R c. Drouin; 2007 QCCQ 3263; numéro de dossier 755-01-019843-066; DATE : Le 12 avril 2007
[41] Lorsqu’il est question de la garde ou le contrôle d'un véhicule automobile, la Poursuivante bénéficie d'une présomption édictée à l'article 258(1)a) du Code criminel qui se lit ainsi :
Lorsqu'il est prouvé que l'accusé occupait la place ou la position ordinairement occupée par la personne qui conduit le véhicule à moteur, le bateau, l'aéronef ou le matériel ferroviaire ou qui aide à conduire un aéronef ou du matériel ferroviaire, il est réputé en avoir eu la garde ou le contrôle à moins qu'il n'établisse qu'il n'occupait pas cette place ou position dans le but de mettre en marche ce véhicule, ce bateau, cet aéronef ou ce matériel ferroviaire, ou dans le but d'aider à conduire l'aéronef ou le matériel ferroviaire, selon le cas.
[42] La Cour Suprême, dans l’arrêt R. c. Ford, traite ainsi de la présomption :
…l'al. 237(1)a) porte exclusivement sur le mode de preuve applicable à une accusation portée en vertu de l'art. 236 et n'a d'incidence que sur la preuve, sans toucher à l'infraction créée par l'art. 236. Il est certain que si l'accusation repose uniquement sur la preuve que l'accusé occupait la place ordinairement occupée par le conducteur, il n'est pas réputé avoir eu la garde du véhicule s'il peut établir qu'il n'y a pas pris place afin de le mettre en marche. La présomption de l'al. 237(1)a) est alors réfutée et la poursuite ne peut plus s'en prévaloir. En pratique, lorsque l'accusé réussit à établir qu'il n'a pas pris place dans ou sur le véhicule afin de le mettre en marche, il en résulte seulement que la poursuite doit assumer le fardeau de la preuve sans pouvoir invoquer la présomption. (soulignés du soussigné)
[43] L’intention de conduire ne représente pas un élément essentiel dont la Poursuivante doit faire la preuve pour que soit prononcée une déclaration de culpabilité en vertu de l’article 253 du Code criminel. C’est ce qui ressort des passages suivants de l’arrêt R. c. Ford, précité, où le juge Ritchie, parlant au nom de la majorité commente ainsi :
42. En l'espèce, il a été établi que l'appelant est le propriétaire du véhicule en question, qu'il y a pris place à plusieurs reprises au cours de la soirée et, en outre, qu'il a mis en marche le moteur à plusieurs reprises afin de faire fonctionner la chaufferette. Ce sont là des éléments supplémentaires qui tentent à établir la garde de sorte que, compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, la réfutation de la présomption crée par l'al. 237(1)a) n'a aucune valeur concluante en ce qui concerne la culpabilité ou l'innocence de l'appelant.
43. Il n'est pas non plus nécessaire, à mon avis, que la poursuite fasse la preuve de l'intention de mettre le véhicule en marche pour que soit reconnu coupable une personne accusée, en vertu du par. 236(1) d'avoir eu la garde d'un véhicule à moteur alors que son taux d'alcoolémie dépassait 80 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang. Il peut y avoir garde même en l'absence de cette intention lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, un accusé accomplit un acte ou une série d'actes ayant trait à l'utilisation du véhicule ou de ses accessoires, qui font que le véhicule peut être mis en marche involontairement, créant le danger que l'article vise à prévenir. (Soulignés du soussigné)
[44] Puis, dans l'arrêt R. c. Toews, la Cour Suprême a eu l'occasion de revenir sur la notion de garde ou contrôle d'un véhicule à moteur alors que les facultés sont affaiblies. Les faits de cette affaire sont les suivants :
2 La police a trouvé l'accusé endormi sur le siège avant de son camion, vers 5 h 15 le matin du 20 juillet 1980. Le véhicule était sur un terrain privé, à huit ou dix pieds de la route. L'intimé était couché sur le siège avant, la tête près de la portière du côté du passager, enveloppé jusqu'à la ceinture dans un sac de couchage étendu jusque sous le volant et avait les pieds pendants ou touchant le plancher. La clef de contact était en place, l'appareil stéréo jouait fort, mais le moteur du camion était arrêté et les phares étaient éteints. Les policiers ont réveillé l'intimé et remarqué des signes d'ébriété. Il est admis que le taux d'alcoolémie de l'intimé se situait entre 0,16 et 0,17 et que sa capacité de conduire était affaiblie. La preuve révèle de plus, ce qui n'est pas contesté, que l'intimé avait été conduit par un ami de chez lui à Endako à une maison à Fraser Lake où son camion était stationné et où la soirée avait lieu. L'intimé a quitté la soirée vers 1 h 30 du matin parce qu'il était fatigué; il est monté dans son camion pour se coucher et attendre son ami qui était resté à la soirée. Les policiers sont arrivés vers 5 h 15 du matin répondant à un appel relativement à autre chose et ont trouvé l'intimé profondément endormi dans le camion. L'intimé a juré qu'il n'avait pas l'intention de conduire le camion lorsqu'il y est monté, ce que semblent avoir cru les cours d'instance inférieure.
