jeudi 31 décembre 2009

Analyse sur l'opportunité d'accorder ou non une absolution - marche à suivre suggérée par le juge Gosselin

R. c. Douab, 2009 QCCQ 5734 (CanLII)

[51] Il est en effet très fréquent que, devant les tribunaux de juridiction criminelle, des délinquants cherchent à échapper au stigmate que constitue un casier judiciaire ou encore aux conséquences légales qui en découlent. Il est donc très fréquent que, à l'égard de gestes la plupart du temps isolés, des demandes de prononcer une absolution plutôt qu'une condamnation soient formulées.

[52] Ce qui est moins fréquent, cependant, c'est que cette problématique se pose dans des dossiers dans lesquels les créneaux sentenciels envisagés par la Couronne et par la Défense sont inconciliables.

[53] C'est que, en effet, l'évaluation de ce que commande l'intérêt public est directement fonction de l'écart existant entre la mesure sentencielle alternative de l'absolution d'une part, et la peine qui s'imposerait normalement dans les circonstances d'autre part: plus cet écart sera marqué, et moins l'intérêt public pourra s'accommoder d'une absolution; et, à l'inverse, moins l'écart sera considérable, et plus alors l'intérêt public sera susceptible d'être adéquatement servi par une mesure sentencielle qui n'emporte pas de condamnation. Autrement dit, la marche est plus haute si le crime à sanctionner mérite, par exemple, une peine d'emprisonnement.

[54] Or, à la lecture de l'abondante jurisprudence citée par la Poursuivante et par la Défense au soutien de leur position respective, le Tribunal est frappé par le fait que, à chaque fois qu'une Cour d'appel a été saisie de la question de savoir si l'absolution inconditionnelle ou conditionnelle était une mesure adéquate dans les circonstances, le créneau sentenciel à l'intérieur duquel la peine à infliger aurait normalement dû se situer était celui que, dans l'arrêt R. c. Proulx, 2000 CSC 5 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 61, la Cour suprême identifiait comme étant celui des simples mesures probatoires. Ce créneau sentenciel inférieur, faut-il le rappeler, inclut la mesure sentencielle de la sentence suspendue assortie d'une ordonnance de probation ainsi que l'amende assortie ou non d'une probation.

[55] Le relevé suivant permet en effet de constater la constance du phénomène.

[56] D'abord, dans l'affaire R. v. Sanchez-Pino, (1973) 11 C.C.C. (2d) 53 (C.A.O.), la Cour d'appel de l'Ontario était saisie du cas d'une étudiante étrangère qui, sans antécédent judiciaire, avait commis un vol à l'étalage dont la valeur se situait à moins de 78 $: aucune perte n'avait été encourue puisque les biens avaient été récupérés. La décision du juge de première instance, qui avait refusé l'absolution et plutôt privilégié le créneau sentenciel des simples mesures probatoires, a été confirmée par une Cour d'appel unanime. S'exprimant au nom de la Cour, le juge Arnup écrit alors, aux paragraphes 18 et 20:

«Obviously the section is not confined to «simple cases of possession of marijuana». It is not confined to any class of offences except to the extent I have noted. On the other hand, it is only common sense that the more serious the offence, the less likely it will appear that an absolute discharge, or even a conditional one, is «not contrary to the public interest». In some cases, the trivial nature of the offence will be an important consideration; in others, unusual circumstances peculiar to the offender in question may lead to an order that would not be made in the case of another offender.

[…]

Even these deliberately general observations, when applied to the circumstances of this particular case, demonstrate to me that a trial judge, properly instructing himself, could not judicially exercise his discretion to grant either a conditional or an absolute discharge in this case. The appelant was a mature woman, of high educational and intellectual attainment. The theft was not the result of a sudden momentary impulse. She stole a number of articles, from several different places in the store, stuffing them in a shopping bag obviously brought along for the purpose. It was not a matter of momentary forgetfulness, for she did pay for two trivial items, and stole the rest. The widespread incidence of shoplifting, mentioned by the Crown attorney as prevalent in Metropolitan Toronto – and obviously known to the trial Judge – is indeed a matter of public notoriety.» [soulignements ajoutés]

[57] Puis, dans l'affaire R. v. Fallofied, (1973) 13 C.C.C. (2d) 450 (C.A.C.-B.), la Cour d'appel de la Colombie-Britannique était confrontée au cas d'un déménageur qui s'était emparé de cinq morceaux de tapis laissés sur les lieux par l'occupant précédent. Il avait plaidé coupable à une accusation de possession illégale de biens volés, le tout d'une valeur de 33,07 $, et avait été condamné par le juge du procès à 100 $ d'amende. Caporal dans les Forces armées canadiennes et «l'un des meilleurs hommes à la disposition de son officier», la Cour d'appel l'a fait bénéficier d'une absolution inconditionnelle.

