vendredi 31 juillet 2009

Consentement ‑‑ Nature du consentement

R. c. Ewanchuk, 1999 CanLII 711 (C.S.C.)

Pour qu’un accusé soit déclaré coupable d’agression sexuelle, deux éléments fondamentaux doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable: qu’il a commis l’actus reus et qu’il avait la mens rea requise. L’actus reus de l’agression consiste en des attouchements sexuels non souhaités. La mens rea est l’intention de se livrer à des attouchements sur une personne, tout en sachant que celle‑ci n’y consent pas, en raison de ses paroles ou de ses actes, ou encore en faisant montre d’insouciance ou d’aveuglement volontaire à l’égard de cette absence de consentement.

25 L’actus reus de l’agression sexuelle est établi par la preuve de trois éléments: (i) les attouchements, (ii) la nature sexuelle des contacts, (iii) l’absence de consentement. Les deux premiers éléments sont objectifs. Il suffit que le ministère public prouve que les actes de l’accusé étaient volontaires. La nature sexuelle de l’agression est déterminée objectivement; le ministère public n’a pas besoin de prouver que l’accusé avait quelque mens rea pour ce qui est de la nature sexuelle de son comportement

26 Toutefois, l’absence de consentement est subjective et déterminée par rapport à l’état d’esprit subjectif dans lequel se trouvait en son for intérieur la plaignante à l’égard des attouchements, lorsqu’ils ont eu lieu:

29 Bien que le témoignage de la plaignante soit la seule preuve directe de son état d’esprit, le juge du procès ou le jury doit néanmoins apprécier sa crédibilité à la lumière de l’ensemble de la preuve. Il est loisible à l’accusé de prétendre que les paroles et les actes de la plaignante, avant et pendant l’incident, soulèvent un doute raisonnable quant à l’affirmation de cette dernière selon laquelle, dans son esprit, elle ne voulait pas que les attouchements sexuels aient lieu. Si, toutefois, comme c’est le cas en l’espèce, le juge du procès croit la plaignante lorsqu’elle dit qu’elle n’a pas subjectivement consenti, le ministère public s’est acquitté de l’obligation qu’il avait de prouver l’absence de consentement.

30 La déclaration de la plaignante selon laquelle elle n’a pas consenti est une question de crédibilité, qui doit être appréciée à la lumière de l’ensemble de la preuve, y compris de tout comportement ambigu. À cette étape, il s’agit purement d’une question de crédibilité, qui consiste à se demander si, dans son ensemble, le comportement de la plaignante est compatible avec sa prétention selon laquelle elle n’a pas consenti. La perception qu’avait l’accusé de l’état d’esprit de la plaignante n’est pas pertinente. Cette perception n’entre en jeu que dans le cas où la défense de croyance sincère mais erronée au consentement est invoquée à l’étape de la mens rea de l’enquête.

31 Le juge des faits ne peut tirer que l’une ou l’autre des deux conclusions suivantes: la plaignante a consenti ou elle n’a pas consenti. Il n’y a pas de troisième possibilité. Si le juge des faits accepte le témoignage de la plaignante qu’elle n’a pas consenti, même si son comportement contredit fortement cette prétention, l’absence de consentement est établie et le troisième élément de l’actus reus de l’agression sexuelle est prouvé. Dans notre jurisprudence de common law, la doctrine du consentement tacite a été reconnue dans divers contextes, mais pas dans celui de l’agression sexuelle. Il n’existe pas de défense de consentement tacite en matière d’agression sexuelle en droit canadien.

36 Pour être valide en droit, le consentement doit être donné librement. Par conséquent, même si la plaignante a consenti, ou si son comportement soulève un doute raisonnable quant à l’absence de consentement, il peut exister des circonstances amenant à s’interroger sur les facteurs qui ont pu motiver le consentement apparent de la plaignante. Le Code définit une série de situations dans lesquelles le droit considère qu’il y a eu absence de consentement dans des affaires de voies de fait, et ce malgré la participation ou le consentement apparent de la plaignante. Le paragraphe 265(3) en énumère plusieurs, dont la soumission en raison de la force, de la crainte, de menaces, de la fraude ou de l’exercice de l’autorité, et il codifie la règle bien établie de common law selon laquelle le consentement donné sous l’empire de la crainte ou de la contrainte n’est pas valable

37 Dans Saint‑Laurent c. Hétu, 1993 CanLII 4380 (QC C.A.), [1994] R.J.Q. 69 (C.A.), à la p. 82, le juge Fish a décrit avec justesse la préoccupation que doit sans cesse avoir à l’esprit le juge des faits lorsqu’il évalue les actes d’une plaignante qui prétend avoir été sous l’empire de la crainte, de la fraude ou de la contrainte:

[traduction] Le «consentement» est [. . .] dépouillé des caractéristiques qui le définissent lorsqu’il est appliqué à la soumission, à l’absence de résistance, à l’absence d’opposition ou même à l’accord apparent d’une volonté trompée, inconsciente ou imposée.