[45] Sous la plume du juge McIntyre, la Cour Suprême énonce ainsi le droit applicable à cette question d’intention de conduire et définit la notion d’actus reus et de mens rea requises pour cette infraction:
7 …Pour ce motif, il est clair, comme cette Cour l'a décidé dans l'arrêt Ford que la preuve de l'intention de conduire - - c'est-à-dire de mettre le véhicule en mouvement - - n'est pas un élément essentiel de la preuve de l'accusation d'avoir la garde ou le contrôle d'un véhicule…
…
Je suis d'avis que l'intention qu'a un accusé inculpé en vertu du par. 234(1) est pertinente pour autant qu'elle peut contribuer à établir la présence ou l'absence de la mens rea exigée pour l'infraction. La mens rea de l'infraction de conduite avec facultés affaiblies est l'intention de conduire un véhicule à moteur après avoir volontairement consommé de l'alcool ou une drogue. L'actus reus est l'acte qui consiste à conduire alors que la consommation volontaire d'alcool ou d'une drogue a affaibli la capacité de conduire. De même la mens rea de l'infraction d'avoir la garde ou le contrôle d'un véhicule à moteur et l'intention d'assumer la garde ou le contrôle après avoir volontairement consommé de l'alcool ou une drogue. L'actus reus est l'acte qui consiste à assumer la garde ou le contrôle du véhicule alors que la consommation volontaire d'alcool ou d'une drogue a affaibli la capacité de conduire. …l'élément de garde ou de contrôle peut être prouvé soit par recours à la présomption du par. 237(1), lorsqu'elle est applicable, ou par démonstration qu'il y a eu effectivement garde ou contrôle sans invoquer la présomption.
[46] Lorsque la Poursuivante ne peut invoquer la présomption prévue au Code criminel, il s'ensuit qu'elle doit soumettre des éléments de preuve qui démontrent des actes de garde ou de contrôle du véhicule à moteur.
[47] L'infraction de garde ou contrôle d'un véhicule à moteur peut être commise que le véhicule soit en mouvement ou non.
[48] Il s'agit donc de déterminer en quoi consiste la garde ou le contrôle d'un véhicule si on ne le conduit pas.
[49] Sur cette question, la Cour Suprême énonce que :
…les actes de garde ou de contrôle, hormis l'acte de conduire, sont des actes qui comportent une certaine utilisation du véhicule ou de ses accessoires, ou une conduite quelconque à l'égard du véhicule qui comporterait le risque de le mettre en mouvement de sorte qu'il puisse devenir dangereux.
[50] Et la Cour Suprême de conclure, s’appuyant sur les faits propres au dossier qu’elle étudiait :
…En l'espèce, le véhicule se trouvait sur un terrain privé et l'intimé n'occupait pas le siège du conducteur. Il était inconscient et n'avait clairement pas le contrôle réel du véhicule. L'utilisation d'un sac de couchage vient appuyer son affirmation qu'il utilisait le véhicule simplement comme un endroit pour dormir. Reste que la clef était dans le contact et que le stéréo fonctionnait. Assez curieusement cependant, il n'y a pas de preuve directe que l'intimé ait mis la clef dans le contact ou mis le stéréo en marche mais, selon la preuve, c'est son ami qui a été le dernier conducteur du véhicule et qui l'a conduit à la réception et devait le ramener chez lui. À partir de tous ces faits, je considère qu'on ne peut tirer de conclusion défavorable en l'espèce uniquement à cause de la preuve relative à la clef de contact. Il n'a donc pas été démontré que l'intimé a accompli des actes de garde ou de contrôle et il n'a donc pas accompli l'actus reus.
