R. c. Guy, 2007 QCCQ 11126 (CanLII)
[24] Rappelons d'abord, d'entrée de jeu, que, même si elles sont créées par la même disposition législative (en l'occurrence l'article 253 du Code criminel), la conduite d'un véhicule en état d'ébriété et la garde ou le contrôle d'un véhicule en état d'ébriété constituent deux infractions distinctes. En outre, bien que l'infraction de garde ou de contrôle soit moindre et incluse dans celle de conduite, l'inverse n'est pas vrai, de telle sorte que quelqu'un peut avoir distinctement commis l'une ou l'autre, mais pas simultanément l'une et l'autre des deux infractions, vu la portée de la règle prohibant les condamnations multiples (règle de l'arrêt Kienapple).
[25] Dans la Collection de droit 2007-2008 (Droit pénal: Infractions, moyens de défense et peine; Volume 12, École du Barreau, Les Éditions Yvon Blais, Cowansville, 2007), Me Diane Labrèche et Me Christian Jarry s'expriment en effet dans les termes suivants sur le sujet, à la page 141:
«Avant de définir ces expressions, il faut préciser qu'au regard d'un véhicule à moteur, l'article 253 a) et b) C.cr. créent chacun deux infractions distinctes, l'une étant commise par la conduite et l'autre par la garde ou le contrôle. Par conséquent, on ne peut accuser un individu d'avoir conduit et eu la garde ou le contrôle d'un véhicule. Par contre, l'infraction de garde ou contrôle est incluse dans celle de conduite et le fait de la garde ou du contrôle ne constitue qu'une seule infraction, ces deux termes ayant sensiblement le même sens.»
[26] Cela dit, voici comment les auteurs décrivent l'état du droit quant à la notion de garde ou de contrôle et quant au fonctionnement de la présomption édictée en faveur du Poursuivant pour l'aider à faire la preuve de la commission de l'infraction, aux pages 141 à 143 du même ouvrage:
«Lorsqu'il s'agit de garde ou de contrôle, on se réfère à la responsabilité, gérance, supervision et surveillance qu'exerce une personne sur le véhicule. Il s'agit essentiellement d'une question de faits. Il est possible d'avoir la garde ou le contrôle d'un véhicule sans être dans l'automobile bien que la garde ou le contrôle suppose la présence physique dans le véhicule ou près de celui-ci. […]
Dans l'affaire R. c. Toews [ 1985 CanLII 46 (C.S.C.), [1985] 2 R.C.S. 119], la Cour suprême du Canada, après avoir statué que la garde ou le contrôle a trait à un élément autre que la conduite, a toutefois précisé qu'elle suppose «des actes qui comportent une certaine utilisation du véhicule ou de ses accessoires, ou une conduite quelconque à l'égard du véhicule qui comporterait le risque de le mettre en mouvement de sorte qu'il puisse devenir dangereux». […]
[…]
À l'article 258(1) a) C.cr., le législateur a édicté une présomption afin de faciliter, en certaines circonstances, la preuve de la garde ou du contrôle. Ainsi, lorsque l'accusé occupait la place ordinairement occupée par le conducteur, il est réputé avoir eu la garde ou le contrôle à moins qu'il n'établisse qu'il n'occupait pas cette place dans le but de mettre le véhicule en marche.
Lorsque l'article 258(1)a) C.cr. reçoit application, le juge des faits est lié et la notion de garde ou de contrôle n'est plus une question de faits. […]
[…]
En vertu de l'arrêt R. c. Appleby [ 1971 CanLII 4 (C.S.C.), [1972] R.C.S. 303], l'accusé peut annuler l'effet de la présomption en faisant une preuve prépondérante du fait qu'il n'avait pas l'intention de mettre le véhicule en marche. […]
[…]
L'article 258(1)a) C.cr. n'est pas une disposition qui définit la notion de garde ou de contrôle. Il ne fait qu'en faciliter la preuve. Par conséquent, comme le décidait la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Ford [ 1982 CanLII 16 (C.S.C.), [1982] 1 R.C.S. 231], pour avoir la garde ou le contrôle d'un véhicule, il n'est pas nécessaire d'avoir l'intention de le mettre en marche. Cette intention n'est pertinente que si la poursuite désire se prévaloir de la présomption de l'article 258(1)a) C.cr.»
