R. c. Douab, 2009 QCCQ 5734 (CanLII)
[163] Mais avant de disposer de cette question, encore faut-il cerner les paramètres s'appliquant à la mesure sentencielle de l'absolution.
[164] Comme on l'a déjà mentionné, l'article 730 C.cr. confère au Tribunal la discrétion de, «s'il considère qu'il y va de l'intérêt véritable de l'accusé sans nuire à l'intérêt public, au lieu de le condamner, prescrire par ordonnance qu'il soit absous inconditionnellement ou aux conditions prévues dans une ordonnance rendue aux termes du paragraphe 731(2)».
[165] Constituant en quelque sorte une ultime application des principes de la proportionnalité et de l'individualisation de la peine précédemment analysés, la voie sentencielle de l'absolution conditionnelle ou inconditionnelle permet ainsi au Tribunal chargé d'imposer la peine d'éviter l'infliction d'un casier judiciaire à un délinquant à l'égard duquel le seul fait de se voir accablé d'un tel casier pourrait constituer un châtiment disproportionné en regard des gestes répréhensibles posés, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.
[166] Mais avant de décider s'«il y va de l'intérêt véritable de l'accusé sans nuire à l'intérêt public» (art. 730 C.cr.) qu'une ordonnance d'absolution soit émise dans le présent dossier, encore faut-il circonscrire les deux termes de l'équation.
[167] Qu'entend-on d'abord par «l'intérêt véritable de l'accusé» ?
[168] À la lecture des arrêts cités précédemment, l'on est en mesure d'affirmer que, selon les Cours d'appel canadiennes, l'intérêt de l'accusé à obtenir une absolution inconditionnelle ou conditionnelle doit être apprécié à la lumière des conséquences pouvant découler d'une condamnation en général, et du fait d'hériter d'un casier judiciaire en particulier. C'est sous cet angle que deviennent pertinents des enjeux comme le risque de déportation en vertu des lois et règlements régissant l'immigration, le risque de perte d'emploi ou de radiation d'un Ordre professionnel, ou encore le risque de ne pouvoir se rendre aux États-Unis à des fins de travail ou à des fins familiales. Mais alors, aucun de ces enjeux n'est déterminant en soi: il s'agit en fait de facteurs qui, s'ajoutant aux autres considérations pertinentes, doivent être soupesés et pondérés en regard de l'ensemble des circonstances.
[169] Qu'en est-il maintenant de l'intérêt public ?
[170] Puisque, pour pouvoir même envisager la voie sentencielle de l'absolution, il est nécessaire d'acquérir la conviction que cette mesure ne nuirait pas à l'intérêt public, il est en effet nécessaire de préciser ce que l'on entend par là. Cette question appelle dès lors trois observations.
[171] D'abord, l'intérêt public ne peut pas être apprécié en faisant abstraction des objectifs prévalant en matière d'imposition de la peine, qui sont maintenant codifiés à l'article 718 du Code criminel, et notamment des objectifs de dénonciation et de dissuasion générale et spécifique.
[172] Mais, dans l'affaire Rozon c. R., [1999] R.J.Q. 805 (C.S.), le juge Béliveau, de la Cour supérieure, précise que l'affirmation de ces deux derniers objectifs ne requiert pas nécessairement une condamnation. Il explique ce qui suit, à la page 812:
«Quant à la notion d'intérêt public, elle doit prendre en cause l'objectif de la dissuasion générale, la gravité de l'infraction, son incidence dans la communauté, l'attitude du public à son égard et la confiance de ce dernier dans le système judiciaire [R. c. Elsharawy, reflex, (1998) 119 C.C.C. (3d) 565 (C.A.T.-N.), par. 3]. Cela étant, il faut se rappeler que dans l'arrêt R. c. Meneses [(1976) 25 C.C.C. (2d) 115], la Cour d'appel de l'Ontario a précisé que l'arrestation et la comparution d'un délinquant peuvent constituer une mesure de dissuasion efficace à l'égard de personnes qui ne sont pas criminalisées, lesquelles sont justement celles qui sont candidates à une absolution».