[51] La Cour Suprême a confirmé la décision de la Cour d’Appel qui avait annulé la déclaration de culpabilité prononcée contre Toews.
[52] Dans l'arrêt R. c. Penno, les faits sont les suivants :
2 Deux personnes non identifiées ont volé une automobile aux petites heures du matin, le 27 avril 1985, dans le canton de Michipicoten, en Ontario. Environ vingt minutes plus tard, les policiers ont retrouvé le véhicule dans lequel ils ont découvert l'appelant à la place du conducteur et une autre personne assise à ses côtés. L'agent qui a procédé à l'enquête n'est pas sûr que le véhicule était en mouvement quand il l'a retracé. Cependant, il a témoigné qu'au moment de sortir de la voiture de patrouille et de s'approcher du véhicule il a vu l'appelant faire un geste comme pour mettre le véhicule en marche arrière et il a constaté que le véhicule a reculé d'environ un pied. Les clés étaient dans le contact et le moteur tournait. Le passager avait en sa possession un autre jeu de clés qui se trouvait dans sa poche. L'appelant et le passager ont tout de suite été mis en état d'arrestation.
3 Il est reconnu que l'accusé avait consommé une grande quantité d'alcool dans les heures qui ont précédé son arrestation. L'accusé a témoigné qu'il ne se souvenait pas des événements qui se sont déroulés entre minuit et son réveil, en cellule, tard dans la matinée.
[53] L’accusé Penno a été acquitté de tous les chefs d’accusation portés contre lui, y compris celui d'avoir eu la garde ou le contrôle d'un véhicule alors que ses facultés étaient affaiblies par l’effet de l’alcool. La Poursuivante a interjeté appel seulement de l'acquittement concernant le chef relatif à l’infraction d'avoir eu la garde ou le contrôle d'un véhicule à moteur alors que les facultés de l'accusé étaient affaiblies.
[54] Le juge Lamer, après avoir souligné la prétention de l'appelant à l'effet que l'intention applicable à l'infraction de garde ou contrôle d'un véhicule à moteur alors que les capacités sont affaiblies devait être celle d'utiliser la voiture ou ses accessoires dans le dessein d'utiliser la voiture en tant que véhicule à moteur, souligne que cette prétention va à l'encontre d'une affirmation catégorique de la Cour Suprême à l'effet que l'intention de mettre le véhicule en marche n'est pas un élément de cette infraction.
[55] Il ajoute cependant :
Par contre, la loi ne manque pas totalement de souplesse et ne va pas jusqu'à punir la simple présence dans un véhicule à moteur d'une personne dont la capacité de conduire est affaiblie. En réalité, l'arrêt Toews consacre la règle que, lorsque l'utilisation du véhicule à moteur ne comporte aucun risque de le mettre en marche et de le rendre dangereux, les cours de justice devraient conclure qu'il y a absence d'actus reus. (soulignés du soussigné)
[56] La Cour d’Appel du Québec s’est aussi penchée sur cette notion dans l’affaire R. c. Hamel, où les faits étaient les suivants :
Les faits de cette cause sont particuliers. La preuve à charge fut constituée des témoignages de deux (2) policiers faisant état d'un événement survenu vers les 03h00 du matin dans le Rang 3 à Issoudun. Ces policiers constatèrent qu'un véhicule s'arrêtait à bonne distance à l'arrière du leur. Après quelques minutes de surveillance, ils décidèrent de procéder à vérification. Parvenus à la hauteur de cette voiture, ils constatèrent la présence de deux personnes sur la banquette avant qui s'avérèrent ultérieurement être l'appelante occupant la place du chauffeur et son ami, Serge Hamel, comme passager. Deux autres occupants étaient à l'extérieur, en train d'examiner un véhicule enlisé en bordure de la route.
Constatant chez l'appelante des signes apparents d'alcoolisme, celle-ci fut soumise à un test Alert qu'elle échoua ainsi qu'à des tests d'ivressomêtre qui furent de l'ordre de 140 et 150.
