mercredi 12 août 2009

Analyse approfondie de la jurisprudence sur la notion de garde ou contrôle

R. c. Blanchet; 2007 QCCQ 2493; numéro de dossier 350-01-017390-060; DATE : le 22 mars 2007

[48] Le Code criminel ne contient pas de définition des éléments constitutifs de la notion de garde ou de contrôle, qui se rattache aux infractions prévues aux paragraphes 253 (a) et (b) du Code. Le législateur a ainsi choisi de laisser aux tribunaux, la tâche d'élaborer les composantes factuelles et juridiques de ce concept.

La Cour suprême du Canada

[49] La Cour suprême, dans les arrêts Ford, Toews, et Penno en a tracé les grands paramètres, tout en précisant qu'il s'agit, essentiellement, d'une question de fait, dont la détermination dépend des circonstances particulières de chaque affaire, et qu'elle ne répond pas, de façon stricte, à des critères fixes.

L'arrêt Ford, [1982] 1 R.C.S. 231

[50] Dans cette décision, le plus haut tribunal, indique certains comportements qui forment l'élément matériel de l'infraction lorsqu'ils créent le risque ou le danger que la disposition cherche à proscrire.

[51] Le juge Ritchie s'exprime ainsi:

«En l'espèce, il a été établi que l'appelant est le propriétaire du véhicule en question, qu'il y a pris place à plusieurs reprises au cours de la soirée et, en outre, qu'il a mis en marche le moteur à plusieurs reprises afin de faire fonctionner la chaufferette. Ce sont là des éléments supplémentaires qui tendent à établir la garde de sorte que, compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, la réfutation de la présomption créée par l'al. 237(1)a) n'a aucune valeur concluante en ce qui concerne la culpabilité ou l'innocence de l'appelant.

Il n'est pas non plus nécessaire, à mon avis, que la poursuite fasse la preuve de l'intention de mettre le véhicule en marche pour que soit reconnue coupable une personne accusée, en vertu du par. 236(1), d'avoir eu la garde d'un véhicule à moteur alors que son taux d'alcoolémie dépassait 80 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang. Il [page 249] peut y avoir même en l'absence de cette intention lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, un accusé accomplit un acte ou une série d'actes ayant trait à l'utilisation du véhicule ou de ses accessoires, qui font que le véhicule peut être mis en marche involontairement, créant le danger que l'article vise à prévenir.»

[52] Pourtant, comme dans le présent dossier, il était en preuve que l'accusé avait pris des arrangements pour qu'un autre conducteur ramène son véhicule après la soirée.

L'arrêt Toews, [1985] 2 R.C.S. 119

[53] Dans cette cause, la Cour suprême réitère que l'absence d'intention de conduire ne constitue pas un moyen de défense et, elle conclut ainsi:

«Les actes de garde ou de contrôle, hormis l'acte de conduire, sont des actes qui comportent une certaine utilisation du véhicule ou de ses accessoires ou une conduite quelconque à l'égard du véhicule qui comporterait le risque de le mettre en mouvement de sorte qu'il puisse devenir dangereux.»

[…]

«En l'espèce, le véhicule se trouvait sur un terrain privé et l'intimé n'occupait pas le siège du conducteur. Il était inconscient et n'avait clairement pas le contrôle réel du véhicule. L'utilisation d'un sac de couchage vient appuyer son affirmation qu'il utilisait le véhicule simplement comme un endroit pour dormir. Reste que la clef était dans le contact et que la stéréo fonctionnait. Assez curieusement cependant, il n'y a pas de preuve directe que l'intimé ait mis la clef dans le contact ou mit la stéréo en marche, mais selon la preuve, c'est son ami qui a été le dernier conducteur du véhicule et qui l'a conduit à la réception et devait le ramener chez lui. À partir de tous ces faits, je considère qu'on ne peut tirer de conclusion défavorable en l'espèce uniquement à cause de la preuve relative à la clef de contact. Il n'a donc pas été démontré que l'intimé a accompli des actes de garde ou de contrôle et il n'a donc pas accompli l'actus reus.»

