entendait mettre la menace à exécution[28]. De même, le poursuivant n’a pas à démontrer que la personne visée par les menaces se soit sentie intimidée ou les ait prises au sérieux, puisqu’il suffit de prouver que l’accusé avait l’intention qu’elles produisent un tel effet[29].
[34] L’intention de l’accusé est habituellement tranchée en fonction du contexte et des mots utilisés, y compris de la façon dont les mots ont été perçus par ceux qui les ont entendus[30]. La perception de la victime constitue une preuve pertinente quant à l’intention de l’accusé[31], tout comme l’est l’état d’intoxication avancé d’un accusé[32].
[35] Par ailleurs, le fait qu’un accusé soit dans l’impossibilité de mettre ses menaces à exécution, au moment où il les profère, n’empêche pas une condamnation. En fait, une impossibilité d’agir peut constituer une circonstance tendant à démontrer que l’accusé veut intimider par la parole, puisqu’il n’est pas en mesure de s’imposer physiquement[33].
[36] Le fait de prononcer des paroles irréfléchies, ou même par bravade, voire des paroles que l’on peut regretter plus tard, ne change pas le caractère potentiellement suffisant de telles menaces[34]. De même, la colère ne constitue pas, en soi, un moyen de défense[35]. De plus, le comportement qu’adopte un accusé, avant, pendant ou après avoir proféré des menaces, peut servir à apprécier son état d’esprit au moment où il les profère[36].
[37] Cela dit, le Tribunal se doit de distinguer entre le « mobile » d’un accusé qui le pousse à dire ce qu’il a dit (ex : frustration; colère) et son « intention »[37]. Toutefois, la preuve d’un mobile, qui est une forme particulière de preuve circonstancielle, peut servir à décider si un accusé possède l’état d’esprit requis[38].