38 Dans ces circonstances, le droit s’attache aux raisons qu’a la plaignante de décider de participer aux attouchements en question ou d’y consentir apparemment. En pratique, cela se traduit par l’examen du choix auquel la plaignante croyait être confrontée. Le souci des tribunaux est alors de déterminer si la plaignante a librement choisi le comportement en cause. La disposition pertinente du Code est l’al. 265(3)b), suivant lequel il n’y a pas de consentement en droit lorsque la plaignante croyait qu’elle choisissait entre soit permettre qu’on la touche sexuellement soit risquer d’être victime de l’emploi de la force.

39 La question n’est pas de savoir si la plaignante aurait préféré ne pas se livrer à l’activité sexuelle, mais plutôt si elle croyait n’avoir le choix qu’entre deux partis: acquiescer ou être violentée. Si la plaignante donne son accord à l’activité sexuelle uniquement parce qu’elle croit sincèrement qu’elle subira de la violence physique si elle ne le fait pas, le droit considère qu’il y a absence de consentement, et le troisième élément de l’actus reus de l’infraction d’agression sexuelle est établi. Le juge des faits doit conclure que la plaignante ne voulait pas subir d’attouchements sexuels et qu’elle a décidé de permettre l’activité sexuelle ou d’y participer en raison d’une crainte sincère. Il n’est pas nécessaire que la crainte de la plaignante soit raisonnable, ni qu’elle ait été communiquée à l’accusé pour que le consentement soit vicié. Bien que la plausibilité de la crainte alléguée et toutes expressions évidentes de cette crainte soient manifestement pertinentes pour apprécier la crédibilité de la prétention de la plaignante qu’elle a consenti sous l’effet de la crainte, la démarche est subjective.

40 Le paragraphe 265(3) précise une série de situations additionnelles où le comportement de l’accusé sera jugé coupable. Le juge du procès n’est tenu de consulter le par. 265(3) que dans les cas où la plaignante a réellement choisi de participer à l’activité sexuelle ou dans ceux où son comportement ambigu fait naître un doute relativement à l’absence de consentement. Si, comme en l’espèce, le témoignage de la plaignante établit l’absence de consentement hors de tout doute raisonnable, l’analyse de l’actus reus est terminée, et le juge du procès aurait dû porter son attention sur la perception de la rencontre par l’accusé et sur la question de savoir si ce dernier avait eu la mens rea requise.

41 L’agression sexuelle est un acte criminel d’intention générale. Par conséquent, le ministère public n’a qu’à prouver que l’accusé avait l’intention de se livrer à des attouchements sur la plaignante pour satisfaire à l’exigence fondamentale relative à la mens rea.

42 Toutefois, étant donné que l’agression sexuelle ne devient un crime qu’en l’absence de consentement de la plaignante, la common law admet une défense d’erreur de fait qui décharge de toute culpabilité l’individu qui croyait sincèrement mais erronément que la plaignante avait consenti aux attouchements. Agir autrement donnerait lieu à l’injustice que constituerait le fait de déclarer coupable des personnes moralement innocentes. Par conséquent, la mens rea de l’agression sexuelle comporte deux éléments: l’intention de se livrer à des attouchements sur une personne et la connaissance de son absence de consentement ou l’insouciance ou l’aveuglement volontaire à cet égard.

43 L’accusé peut contester la preuve de mens rea du ministère public en plaidant la croyance sincère mais erronée au consentement. La nature de cette défense a été décrite dans Pappajohn c. La Reine, 1980 CanLII 13 (C.S.C.), [1980] 2 R.C.S. 120, à la p. 148, par le juge Dickson (plus tard Juge en chef) (dissident quant au résultat):

L’erreur constitue [. . .] un moyen de défense lorsqu’elle empêche un accusé de former la mens rea exigée en droit pour l’infraction même dont on l’accuse. L’erreur de fait est plus justement décrite comme une négation d’intention coupable que comme un moyen de défense positif. Un accusé peut l’invoquer lorsqu’il agit innocemment, par suite d’une perception viciée des faits, et qu’il commet néanmoins l’actus reus d’une infraction. L’erreur constitue cependant un moyen de défense, en ce sens que c’est l’accusé qui le soulève. Le ministère public connaît rarement les facteurs subjectifs qui ont pu amener un accusé à croire à l’existence de faits erronés.

44 La défense d’erreur est simplement une dénégation de la mens rea. Elle n’impose aucune charge de la preuve à l’accusé (voir R. c. Robertson, 1987 CanLII 61 (C.S.C.), [1987] 1 R.C.S. 918, à la p. 936) et il n’est pas nécessaire que l’accusé témoigne pour que se soulève ce point. Cette défense peut découler de tout élément de preuve présenté au tribunal, y compris la preuve principale du ministère public et le témoignage de la plaignante. Cependant, en pratique, cette défense découle habituellement de la preuve présentée par l’accusé.

