samedi 1 août 2009

Accusé défaut-mandat depuis 7 ans. Ce délai est-il déraisonnable au sens de l’art. 11b) de la Charte?

R. c. Simonds, 2007 QCCQ 7025 (CanLII)

[14] Il y a lieu de déterminer si les circonstances en l’espèce rendent le délai en cause déraisonnable au sens de l’art. 11b) de la Charte.

[15] Les critères de l’application de l’art. 11b) de la Charte ont été établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Morin, 1992 CanLII 89 (C.S.C.), [1992] 1 R.C.S. 771 :

a) la longueur du délai en cause;

b) la renonciation à certaines périodes à l’intérieur du délai;

c) les raisons du délai;

d) le préjudice.

[16] Dans la présente affaire, entre l’émission du mandat et l’arrestation du requérant, il s’est écoulé une période de plus de 7 ans que l’on peut qualifier de délai long et inhabituel.

[17] Cependant, le requérant a contribué en très grande partie à la longueur de ce délai en faisant fi de se présenter au tribunal le 14 septembre 1998, contrairement à la citation à comparaître délivrée le 12 juillet 1998.

[18] Pour expliquer son absence du 14 septembre 1998, il invoque les raisons suivantes:

a) son avocat lui a mentionné au téléphone qu’il recevrait un autre document par la poste;

b) convaincu de ce fait, il ne s’est donc pas préoccupé de sa citation à comparaître.

[19] Au soutien de sa demande, l’accusé relate, dans son témoignage, que :

a) il a pensé à cet incident durant une période de 6 mois;

b) les 6 mois écoulés, il n’y pensait plus, car il considérait son dossier clos puisqu’il n’avait rien reçu depuis son arrestation;

c) il n’a fait aucune démarche auprès d’un avocat ou des autorités policières pour s’enquérir de sa situation juridique;

d) il n’a avisé les autorités compétentes ni de son départ pour le Nouveau-Brunswick ni de son retour au Québec deux ans plus tard.

[20] Son procureur, Me Labrie, soutient qu’une partie du délai (2 à 3 ans) lui est attribuable, mais que le reste du délai est dû aux forces policières qui ont négligé de procéder à son arrestation en vertu d’un mandat validement émis par un juge.

[21] La jurisprudence soumise fait état de sommations non signifiées aux accusés. Des mandats d’arrestation ont été émis à l’occasion de leur défaut de comparaître devant le tribunal. Cependant, contrairement au présent dossier, les accusés ignoraient qu’ils faisaient l’objet d’une dénonciation.

[22] Dans ces arrêts, les juges ont conclu que les délais étaient entièrement dus à l’inertie des services policiers et que les mandats d’arrestation n’avaient pas été exécutés promptement. Dans ces circonstances, un arrêt des procédures a été ordonné.

[23] Dans le cas sous étude, la responsabilité du requérant est entière. Il ne s’est nullement inquiété de son sort et n’a entrepris aucune démarche pour vérifier l’état de son dossier. Son attitude relève à la fois de l’insouciance et de la négligence; fait montre d’aveuglement volontaire et participe de la pensée magique. Comme si, tout d’un coup, le dossier avait disparu par enchantement.

[24] L’accusé ne peut invoquer sa propre turpitude pour justifier son inaction et rejeter l’explication du délai sur les épaules des services policiers.

[25] Au surplus, il admet qu’il n’a subi aucun préjudice réel de la longueur du délai. En l’occurrence, il s’agit du facteur le plus important énoncé dans l’arrêt Morin, précité, où le juge Sopinka affirme que :

« Dans des circonstances où on ne déduit pas qu’il y a préjudice et où celui-ci n’est pas autrement prouvé, le fondement nécessaire à l’application du droit individuel est gravement ébranlé. »

[26] La Cour d’appel du Manitoba dans l’arrêt R. c. Barkman s’est exprimée sur la notion de préjudice de la façon suivante :

” In the end, the decisive factor on this appeal comes down to the question of prejudice. The onus is always on an accused to establish prejudice. While prejudice may be inferred from lengthy delay (Morin, at p. 861(sic)), it is not irrebuttably presumed to be so; it “only permits and inference, not a presumption”. (R. c. Williamson) 2000 CanLII 3082 (ON C.A.), (2000), 144 C.C.C. (3d) 540 (Ont. C.A.) at para. 22).”

[27] Il faut toujours se rappeler que l’arrêt des procédures est approprié uniquement « dans les cas les plus manifestes » lorsqu’il serait impossible de remédier au préjudice causé aux droits de l’accusé à une défense pleine et entière ou lorsque la continuation de la poursuite causerait à l’intégrité du système judiciaire un préjudice irréparable.

[28] Or, dans la présente affaire, l’accusé n’a présenté aucune preuve venant à établir un « affaiblissement effectif de sa capacité de présenter une défense pleine et entière ».

[29] L’accusé n’a pas établi, par prépondérance de preuve, une atteinte à ses droits à la liberté ou à la sécurité de sa personne puisqu’il n’a été emprisonné qu’une seule journée lors de son arrestation du 4 novembre 2005 et que les conditions de mise en liberté provisoire ne l’ont nullement empêché de se rendre aux États-Unis pour les fins de son travail.

[30] L’accusé n’a pas démontré que « la protection de ses intérêts avait été affectée puisque le dossier ne laisse voir aucun effet défavorable sur son droit à un procès équitable ».

[31] Devant l’absence de preuve de préjudice subi, « le principe de l’intérêt public à traduire un accusé en justice doit l’emporter sur l’intérêt de l’inculpé à obtenir un arrêt des procédures fondé sur le seul écoulement du temps »

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