[27] Et les auteurs de poursuivre, sur la question spécifique du véhicule qui n'est pas en état de fonctionner, aux pages 143 et 144:
«[…] Dans l'arrêt R. c. Saunders [ 1967 CanLII 56 (S.C.C.), [1967] R.C.S. 284], la Cour suprême du Canada a statué qu'il n'est pas nécessaire que le véhicule soit en état de fonctionner pour que l'infraction soit commise. Ainsi, dans cette perspective, il pourrait y avoir culpabilité même si la voiture est en panne d'essence, est enlisée dans la neige, ou doit être extirpée d'un fossé par une remorqueuse. Malgré la définition du concept de garde ou de contrôle formulée postérieurement par la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Toews, cette approche semble toujours prévaloir. Dans une décision récente, la Cour d'appel de l'Ontario a exprimé l'avis que les arrêts Saunders et Toews pouvaient être réconciliés et qu'un risque potentiel demeure un élément de l'infraction bien qu'elle puisse être commise au moyen d'un véhicule inopérable. Ainsi, si le véhicule est inopérable, alors qu'il est sur la chaussée par temps sombre et lors d'une tempête de neige, il y a un risque qu'une personne intoxiquée éteigne les phares du véhicule de sorte qu'il devienne invisible et, par conséquent, dangereux. Dans cette perspective, la définition de garde ou contrôle doit plutôt s'entendre «d'une série de gestes qui comporte une certaine utilisation du véhicule ou de ses accessoires, ou une conduite quelconque à l'égard du véhicule qui comporte le risque que le véhicule devienne dangereux, soit en étant mis en marche ou de quelque autre façon». Il s'ensuit que, sauf si la présomption prévue à l'article 258(1)a) C.cr. s'applique, le seul fait de trouver une personne dans une voiture ou près de celle-ci alors qu'elle pourrait le mettre en marche est insuffisant. Une preuve du risque de danger doit exister. Celui-ci peut découler du fait que (1) le véhicule soit mis en marche intentionnellement, (2) le véhicule soit mis en marche non intentionnellement, ou (3) que le véhicule devienne dangereux autrement qu'en étant mis en marche.» [sauf dans la citation, les soulignements sont du soussigné].
[28] On aura noté avec intérêt que les auteurs ne sont pas catégoriques quant à l'état du droit sur la question, l'utilisation de l'expression «semble toujours prévaloir» suggérant qu'il y a flottement à cet égard. Dans ces circonstances, l'analyse des arrêts pertinents semble incontournable.
[29] Cela dit, consciente que les enseignements découlant de l'arrêt Saunders, qui n'ont pas été répudiés par la Cour suprême, et de l'arrêt Toews, rendu postérieurement, paraissaient contradictoires, la Cour d'appel de l'Ontario a en effet tenté de les réconcilier dans son arrêt R. c. Wren, 2000 CanLII 5674 (ON C.A.), (2000) 144 C.C.C. (3d) 374 (C.A. Ont.).