En contrepartie, la preuve à décharge fut composée des témoignages des quatre (4) personnes qui avaient pris place à bord de cette automobile et étaient descendues pour voir de plus près le véhicule accidenté. Elle est à l'effet qu'à l'approche de la voiture des policiers, le chauffeur Serge Hamel dont les facultés étaient affaiblies, revint en vitesse à l'automobile avec son amie et demanda à celle-ci de s'installer à l'arrière du volant craignant, d'une part, que l'on constate son état et d'autre part, invoquant la mansuétude pratiquée par les policiers à l'égard d'une personne de sexe féminin. Lors de l'arrêt, Serge Hamel avait laissé les lumières en fonction et enlevé la clé de l'ignition pour la mettre dans sa poche. À l'arrivée des policiers, il l'avait toujours en sa possession. Ces faits furent généralement confirmés par tous les témoins de la défense.
[57] Sous la plume du regretté juge Proulx, écrivant pour la majorité, la Cour d’Appel, qui a rétabli le verdict de culpabilité prononcé en première instance, interprète comme suit le sens des mots «garde» et «contrôle» :
29 L'arrêt R. v. Price (1978), 40 C.C.C. (2d) 378, p. 384 (C.A.N.-B.), cité avec approbation par la Cour Suprême dans l'arrêt La Reine c. Toews, (1985) 2 R.C.S. 119 , p. 126, interprète comme suit le sens des mots "garde" et "contrôle":
The word "care" is defined in The Oxford English
Dictionary as "having in charge or protection".
"Control" on the other hand is defined as "the fact of
controlling or of checking and directing action" also as
"the function or power of directing and regulating;
domination, command, sway" ....The mischief sought to be
prohibited by the section as expressed by the wording is
that an intoxicated person who is in the immediate
presence of a motor vehicle with the means of controlling
it or setting it in motion is or may be a danger to the
public. Even if he has no immediate intention of setting
it in motion he can at any instant determine to do so,
because his judgment may be so impaired that he cannot
foresee the possible consequences of his actions.
30 Dans Toews, on a cité également l'arrêt R. v. Thomson (1940), 75 C.C.C. 141 (C.A.N.-É.), duquel on peut dégager la proposition qu'une personne qui se trouve dans une voiture et a à sa portée les moyens de la mettre en marche en a le contrôle. Il n'est pas requis que cette personne ait l'intention immédiate de mettre le véhicule en marche puisque la disposition vise à empêcher qu'une personne en état d'ébriété qui est en présence immédiate d'un véhicule et qui a le moyen de le contrôler ou de le mettre en mouvement, ne devienne un danger pour le public. (soulignés du soussigné)
[58] Toujours en 1997, la Cour d’Appel se prononce de nouveau sur cette question dans l’affaire R. c. Rousseau où les faits sont les suivants :
5 … Vers 3h30, dans la nuit du 17 mars 1991, les policiers de Ste-Foy interceptaient l'appelant, endormi sur le siège du conducteur de son véhicule automobile, stationné derrière un bar. Le moteur était en marche, les glaces latérales légèrement baissées, le levier de vitesse à la position "park" et le frein d'urgence levé. L'appelant était affecté d'un taux d'alcoolémie 140 mg par 100 ml de sang et avait visiblement souffert de problèmes de digestion durant son sommeil.
6 Deux témoins ont été entendus en défense: l'appelant et une dame Tremblay qui, au hasard d'une rencontre, lui avait demandé de lui remettre ses clés puisqu'il était ivre. Il répondit qu'il allait se coucher dans sa voiture. L'appelant a confirmé cette version et a expliqué les gestes subséquents. Comme c'était au mois de mars et qu'il faisait froid, il a démarré le moteur pour mettre le système de chauffage en marche. Il a légèrement baissé les glaces latérales de la voiture, de crainte d'être incommodé par les gaz d'échappement. Il s'est assuré que le levier d'entraînement était à la position "park" et que le frein d'urgence était en fonction dans le but d'éviter tout danger que le véhicule ne constitue un risque pour qui que ce soit. Il affirme positivement n'avoir jamais eu l'intention de mettre sa voiture en mouvement:…
7 Dans la mesure où elle fut crue par le premier juge, parce que corroborée par Marie-Josée Tremblay, cette affirmation permettait à l'accusé de repousser la présomption édictée contre l'individu qui occupe le siège du conducteur d'un véhicule automobile, alors que ses facultés sont affaiblies... "à moins qu'il n'établisse qu'il n'occupait pas cette place dans le but de le mettre en marche" (art. 258(1) C.cr.).
8 Le débat a toutefois à peine effleuré l'effet de cette présomption puisque le ministère public a déclaré ne pas l'invoquer, s'en tenant à affirmer que les éléments constitutifs de l'infraction étaient prouvés hors de tout doute raisonnable.
