jeudi 31 décembre 2009

Grille d'analyse qui s'impose au Tribunal quant à examiner l'opportunité que la peine soit ou non purgée dans la collectivité

R. c. Douab, 2009 QCCQ 5734 (CanLII)

[135] L'ensemble de ces considérations conduisent à la conclusion suivante: au titre du principe de l'harmonisation des peines, c'est au créneau intermédiaire de l'emprisonnement d'une durée de moins de deux ans que conduit, pour les fins de la présente affaire, l'examen de la jurisprudence.

[136] Il ne reste alors qu'à examiner l'opportunité que cette peine soit ou non purgée dans la collectivité. Or, bien que le Ministère public ne s'objecte pas formellement à cette modalité, le Tribunal devra néanmoins se satisfaire que la mesure est ici adéquate.

[137] Même s'il s'agit là d'un exercice qui sera abordé plus loin, le Tribunal estime utile de rappeler dès à présent la grille d'analyse qui s'imposera alors à lui.

[138] Ainsi, les critères permettant de distinguer les cas dans lesquels l'emprisonnement avec sursis est approprié, de ceux où il ne l'est pas, se trouvent-ils résumés dans les propos du juge Lamer, aux paragraphes 113 à 115 de l'arrêt Proulx, déjà cité:

«En résumé, au moment de décider si l'octroi du sursis à l'emprisonnement est conforme à l'objectif essentiel et aux principes de la détermination de la peine, le juge qui détermine la peine doit se demander quels sont les objectifs qui apparaissent prépondérants au regard des faits du cas dont il est saisi. Lorsqu'il est possible de combiner des objectifs punitifs et des objectifs correctifs, l'emprisonnement avec sursis sera vraisemblablement une sanction plus appropriée que l'incarcération. Pour décider s'il est possible de réaliser des objectifs correctifs dans une affaire donnée, le juge doit étudier les chances de réinsertion sociale du délinquant, notamment en tenant compte de tout plan de réadaptation proposé par ce dernier, de l'existence de programmes appropriés de service communautaire et de traitement dans la collectivité, de la question de savoir si le délinquant reconnaît ses torts et manifeste des remords, ainsi que des souhaits exprimés par la victime dans sa déclaration (que le tribunal doit prendre en considération suivant l'art. 722 du Code). Cette liste n'est pas exhaustive.

Lorsque des objectifs punitifs tels que la dénonciation et la dissuasion sont particulièrement pressants, par exemple en présence de circonstances aggravantes, l'incarcération sera généralement la sanction préférable, et ce en dépit du fait que l'emprisonnement avec sursis pourrait également permettre la réalisation d'objectifs correctifs. À l'inverse, selon la nature des conditions imposées dans l'ordonnance de sursis, la durée de celle-ci et la situation du délinquant et de la collectivité au sein de laquelle il purgera sa peine, il est possible que l'emprisonnement avec sursis ait un effet dénonciateur et dissuasif suffisant, même dans les cas où les objectifs correctifs présentent moins d'importance.

Finalement, il convient de souligner que le sursis à l'emprisonnement peut être octroyé même dans les cas où il y a des circonstances aggravantes liées à la perpétration de l'infraction ou à la situation du délinquant. Il va de soi que la présence de circonstances aggravantes augmentera le besoin de dénonciation et de dissuasion. Toutefois, il serait erroné d'écarter d'emblée la possibilité de l'octroi du sursis à l'emprisonnement pour cette seule raison. Je le répète, il faut apprécier chaque cas individuellement.»

[139] L'on a précédemment conclu, toujours au titre du principe de l'harmonisation des peines, que le créneau sentenciel à privilégier dans la présente affaire n'est ni celui de la peine de pénitencier, ni celui des simples mesures probatoires, mais plutôt celui de l'emprisonnement d'une durée inférieure à deux ans. Or, il n'y a pas d'empêchement de principe à ce que la peine puisse être ici purgée dans la collectivité, pour autant toutefois qu'il soit possible de combiner les objectifs punitifs et les objectifs correctifs et que cette mesure soit conforme aux objectifs et aux principes prévalant en matière d'imposition de la peine (mais c'est là une question qui sera analysée subséquemment).

[140] Et cette possibilité de purger la peine dans la collectivité doit encore d'autant moins être écartée qu'un autre principe sentenciel milite en faveur de cette alternative.