[30] Faut-il rappeler d'abord, à ce stade-ci, que dans l'arrêt Saunders c. R., 1967 CanLII 56 (S.C.C.), [1967] R.C.S. 284, la Cour suprême avait effectivement conclu qu'une personne accusée d'avoir eu la garde ou le contrôle d'un véhicule à moteur alors que ses facultés étaient affaiblies par l'alcool pouvait être condamnée même si elle se trouvait au volant de son véhicule alors que celui-ci était immobilisé dans un fossé. Elle s'exprimait dans les termes suivants, à la page 290:
«[…] The definition of a motor vehicle is in plain and ordinary language. It contemplates a kind of vehicle, not its actual operability or functionning. Its application is not confined to a portion of the Code, it extends uniformly throughout. The definitions of the offences mentioned in ss. 222 and 223 are also couched in a language that is plain and simple and in which nothing, either expressed or implied, indicates an intent of Parliament to exact, in every case, as being one of the ingredients of the offences, the proof of the presence of some element of actual or potential danger or to accept, as a valid defense, the absence of any. On the contrary, these and the other related provisions of the Code manifest the determination of Parliament to strike at the very root of the evil, to wit: the combination of alcohol and automobile, that normally breeds this element of danger which this preventive legislation is meant to anticipate.» [soulignements ajoutés]
[31] Le Tribunal estime opportun, à ce stade-ci, de mettre l'accent sur les extraits soulignés de la citation qui précède, puisqu'ils contiennent déjà le germe de la solution proposée en 2000 par la Cour d'appel de l'Ontario. Le juge Fauteux, au nom d'une Cour unanime, précisait en effet déjà en 1967 qu'une preuve d'un élément de dangerosité actuelle ou potentielle ne constituait pas «in every case» un élément de l'infraction, laissant par là entendre qu'il y avait des cas où un tel risque de danger pouvait être requis pour que l'élément matériel de l'infraction soit prouvé. Mais, au-delà de cette ouverture, le message véhiculé par l'arrêt Saunders est à l'effet contraire: c'est la combinaison alcool et véhicule automobile qui crée en soi une situation potentiellement dangereuse. En suivant cette logique, ce n'est donc pas parce que le véhicule n'est momentanément pas en état de fonctionner que tout risque qu'il le soit ultérieurement est écarté, faut-il comprendre; ce qui revient à considérer que, dans le cas d'espèce dont la Cour suprême était alors saisie, la Cour estimait que la personne qui exerçait la garde ou le contrôle sur le véhicule embourbé dans le fossé pouvait ultimement l'en faire extirper et reprendre ensuite la route.
[32] Puis vint, en 1985, l'arrêt Toews, antérieurement cité. Au nom d'une Cour suprême de nouveau unanime, le juge McIntyre précisait dans les termes suivants l'élément matériel de l'infraction de garde ou de contrôle, à la page 126:
«[…] Cependant, la jurisprudence citée illustre le point et amène à conclure que les actes de garde ou de contrôle, hormis l'acte de conduire, sont des actes qui comportent une certaine utilisation du véhicule ou de ses accessoires, ou une conduite quelconque à l'égard du véhicule qui comporterait le risque de le mettre en mouvement de sorte qu'il puisse devenir dangereux. Chaque affaire sera décidée en fonction de ses propres faits et les circonstances où l'on pourra conclure qu'il y a des actes de garde ou de contrôle varieront beaucoup.» [soulignements ajoutés]
[33] Si, dans l'arrêt Saunders, la Cour mettait l'accent sur le fait qu'une personne pouvait avoir la garde ou le contrôle d'un véhicule inopérable ou non fonctionnel, elle précisait dans l'arrêt Toews que l'utilisation du véhicule ou de ses instruments ou encore le risque de le mettre en mouvement constituait un élément de l'infraction. D'où l'apparente contradiction.
[34] C'est dans ce contexte que, dans l'arrêt Wren, la Cour d'appel de l'Ontario fut appelée à clarifier la question: comme c'est le cas dans le présent dossier, elle était alors saisie d'une affaire dans laquelle un individu accusé de garde ou de contrôle d'un véhicule impliqué dans un accident avait été retrouvé assis dans le siège du conducteur, le véhicule étant inopérant en raison des dommages causés par l'accident et immobilisé en raison du fait qu'il avait terminé sa course dans un fossé; l'individu n'avait en outre aucune intention de conduire. La preuve révélait cependant que l'accusé avait précédemment tenté de déplacer lui-même son véhicule, ce qu'il n'avait pas réussi à faire, se résignant alors à faire appel à une remorqueuse. En attendant son arrivée, il avait regagné son véhicule pour se réchauffer.
[35] S'exprimant au nom d'une Cour unanime, le juge Feldman aborde quant à lui la question en litige dans les termes suivants, aux pages 379 et 380:
«[…] It is this repeated reference to conduct which involves the risk of «putting the vehicle in motion so that it could become dangerous» which has led to a debate as to whether the Supreme Court in Ford and Toews intended to overrule its decision in Saunders.
I agree that the three Supreme Court of Canada cases, on their face, are not easy to reconcile. […]
In my view, these cases can be reconciled. The apparent inconsistency stems from the facts with which the three courts were dealing. In Saunders the vehicle was inoperable, while in Ford and Toews, the vehicles were operable.