[59] La Cour d’Appel constate que le juge de première instance :
11 …oublie que l'accusé doit être trouvé coupable si le tribunal retient contre lui des gestes conscients de garde et de contrôle, accompagnés de l'intention générale de les poser.
[60] Puis elle ajoute :
12 …Rien n'empêche le poursuivant de s'en remettre à une preuve hors de tout doute d'actes de garde et de contrôle qui imposent de conclure à la culpabilité, sans égard à la présomption.
[61] Comme la présomption de l’article 258(1)a) du Code criminel n’était pas invoquée, la Cour d’Appel indique ceci :
20 …À mon avis la poursuite devait présenter la preuve hors de tout doute raisonnable de l'utilisation consciente du véhicule ou de ses accessoires, ce qui peut se traduire par le risque de le mettre en mouvement et représenter le danger que le législateur a voulu éviter.
[62] Puis la Cour d’Appel définit ainsi la garde ou contrôle d’un véhicule automobile :
22 La garde ou le contrôle d'un véhicule automobile est l'exercice de fait d'une prérogative de droit. C'est l'utilisation d'un véhicule ou ses accessoires de la façon qu'en autorise la propriété ou la possession. L'élément de risque ou de danger public qui s'infère des articles pertinents du Code criminel résulte de la coexistence de deux facteurs: les facultés affectées par l'alcool ou la drogue et le fait que, consciemment, l'accusé se place dans une situation susceptible de devenir dangereuse.
[63] La Cour d’Appel poursuit ainsi son analyse :
23 Lorsque l'appelant refuse de remettre à madame Tremblay les clés de sa voiture, il sait qu'il n'est pas en état de conduire, mais décide tout de même de s'y mettre à l'abri. Il pose alors des actes de garde et de contrôle: il déverrouille la portière, s'assoit sur le banc du conducteur, ferme la portière, baisse les glaces latérales par crainte du monoxyde de carbone, s'assure que le levier d'embrayage est à la position "park", lève le levier du frein d'urgence et démarre le moteur et l'appareil de chauffage. Autant d'opérations conscientes et de gestes de sa part qui s'inscrivent dans une certaine logique et qui démontrent que, non seulement il avait la garde du véhicule, mais qu'il exerçait aussi le contrôle de certaines opérations. Qu'il ait sombré dans le sommeil, espérant éliminer l'alcool dans les heures suivantes, cela n'empêche pas qu'il ait exercé la garde et le contrôle de son véhicule alors que ses facultés étaient affaiblies.
[64] Et Elle rejette l’appel de l’accusé à l’encontre de la déclaration de culpabilité prononcée par la Cour Supérieure, siégeant en appel de la décision de juge de première instance qui avait acquitté l’accusé, pour la raison suivante :
24 Avec égards, ces éléments, suffisants pour constituer l'infraction, n'ont pas été considérés avec leurs conséquences juridiques par le premier juge; il s'agissait là d'une erreur d'appréciation des éléments de l'infraction reprochée à l'appelant justifiant la réformation en Cour supérieure.
[65] L’affaire R. c. Rioux de la Cour d’Appel du Québec s’intéresse également à cette notion. Dans cette affaire, les faits sont les suivants :
6 Le 24 août 1997, vers trois heures du matin, deux policiers de la Sûreté municipale de Donnacona interceptent l'intimé et un autre individu, Michel Langlois (Langlois), alors qu'ils se trouvent sur le stationnement d'un garage situé en face du bar d'où ils sortaient.
7 L'intimé, qui est visiblement en état d'ébriété, se dirige vers son véhicule, clés en main. Les policiers lui font ouvrir son véhicule afin de vérifier ses papiers et l'avisent de ne pas prendre le volant vu son état. L'intimé répond qu'il va laisser son véhicule dans le stationnement et qu'il s'en va, avec Langlois, coucher chez la sœur de celui-ci qui demeure à proximité. Par la suite, ils se dirigent vers le domicile de cette dernière, mais elle ne s'y trouve pas; ils reviennent donc au véhicule de l'intimé.
8 Une heure plus tard, les policiers retournent sur les lieux. Ils constatent que l'intimé et Langlois dorment à l'intérieur du véhicule. L'intimé occupe le siège du conducteur et Langlois celui du passager. Les portes sont verrouillées; le moteur n'est pas en marche.