L'arrêt Penno, [1990] 2 R.C.S. 865

[54] Le juge en chef Lamer, rappelle, dans son opinion, que l'élément moral de cette infraction est l'intention d'assumer la garde ou le contrôle après avoir volontairement consommé de l'alcool ou une drogue; aucune autre intention n'étant requise. La preuve de l'absence d'intention de mettre le véhicule en marche joue seulement pour empêcher le ministère public de bénéficier de la présomption de l'alinéa 237 (1) (a).

[55] Il explique, plus loin, ce qui suit:

"…la prétention de l'appelant qui soutient que l'intention applicable à l'infraction devrait être celle d'utiliser la voiture ou ses accessoires dans le dessein d'utiliser la voiture en tant que véhicule à moteur va à l'encontre d'une affirmation catégorique de notre Cour que l'intention de mettre le véhicule en marche n'est pas un élément de cette infraction. Utiliser un véhicule à moteur en tant que véhicule à moteur est une autre façon de dire utiliser le véhicule à moteur pour le mettre en marche, puisque ce qui distingue un véhicule à moteur d'un autre objet ou endroit est sa capacité de servir de moyen de transport, c.-à-d. d'être mis en marche. Accepter cette proposition reviendrait à accepter que l'appelant doit avoir eu l'intention de mettre le véhicule à moteur en marche pour contrevenir à l'al. 234(1) et l'arrêt Ford a déjà rejeté cette proposition."

La Cour d'appel du Québec

[56] Voici maintenant les principales décisions de la Cour d'appel du Québec, sur le sujet, dont certaines présentent plusieurs ressemblances avec le présent débat.

L'arrêt Loubier, [1994] A.Q. N° 343

[57] Dans cette cause, l'accusé, un négociant de poisson, gare son camion dans le stationnement d'un bar. À la fin de la soirée, alors qu'il est en état d'intoxication, il s'assoit au volant de son véhicule et il démarre le moteur, seulement dans le but d'activer la réfrigération, pour conserver sa cargaison. C'est à ce moment que les policiers l'appréhendent, notamment, pour une infraction de garde ou contrôle avec les facultés affaiblies.

[58] La preuve au procès établit, de plus, qu'il n'avait aucune intention de circuler sur la route, puisqu'il avait pris une entente avec le propriétaire du commerce qui devait le ramener et l'héberger chez lui, pour la nuit.

[59] En confirmant la déclaration de culpabilité, rendue par le juge de la Cour supérieure, le juge Gendreau, au nom de la Cour d'appel, écrit ce qui suit:

À mon avis, la situation qui prévaut ici me semble être similaire à celle décrite dans Ford précité ou M. le juge Ritchie écrivait:

Il peut y avoir garde même en l'absence de cette intention lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, un accusé accomplit un acte ou une série d'actes ayant trait à l'utilisation du véhicule ou de ses accessoires, qui fait que le véhicule peut être mis en marche involontairement, créant le danger que l'article vise à prévenir.

L'arrêt Rousseau, [1997] A.Q. 3925

[60] Dans ce pourvoi, le juge Letarte, rédacteur de la décision, énonce ce qui suit:

"Lorsque l'appelant refuse de remettre à madame Tremblay les clés de sa voiture, il sait qu'il n'est pas en état de conduire, mais décide tout de même de s'y mettre à l'abri. Il pose alors des actes de garde et de contrôle: il déverrouille la portière, s'assoit sur le banc du conducteur, ferme la portière, baisse les glaces latérales par crainte du monoxyde de carbone, s'assure que le levier d'embrayage est à la position "park", lève le levier du frein d'urgence et démarre le moteur et l'appareil de chauffage. Autant d'opérations conscientes et de gestes de sa part qui s'inscrivent dans une certaine logique et qui démontrent que, non seulement il avait la garde du véhicule, mais qu'il exerçait aussi le contrôle de certaines opérations. Qu'il ait sombré dans le sommeil, espérant éliminer l'alcool dans les heures suivantes, cela n'empêche pas qu'il ait exercé la garde et le contrôle de son véhicule alors que ses facultés étaient affaiblies." (Nous soulignons)