[173] Ensuite, l'appréciation, dans le processus d'octroi de l'absolution, de ce qui relève de l'intérêt public ne peut être faite adéquatement non plus sans que ne soit simultanément pris en compte le principe fondamental de la proportionnalité, tel qu'il a précédemment été appliqué aux faits de l'espèce. Car, ultimement, plus l'infraction sera objectivement et subjectivement grave et plus le degré de responsabilité du délinquant sera élevé, plus alors l'intérêt public requerra une condamnation. Et, à l'inverse, moins l'infraction sera objectivement et subjectivement grave et moins le degré de responsabilité du délinquant sera élevé, plus alors l'intérêt public pourra se satisfaire d'une sanction autre que la condamnation. De la même manière, cette appréciation de ce qu'exige l'intérêt public ne peut pas davantage être faite sans que ne soient pris en compte, aussi, le principe de l'individualisation de la peine, le principe de l'harmonisation des peines ainsi que le principe de la modération dans l'infliction des peines, que l'on a déjà examinés.
[174] Bien qu'exprimée en termes différents, c'est d'ailleurs la même préoccupation qu'énonçait, en la complétant, le juge Grenier dans l'affaire R. c. Khanna, J.E. 98-1819 (C.Q.), alors qu'il écrivait, à la page 5:
«Dans l'analyse de la notion d'intérêt public dont parle l'alinéa 730 (1) C.cr., il faut évaluer la situation particulière de l'accusé à la lumière de la nature de l'infraction et des circonstances qui l'entourent. L'analyse n'est pas purement subjective; elle exige de calquer les facteurs propres à l'accusé sur la toile de fond factuelle pour vérifier si la superposition est possible, ou si les éléments objectifs de l'affaire excluent l'octroi d'une absolution».
[175] L'on comprend mieux, maintenant, pourquoi, dans cet exercice à géométrie modulable, les tribunaux de toutes les juridictions accordent un poids et une influence variables au fait qu'une condamnation pourrait modifier le statut d'un délinquant en regard des lois et règlements régissant l'immigration: plus les objectifs et les principes prévalant en matière d'imposition de la peine exercent une pression à la hausse sur la sentence à imposer, moins le facteur de l'incidence de la condamnation sur le statut du délinquant au Canada sera susceptible d'exercer une influence déterminante au point de faire obstacle à la condamnation.
[176] Enfin, intérêt public et condamnation ne sont pas synonymes. Dans la mesure, en effet, où «favoriser la réinsertion sociale des délinquants» constitue l'un des objectifs du prononcé des peines codifiés à l'article 718 C.cr., il n'y a pas d'obstacle de principe à ce que, dans certains cas d'espèce particuliers, l'intérêt public – qui inspire au premier chef l'exercice d'imposition des peines – soit adéquatement servi par une voie sentencielle privilégiant surtout la réinsertion sociale. Or, c'est précisément ce qui se produit quand, pour éviter le stigmate d'une condamnation et/ou l'infliction d'un casier judiciaire qui seraient susceptibles de marginaliser le délinquant dans le milieu dans lequel il évolue, le Tribunal prononce une absolution qui lui permet de conserver toute son utilité sociale.
[177] Ce sont d'ailleurs des préoccupations de cette nature qui animaient le juge Béliveau dans l'affaire Rozon, précitée. Il les exprimait dans les termes suivants, à la page 812:
«Dans ce même arrêt, la Cour d'appel de l'Ontario a indiqué que l'intérêt public comporte également le fait que l'accusé ait la possibilité de devenir une personne utile dans la communauté et qu'elle puisse assurer sa subsistance et celle de sa famille. On avait accordé une libération, selon la terminologie de l'époque, à une dentiste immigrante des Philippines qui désirait être admise à la pratique de cette profession au Canada».
[178] Il ressort dès lors de ce qui précède que, contrairement à la composante «intérêt véritable de l'accusé», qui est relativement facile à cerner, le volet «intérêt public» est beaucoup plus difficile à circonscrire, parce que multiforme: il s'agit en effet d'une notion à géométrie variable car, comme on l'a vu, il n'y a pas qu'une seule façon de bien servir l'intérêt public.
[179] Ce qui soulève la question ultime: l'intérêt public peut-il être adéquatement servi, ici, par une absolution, ou ne requiert-il pas plutôt une condamnation ?
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