9 Les policiers frappent au niveau de la portière du conducteur afin de réveiller l'intimé. Celui-ci, toujours en état d'ébriété, sort du véhicule. Il est alors arrêté pour avoir eu la garde et le contrôle d'un véhicule alors que ses capacités étaient affaiblies par l'alcool. Le test d'ivressomètre confirmera que l'intimé avait un taux d'alcoolémie de 250 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang.
10 Après l'arrestation, les policiers fouillent l'intérieur du véhicule. Ils constatent qu'il y a une bière à demi pleine entre le siège du conducteur et celui du passager. Ils ne réussissent toutefois pas à trouver les clés du véhicule. L'intimé refuse de leur dire où elles se trouvent. Langlois se montre plus coopératif et indique aux policiers que l'intimé les a déposées derrière le garage, au sol, à une vingtaine de pieds du véhicule.
[66] La Cour d’Appel a rétabli le verdict de culpabilité prononcé par le juge de première instance pour les motifs suivants :
50 Comme la Cour suprême l'énonce dans Toews, la question de savoir si les actes de garde ou de contrôle ou une conduite quelconque d'un accusé à l'égard du véhicule comportent le risque de le remettre en mouvement repose sur l'analyse de la preuve :
Il y a, bien sûr, d'autres précédents qui portent sur la question. Cependant, la jurisprudence citée illustre le point et amène à conclure que les actes de garde ou de contrôle, hormis l'acte de conduire, sont des actes qui comportent une certaine utilisation du véhicule ou de ses accessoires, ou une conduite quelconque à l'égard du véhicule qui comporterait le risque de le mettre en mouvement de sorte qu'il puisse devenir dangereux. Chaque affaire sera décidée en fonction de ses propres faits et les circonstances où l'on pourra conclure qu'il y a des actes de garde ou de contrôle varieront beaucoup.
51 À mon avis, le juge du procès a appliqué judicieusement les principes énoncés par la Cour suprême à l'égard de l'infraction en cause. Conformément à ces enseignements, il s'est rattaché aux faits qui démontraient l'existence d'un danger que l'intimé mette son véhicule en marche. Même si ce dernier n'avait pas les clés du véhicule sur lui, celles-ci étaient tout de même à sa portée. Il avait donc les moyens de mettre son véhicule en marche alors que ses facultés étaient toujours affaiblies par l'alcool. (soulignés du soussigné)
[67] L’affaire R. c. Sergerie traite également de cette notion. La Cour d’Appel considère que :
2 Le juge de la Cour supérieure était justifié d'intervenir et d'accueillir l'appel puisque le juge de la Cour municipale de Montréal n'a pas considéré et analysé adéquatement le risque que le véhicule soit mis en mouvement, délibérément ou non, par l'appelant : R. c. Clarke, (1997) A.N.B. No 154, C.A., et n'a pas donné l'effet juridique requis à ses conclusions de fait : Rousseau c. R., AZ- 98011040; J.E. 98-168 , C.A.
[68] La Cour d’Appel considère les éléments suivants révélés par la preuve :
3 En l'espèce, la preuve démontre que l'appelant a accompli une série d'actes en rapport avec l'utilisation de son véhicule ou de ses accessoires (notamment, se rendre avec une amie vers son véhicule pour y récupérer son téléphone cellulaire, s'asseoir derrière le volant alors que son amie prend place du côté passager, prendre la clé de contact, mettre en marche le moteur et activer la climatisation) qui devaient nécessairement entraîner la conclusion qu'il existait un risque que le véhicule soit mis en mouvement et devienne dangereux, même involontairement, malgré que le juge de première instance ait conclu que l'appelant avait renversé la présomption de l'art. 258 (1) a) C.cr. : R. c. Ford, (1982) 1 R.C.S. 231 ; R. c. Toews, (1985) 2 R.C.S. 119 .