[58] De même, dans l'affaire R. c. Harouya, J.E. 87-590 (C.A.), la Cour d'appel du Québec devait statuer sur le sort d'un individu qui avait été déclaré coupable d'un attentat à la pudeur sur un garçon âgé de moins de 14 ans, que le juge de première instance avait condamné à 400 $ d'amende et placé sous probation pour un an. S'exprimant au nom d'une Cour unanime et refusant de substituer une absolution à cette peine par ailleurs qualifiée de «très généreuse à l'égard de l'appelant» (au par. 32), le juge Dubé écrit ce qui suit, aux paragraphes 28 à 30:

«Je rejetterais aussi l'appel de l'accusé quant à la sentence: l'accusé se plaint surtout du fait que la présente sentence pourrait lui faire perdre ses possibilités de devenir citoyen canadien et que le juge de première instance aurait dû lui accorder une libération sous l'article 662(1) du Code criminel.

Notre Cour d'appel s'est déjà clairement exprimée par la voix de notre collègue monsieur le juge Bernier sur ce principe dans la cause La Reine c. Sofia Vretakos, (1976) C.A. 526:

«Il a été décidé que les Tribunaux de juridiction pénale ne devaient pas tenter, en pareil cas, de se substituer aux fonctionnaires et Tribunaux de l'Immigration en accordant une libération en vertu de l'article 662(1) C.cr. sous prétexte qu'une autre sentence pourrait faire obstacle à l'octroi de la citoyenneté canadienne, mais que, par ailleurs, il s'agissait là d'un des facteurs que le premier juge devait prendre en considération.»

Notre collègue monsieur le juge Montgomery s'est aussi exprimé sur le même sujet dans la cause Luis Herlindc Duarte King c. La Reine, (1985) C.A. 117:

«I am prepared to leave it to the discretion of the immigration authorities to determine whether Appelant is the type of person who should be a permanent resident or citizen of Canada. They probably have more detailed information, as to his case than we do, especially as to the probable consequences of his deportation.»

[59] Puis, dans l'affaire R. v. Shokohi-Manesh, 1991 CanLII 1203 (BC C.A.), (1992) 69 C.C.C. (3d) 286 (C.A.C.-B.), la Cour d'appel de la Colombie-Britannique était saisie du dossier d'un réfugié iranien en attente de statut au Canada qui avait reçu une sentence suspendue assortie d'une probation de deux ans pour possession d'un téléphone cellulaire volé: il avait trouvé l'appareil, avait vainement tenté de retracer le propriétaire et se l'était finalement approprié. Il a été arrêté par la police au moment où il allait le récupérer à la boutique à laquelle il avait confié le soin de le reprogrammer. Acceptant de substituer une absolution inconditionnelle à la mesure probatoire, la Cour reconnaît que les problèmes anticipés avec les services d'immigration sont l'un des facteurs à soupeser, mais précise qu'il ne s'agit pas là d'un argument prééminent, au paragraphe 8:

«The fact that an accused person's immigration status will be adversely affected by a conviction does not in itself justify the granting of a discharge.»

[60] Il résulte des deux arrêts qui précèdent que l'incidence d'une condamnation sur le sort du délinquant en regard des lois et règlements régissant l'immigration n'est que l'un des facteurs qui doivent être pris en considération lorsqu'il s'agit de déterminer si une absolution est appropriée ou non; en outre, comme on le verra plus loin, l'importance relative de ce facteur décroît de façon inversement proportionnelle à l'importance des crimes à sanctionner.