[…]
Although those courts referred to the danger in terms only of putting the vehicle in motion, this court has explained in its decision in R. v. Vansickle (Endorsement of the Ontario Court of Appeal dated December 17, 1990), that this risk should be read as an example only of how the combination of impaired person and motor vehicle can create the requisite potential for danger.
I am satisfied that the result of these cases and others that have followed them, is that in order to establish care or control of a motor vehicle, the act or conduct of the accused in relation to that motor vehicle must be such that there is created a risk of danger, whether from putting the car in motion or in some other way.
[…]
The requirement of some risk of danger in order to establish the actus reus of «care or control» is consistent with the basis for a finding of criminal liability under the impaired driving/care or control offences. As the Supreme Court stated in Saunders, supra, the object of the offence is to protect persons and property from danger. When the presumption has been rebutted and it has been shown that there is no potential danger either to any person or any property from the combination of the impaired person and the motor vehicle, there is no need for the protection which is the object of the offence.
[…]
In my view, the cases from the Supreme Court of Canada and from this court can be reconciled on the issue of the actus reus of care or control. The issue to be determined on the facts of each case is whether any acts by the accused could cause the vehicle to become a danger whether by putting it in motion or in some other way.» [soulignements ajoutés]
[36] En l'absence de précédents émanant de la Cour d'appel du Québec, c'est par ailleurs cette interprétation de la Cour d'appel de l'Ontario que privilégie aussi Me Karl-Emmanuel Harrison dans son ouvrage Capacités affaiblies: Principes et application (Publications CCH Ltée, Brossard, 2006), aux pages 229 et 230:
«Malgré une hésitation de la jurisprudence à le reconnaître dans certaines provinces canadiennes, dont la Nouvelle-Écosse, le risque de danger pour le public constitue un élément essentiel de l'infraction, comme suggéré par les cours d'appel de Saskatchewan, du Manitoba, d'Ontario et de Terre-Neuve-et-Labrador: […].
La Cour d'appel du Québec ne s'est jamais prononcée formellement sur la question de la nécessité de l'existence d'un risque de danger pour le public. Toutefois, l'arrêt R. c. Olivier, [1998] A.Q. no 1954 (QL) (C.A.) soutient le second courant jurisprudentiel en notant la souplesse que confère le texte de loi aux juges d'instance. […]
Selon cette jurisprudence majoritaire actuelle, la garde ou le contrôle s'entend d'une série de gestes comportant une certaine utilisation du véhicule ou de ses accessoires ou d'une conduite quelconque à l'égard du véhicule, qui présente le risque que le véhicule devienne dangereux, soit en étant mis en mouvement ou de quelque autre façon. […]» [soulignements ajoutés]
[37] On est dès lors en mesure de préciser l'état du droit, sur la question du véhicule non fonctionnel, de la façon suivante. D'abord, quant à la méthodologie, lorsqu'une personne est trouvée comme c'est le cas ici à la place habituellement occupée par le conducteur, il faut s'attarder, dans une première étape, à l'enjeu de l'application de la présomption de garde ou de contrôle édictée par l'article 258(1) a) C.cr.. Si la personne trouvée dans le siège du conducteur ne peut repousser la présomption, celle-ci s'applique et emporte tous ses effets: la personne qui se trouve à la place habituelle du conducteur sera réputée avoir la garde ou le contrôle du véhicule.
[38] Ce ne sera par ailleurs que lorsque la présomption aura été repoussée que, dans une seconde étape, l'on s'intéressera aux actes et aux gestes posés par cette personne à l'égard du véhicule, c'est-à-dire à son comportement à l'égard du véhicule: il s'agira alors d'évaluer si, à la lumière de ces actes ou de ces gestes, il existait un risque potentiel que le véhicule représente un danger à l'égard de quelqu'un ou à l'égard d'un bien, soit activement en étant mis en mouvement, soit passivement en demeurant stationnaire. Si, en raison de ces actes ou de ces gestes, le risque de danger – c'est-à-dire la dangerosité – existe, il faudra conclure que cette composante de l'élément matériel de l'infraction est prouvée. Au cas contraire, l'on estimera plutôt qu'un des éléments essentiels de l'infraction n'est pas prouvé.
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