45 Tout comme pour l’actus reus de l’infraction, le consentement fait partie intégrante de la mens rea, mais, cette fois‑ci, il est considéré du point de vue de l’accusé. Parlant de la mens rea de l’agression sexuelle dans Park, précité, au par. 39 (dans ses motifs concordants), le juge L’Heureux‑Dubé affirme ceci:

. . . la mens rea de l’agression sexuelle est établie non seulement lorsqu’il est démontré que l’accusé savait que la plaignante disait essentiellement «non», mais encore lorsqu’il est démontré qu’il savait que la plaignante, essentiellement, ne disait pas «oui».

46 Pour que les actes de l’accusé soient empreints d’innocence morale, la preuve doit démontrer que ce dernier croyait que la plaignante avait communiqué son consentement à l’activité sexuelle en question. Le fait que l’accusé ait cru dans son esprit que le plaignant souhaitait qu’il la touche, sans toutefois avoir manifesté ce désir, ne constitue pas une défense. Les suppositions de l’accusé relativement à ce qui se passait dans l’esprit de la plaignante ne constituent pas un moyen de défense.

47 Dans le cadre de l’analyse de la mens rea, la question est de savoir si l’accusé croyait avoir obtenu le consentement de la plaignante. Ce qui importe, c’est de savoir si l’accusé croyait que le plaignant avait vraiment dit «oui» par ses paroles, par ses actes, ou les deux. La définition légale qui a été ajoutée au Code par le Parlement en 1992 est conforme à la common law

48 La notion de «consentement» diffère selon qu’elle se rapporte à l’état d’esprit de la plaignante vis‑à‑vis de l’actus reus de l’infraction et à l’état d’esprit de l’accusé vis‑à‑vis de la mens rea. Pour les fins de l’actus reus, la notion de «consentement» signifie que, dans son esprit, la plaignante souhaitait que les attouchements sexuels aient lieu.

49 Dans le contexte de la mens rea -- particulièrement pour l’application de la croyance sincère mais erronée au consentement -- la notion de «consentement» signifie que la plaignante avait, par ses paroles ou son comportement, manifesté son accord à l’activité sexuelle avec l’accusé. Il ne faut jamais oublier cette distinction, et les deux volets de l’analyse doivent demeurer distincts.

50 Ce ne sont pas toutes les croyances invoquées par un accusé qui le disculpent. Eu égard à la mens rea de l’accusé, la notion de consentement est limitée tant par la common law que par les dispositions du par. 273.1(2) et de l’art. 273.2 du Code

51 Par exemple, le fait de croire que le silence, la passivité ou le comportement ambigu de la plaignante valent consentement de sa part est une erreur de droit et ne constitue pas un moyen de défense. De même, un accusé ne peut invoquer sa croyance que l’absence d’accord exprimée par la plaignante aux attouchements sexuels constituait dans les faits une invitation à des contacts plus insistants ou plus énergiques. L’accusé ne peut pas dire qu’il croyait que «non voulait dire oui». Comme a dit le juge en chef Fraser, à la p. 272 de ses motifs de dissidence:

[traduction] Un seul «Non» suffit pour informer l’autre partie qu’il y a un problème en ce qui a trait au «consentement». Dès qu’une femme a dit «non» pendant l’activité sexuelle, la personne qui entend poursuivre l’activité sexuelle avec elle doit alors obtenir un «Oui» clair et non équivoque avant de la toucher à nouveau de manière sexuelle.

La mens rea de l’agression sexuelle comporte deux éléments: l’intention de se livrer à des attouchements sur une personne et la connaissance de son absence de consentement ou l’insouciance ou l’aveuglement volontaire à cet égard.

52 Le sens commun devrait dicter que, dès que la plaignante a indiqué qu’elle n’est pas disposée à participer à des contacts sexuels, l’accusé doit s’assurer qu’elle a réellement changé d’avis avant d’engager d’autres gestes intimes. L’accusé ne peut se fier au simple écoulement du temps ou encore au silence ou au comportement équivoque de la plaignante pour déduire que cette dernière a changé d’avis et qu’elle consent, et il ne peut pas non plus se livrer à d’autres attouchements sexuels afin de «voir ce qui va se passer». La poursuite de contacts sexuels après qu’une personne a dit «non» est, à tout le moins, une conduite insouciante qui n’est pas excusable. Dans R. c. Esau, 1997 CanLII 312 (C.S.C.), [1997] 2 R.C.S. 777, au par. 79, la Cour a déclaré ceci:

L’accusé qui, en raison d’ignorance volontaire ou d’insouciance, croit que le plaignant [. . .] a réellement consenti à l’activité sexuelle en question est dans l’impossibilité d’invoquer la défense de croyance sincère mais erronée au consentement. C’est un fait que le législateur a codifié au sous‑al. 273.2a)(ii) du Code criminel.

Ce ne sont pas toutes les croyances invoquées par un accusé qui le disculpent. Eu égard à la mens rea de l’accusé, la notion de consentement est limitée tant par la common law que par les dispositions du par. 273.1(2) et de l’art. 273.2 du Code criminel.

La question de savoir si l’accusé a pris des mesures raisonnables pour s’assurer du consentement de la plaignante est une question de fait qui doit être tranchée par le juge des faits, seulement après que le critère de la vraisemblance a été satisfait.

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