L'arrêt Olivier, [1998] A.Q. N° 1954

[61] Dans ce dossier, l'accusé passe l'après-midi à consommer de l'alcool dans un débit de boisson et, en soirée, alors qu'il est en état d'ébriété, il appelle un ami qui accepte de venir le chercher, pour le ramener chez lui. Rendu sur place, le compagnon décide de prendre une ou deux bières, et l'accusé, qui n'est pas détenteur d'un permis de conduire, se rend l'attendre dans la voiture.

[62] Il insère la clé dans l'ignition, qu'il actionne à la fonction "accessoires", uniquement, pour écouter la radio. Des policiers en patrouille l'aperçoivent, endormi derrière le volant, et l'arrêtent pour avoir eu la garde ou le contrôle du véhicule.

[63] La Cour d'appel confirme le verdict d'acquittement maintenu par la Cour supérieure, en ces termes:

"La proposition de l'appelante suivant laquelle le fait pour un conducteur d'être assis derrière le volant d'une voiture, avec la clé dans le contact, entraîne nécessairement la conclusion que ce conducteur a le contrôle de la voiture est trop absolu: dans la très grande majorité des situations on pourra conclure que c'est le cas, mais, devant un jeu de circonstances donné, le tribunal pourra, sans errer en droit, conclure que ce n'est pas le cas;

En l'espèce, comme la crédibilité de l'intimé n'était nullement attaquée, les juges Caron et Hébert ont refusé de conclure mécaniquement à la culpabilité de l'intimé et, vu les circonstances, ont usé de cette souplesse que le texte de loi leur permettait;

L'arrêt Rioux, [2000] J.Q. N° 2274

(Permission d'appeler à la Cour suprême, rejetée, le 22 mars 2001)

[64] Dans cette affaire, l'accusé, en état d'ivresse, à la fin de la soirée, quitte le bar avec un ami, et ils se rendent à pied chez la sœur de ce dernier, pour aller s'y coucher.

[65] Voyant qu'elle est absente, ils reviennent dormir, pour la nuit, dans le véhicule laissé sur le stationnement de l'établissement. L'accusé, qui occupe le siège du conducteur, a déposé, auparavant, les clés de la voiture derrière le garage, à environ 20 pieds plus loin, pour montrer clairement son intention.. Les agents de la paix les trouvent endormis tous les deux, dans l'automobile.

[66] Sur un pourvoi de la poursuite, la Cour d'appel rétablit le verdict de culpabilité à l'infraction de garde ou contrôle, prononcé en première instance, et qui avait été infirmé par la Cour supérieure. Dans son opinion, la juge Thibault écrit, au nom de ses collègues, que l'accusé avait "…les moyens de mettre son véhicule en marche, alors que ses facultés étaient toujours affaiblies par l'alcool". Même s'il n'avait pas les clés sur lui, elles étaient tout de même à sa portée, souligne-t-elle.

L'arrêt Sergerie, 2005 QC CA 1227

[67] Les circonstances, mises en cause dans cet appel, se rapprochent tout à fait de la situation, en l'espèce, et la décision explicite de la Cour, ne laisse aucune ambiguïté.