[69] Et la Cour d’Appel fait le constat suivant et confirme que c’est à bon droit que la Cour Supérieure a réformé le jugement rendu en première instance (la Cour Supérieure a déclaré l’accusé coupable de l’infraction) :
4 Le jugement rendu par le juge de la Cour municipale démontre que ce dernier a considéré essentiellement l'intention de l'appelant de ne pas mettre en marche le véhicule pour entretenir un doute raisonnable à l'égard de la notion de garde et de contrôle et de risque plutôt que de considérer l'ensemble des circonstances entourant l'utilisation du véhicule ou de ses accessoires. Il a erronément limité la question du risque à celle du "risque réaliste immédiat de mettre le véhicule en marche", en se fondant sur l'intention plutôt que sur la série d'actes posés par l'appelant, ce qui ne tenait pas compte d'autres aspects pertinents, tel que souligné par le juge Bastarache, alors à la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick, dans Clarke, précité, au paragr. 9 :
Pour le déclarer coupable, il n'est pas nécessaire de prouver que le délinquant créait un danger immédiat pour le public. Ce qui constitue un problème de sécurité publique, c'est la possibilité que le véhicule soit mis en mouvement, délibérément ou non, par une personne en état d'ébriété. (références omises)
5 En l'espèce, une telle possibilité existait vu la nature des actes accomplis par l'appelant et le niveau élevé de son état d'ébriété. Il faut souligner, à cet égard, qu'il était ivre au point de perdre pied et de reculer de deux pas en sortant de son véhicule et au point où les agents de police ont dû le soutenir pour l'emmener à leur propre voiture de patrouille, cet état étant susceptible d'affecter grandement son jugement : R. c. Pelletier, (2000) O.J. No 848 (C.A.).
[70] Ma collègue, Nathalie Aubry, dans l’affaire R. c. Sénéchal, a déclaré l’accusé coupable d’avoir eu la garde ou le contrôle d’un véhicule automobile en considérant les faits suivants :
2 En date du 24 décembre 2004, l'accusé Pierre Sénachal (sic) décide qu'il serait pratique et confortable, le lendemain matin, de pouvoir démarrer son véhicule à distance. Sénéchal a consommé de la boisson et va porter des bouteilles vides dans son véhicule par le fait même.
3 Sénéchal est propriétaire d'un véhicule à transmission manuelle. Pour activer le démarreur à distance, celui-ci doit tourner la clef, appuyer sur le frein, mettre l'embrayage au neutre, appuyer sur un bouton et c'est à ce moment que le démarreur à distance est activé. Par la suite, les lumières vont s'allumer et s'éteindre à quelques reprises afin de confirmer que la commande de démarrage à distance a été donnée.
4 L'accusé se rend à son véhicule, ouvre le coffre arrière, dépose ses bouteilles vides. Ensuite, il laisse le coffre ouvert et tente d'activer son démarreur à distance. Il met la clef sans (sic) l'ignition, pèse sur le frein et désembraye le véhicule. Sénéchal ne sait trop pourquoi les feux du véhicule clignotent mais le démarreur à distance n'est pas fonctionnel. Il tente donc la même manœuvre à quelques reprises.
5 Au même moment, le policier Simon Leblanc, qui patrouille dans le secteur, reçoit un appel qu'une alarme est déclenchée dans le secteur. Il patrouille donc afin de faire une vérification. Il aperçoit un véhicule stationné dans une entrée charretière. Les lumières de ce véhicule clignotent.
6 Leblanc qui est accompagné de l'agent Jean-Guy Canuel intervient sur le terrain de la résidence afin de vérifier si le véhicule ne fait pas l'objet d'un vol compte tenu de l'information à l'effet qu'un alarme a été déclenchée.
7 Il constate que l'individu, au volant du véhicule en marche, est en état d'ébriété et les résultats de l'alcootest donnent au plus bas 195 mg d'alcool par 100 ml de sang.
[71] Cette décision fut portée en appel et la Cour d’Appel s’est prononcée le 23 février 2007, rejetant l’appel pour les motifs suivants :
1 La Cour est d'avis que la Cour supérieure n'a pas erré en affirmant que la juge de première instance n'avait pas commis d'erreur en concluant que l'appelant avait la garde et le contrôle de son véhicule. La nature, la multiplicité et la fréquence des gestes posés par celui-ci en rapport avec l'utilisation du véhicule, compte tenu du taux élevé d'alcoolémie qu'il présentait, justifiaient de conclure à l'existence d'un risque que le véhicule soit mis en mouvement, délibérément ou non (R. c. Toews (1985) 2 R.C.S. 119 , p. 126).
[72] Voir au même effet la décision très récente de mon collègue Alain Morand qui procède a une analyse approfondie de la jurisprudence sur cette notion de garde ou contrôle et qui en vient à la conclusion, d’après les faits qui lui sont soumis, que l’accusé a commis l’infraction de garde ou contrôle
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