[151] Est-ce que, en regard de l'ensemble des objectifs visés, une peine d'incarcération serait appropriée? Pas vraiment. C'est que, en effet, l'emprisonnement avec sursis peut aussi permettre à ces objectifs de coexister de façon adéquate, comme le précise le juge Lamer dans l'arrêt Proulx, précédemment cité, à la page 121:

«Il arrive fréquemment que le juge qui détermine la peine se trouve devant une situation où certains objectifs militent en faveur de l’octroi du sursis à l’emprisonnement et d’autres en faveur de l’emprisonnement. En pareils cas, le juge du procès doit soupeser ces divers objectifs pour déterminer la peine appropriée. Comme a expliqué le juge La Forest dans R. c. Lyons, 1987 CanLII 25 (C.S.C.), [1987] 2 R.C.S. 309, à la p. 329, «[d]ans un système rationnel de détermination des peines, l’importance respective de la prévention, de la dissuasion, du châtiment et de la réinsertion sociale variera selon la nature du crime et la situation du délinquant». Le juge ne dispose pas d’un critère ou d’une formule d’application simple à cet égard. Il faut s’en remettre au jugement et à la sagesse du juge qui détermine la peine, que le législateur a investi d’un pouvoir discrétionnaire considérable à cet égard à l’art. 718.3».

[152] Or, en l'espèce, certains objectifs militent en faveur de l'emprisonnement ferme, mais, comme on l'a vu précédemment, plusieurs autres militent résolument en faveur de l'octroi du sursis. En outre, les objectifs qui militent en faveur de l'incarcération, soit la dénonciation et la dissuasion, peuvent aussi être véhiculés par la mesure sentencielle de l'emprisonnement avec sursis, pour autant qu'y soient incorporées des composantes punitives, comme l'assignation à résidence pour une période significative, suivie d'un couvre-feu. Mais les objectifs qui militent en faveur de l'emprisonnement avec sursis – soit les objectifs déjà atteints de dissuasion spécifique, de réinsertion sociale et de prise de conscience des torts – seraient quant à eux totalement occultés par l'infliction d'une peine d'incarcération.

[153] Si l'on recentre maintenant la discussion sur les paramètres exposés par la Cour suprême dans l'extrait de l'arrêt Proulx cité au paragraphe 138 du présent jugement, l'on considérera que «les chances de réinsertion sociale» de monsieur Douab sont bonnes, que son «plan de réadaptation» passe par un retour dans son pays d'origine avec son épouse, qu'il «reconnaît [totalement] ses torts» et qu'il «manifeste [de profonds] remords». Il est dès lors «possible de réaliser [les] objectifs correctifs» en semblable contexte, et «possible [aussi] de combiner [les] objectifs punitifs et [les] objectifs correctifs». Dans ces circonstances, il faut considérer que «l'emprisonnement avec sursis sera vraisemblablement une sanction plus appropriée que l'incarcération».

[154] Puisque les objectifs sentenciels de dissuasion spécifique, d'isolement des délinquants, de réinsertion sociale, de réparation des torts et de prise de conscience des responsabilités ne requièrent pas ici l'infliction d'une peine d'incarcération, et puisque les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale peuvent quant à eux être intégrés dans la mesure de l'emprisonnement avec sursis par l'incorporation de conditions restrictives de liberté, c'est ultimement l'emprisonnement avec sursis qui constitue ici la mesure sentencielle la plus appropriée.

[155] L'article 742.1 du Code criminel exige par ailleurs, comme on le sait, du juge qui s'apprête à imposer une peine d'emprisonnement à purger dans la communauté d'abord qu'il vérifie si le crime à sanctionner ne commande pas l'infliction d'une peine minimale (ce qui n'est pas le cas ici) et, ensuite, qu'il se convainque «que le fait de purger la peine au sein de la collectivité ne met pas en danger la sécurité de celle-ci et est conforme à l'objectif et aux principes visés aux articles 718 à 718.2».

[156] Le Tribunal est convaincu d'une part que monsieur Douab n'est pas à risque de récidive et d'autre part qu'il est en mesure de respecter les conditions que le Tribunal pourrait lui imposer. Cette condition d'ouverture à l'imposition d'une peine d'emprisonnement avec sursis est dès lors rencontrée.

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