[68] Le juge Dufresne formule ainsi, l'opinion unanime du Tribunal:

[3] En l'espèce, la preuve démontre que l'appelant a accompli une série d'actes en rapport avec l'utilisation de son véhicule ou de ses accessoires notamment, se rendre avec une amie vers son véhicule pour y récupérer son téléphone cellulaire, s'asseoir derrière le volant alors que son amie prend place du côté passager, prendre la clé de contact, mettre en marche le moteur et activer la climatisation qui devaient nécessairement entraîner la conclusion qu'il existait un risque que le véhicule soit mis en mouvement et devienne dangereux, même involontairement, malgré que le juge de première instance ait conclu que l'appelant avait renversé la présomption de l'art. 258 (1) a) C.cr.: R. c. Ford, [1982] 1 R.C.S. 231 ; R. c. Toews, [1985] 2 R.C.S. 119 .

[4] Le jugement rendu par le juge de la Cour municipale démontre que ce dernier a considéré essentiellement l'intention de l'appelant de ne pas mettre en marche le véhicule pour entretenir un doute raisonnable à l'égard de la notion de garde et de contrôle et de risque plutôt que de considérer l'ensemble des circonstances entourant l'utilisation du véhicule ou de ses accessoires. Il a erronément limité la question du risque à celle du "risque réaliste immédiat de mettre le véhicule en marche", en se fondant sur l'intention plutôt que sur la série d'actes posés par l'appelant, ce qui ne tenait pas compte d'autres aspects pertinents, tel que souligné par le juge Bastarache, alors à la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick, dans Clarke, précité, au paragr. 9:

Pour le déclarer coupable, il n'est pas nécessaire de prouver que le délinquant créait un danger immédiat pour le public. Ce qui constitue un problème de sécurité publique, c'est la possibilité que le véhicule soit mis en mouvement, délibérément ou non, par une personne en état d'ébriété. (références omises)

[5] En l'espèce, une telle possibilité existait vu la nature des actes accomplis par l'appelant et le niveau élevé de son état d'ébriété. Il faut souligner, à cet égard, qu'il était ivre au point de perdre pied et de reculer de deux pas en sortant de son véhicule et au point où les agents de police ont dû le soutenir pour l'emmener à leur propre voiture de patrouille, cet état étant susceptible d'affecter grandement son jugement: R. c. Pelletier, [2000] O.J. N° 848 (C.A.)

L'arrêt Sénéchal, 2007 QC CA 261

[69] Dans cet appel, l'accusé, qui possède un véhicule à transmission manuelle, se rend à sa voiture, dans le seul but d'activer le démarreur à distance, qu'il désire utiliser le lendemain matin, uniquement. Sans aucune autre intention, il s'assoit sur le siège du conducteur, met la clé dans l'ignition, pèse sur le frein, place l'embrayage au neutre et appuie sur le bouton de commande. Comme le mécanisme ne s'installe pas, il répète ces manœuvres, à quelques reprises.

[70] Des patrouilleurs, mandés dans le secteur, à la suite du déclenchement d'un système d'alarme, aperçoivent le véhicule dont les feux clignotent. Ils décident de vérifier si l'automobile n'est pas l'objet d'un vol relié à cet appel. Ils découvrent, par la suite, que l'accusé, au volant de sa voiture, dont le moteur est en marche, est en état d'ébriété et qu'il présente une alcoolémie de 195 mg par 100 ml de sang, selon le plus bas taux des deux échantillons d'haleine.

[71] La Cour d'appel confirme que le juge de la Cour supérieure et la juge de la Cour du Québec ont eu raison de conclure que l'appelant avait la garde et le contrôle de son véhicule, et qu'il existait un risque qu'il soit mis en mouvement, délibérément ou non, en raison de la nature, la multiplicité et la fréquence des gestes posés, compte tenu de son taux élevé d'alcoolémie.

[72] En résumé, la Cour d'appel, sans en dresser une liste rigide, considère, de façon constante, que la conjugaison d'un certain nombre de facteurs, liés à l'utilisation d'un véhicule ou de ses accessoires, et à l'état de l'accusé, constituent une situation de risque ou de danger, malgré certaines précautions prises par l'occupant du véhicule et l'absence, incontestée, d'intention de conduire.

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