[61] En outre, dans l'affaire R. c. Moreau, J.E. 92-1237 (C.A.Q.), la Cour d'appel du Québec était saisie du cas d'une enseignante de 41 ans, sans antécédent judiciaire et souffrant de «serious personal and psychological problems», qui avait été condamnée par une Cour municipale, puis par la Cour supérieure, à une amende de 200 $ pour un vol à l'étalage de biens valant 66 $ dans un magasin à rayons. S'exprimant au nom d'une Cour unanime, le juge Rothman accepte de substituer une absolution inconditionnelle à l'amende initialement imposée, formulant dans les termes suivants ce qui deviendra par la suite la règle d'or en la matière, aux paragraphes 16 et 17:

«Section 736 is expressed in broad terms. To grant a discharge instead of convicting the accused of the offence, the court must consider it to be in the best interests of the accused and not contrary to the public interest to do so. While the section should, of course, be applied judiciously with those criteria in mind, I see no basis for interpreting or applying it restrictively or exceptionally.

It would be difficult, an probably unwise, to attempt a definition of the categories of cases where an absolute or a conditional discharge could appropriately be granted. But without attempting an exhaustive definition, I believe a discharge under s.736 should be considered a sentencing option when the conditions of the section are met and were, having regard to the nature of the offence and the age, character and circumstances of the accused, the registering of a criminal conviction, in itself, would have a prejudicial impact on the accused that is disproportionate to the offence he or she committed.» [soulignements ajoutés]

[62] Ce point de vue est repris quelques années plus tard dans l'affaire R. c. Abouabdellah, EYB 1996-72091 (C.A.Q.). L'accusée, qui résidait au Canada en vertu d'un visa d'étudiant, risquait la déportation à la suite de sa condamnation, par une Cour municipale puis par la Cour supérieure, à une amende de 100 $ pour le vol à l'étalage de marchandises d'une valeur de 28,98 $ dans une pharmacie. Substituant une absolution conditionnelle à l'amende initialement imposée, la Cour énonce dans les termes suivants le grand principe qui doit guider le juge de première instance saisi d'une demande d'absolution, au paragraphe 8:

«La règle d'or en la matière est qu'un justiciable ne doit pas, dans les faits, subir un châtiment qui n'a aucune mesure avec sa faute, singulièrement, comme en l'espèce, lorsque le justiciable n'a pas de casier judiciaire et que l'acte criminel n'a pas été prémédité et que cet acte criminel, quoiqu'évidemment répréhensible, n'a pas une gravité relative importante.» [soulignements ajoutés]

[63] Absence d'antécédent judiciaire, absence de préméditation dans la commission de l'infraction et absence de gravité relative du geste répréhensible posé: voilà, selon la Cour d'appel, autant de facettes sous lesquelles le problème doit être envisagé avant que ne puisse être arrêtée la question de savoir si le châtiment que constitue la condamnation est disproportionné en regard de la faute commise.

[64] L'on est dès lors en mesure de constater que, dans les arrêts des Cours d'appel canadiennes dans lesquels ont été d'abord établis et ensuite appliqués les grands paramètres inhérents à la mesure sentencielle de l'absolution, les trames factuelles sous-jacentes révélaient essentiellement des crimes de peu d'importance, commis de façon isolée par des délinquants sans antécédent judiciaire, mais qui avaient chacun un intérêt particulier à ne pas hériter d'un casier judiciaire.

[65] Peut-être est-il, par ailleurs, opportun de souligner que, dans deux arrêts récents, la Cour d'appel du Québec a expressément refusé d'envisager la mesure sentencielle de l'absolution dans des contextes où, d'une part, des crimes plus graves avaient été prémédités et planifiés et où, d'autre part, les crimes à sanctionner s'inscrivaient dans un certain continuum organisationnel et criminel.

[66] Ainsi, dans l'arrêt R. c. Peterson, 2007 QCCA 519 (CanLII), 2007 QCCA 519, la Cour d'appel a unanimement confirmé la peine d'une année d'emprisonnement ferme assortie d'une probation de deux ans qui avait été infligée à un individu ayant, dans un continuum de trois transactions, obtenu une marge de crédit de 10 000 $ en usurpant l'identité d'un tiers. Fait intéressant à souligner, le Ministère public réclamait l'imposition d'une peine d'emprisonnement avec sursis d'une année assortie d'une ordonnance de probation imposant le remboursement de la somme fraudée, alors que la Défense demandait qu'une absolution conditionnelle soit prononcée pour ce troisième délit comme elle l'avait déjà été pour deux autres commis postérieurement. En confirmant l'infliction d'une peine supérieure à celle requise par le Ministère public, la Cour s'exprime de la façon suivante, aux paragraphes 10 et 16:

«Cela dit, le législateur n'exclut pas l'octroi d'une absolution pour les crimes commis de façon préméditée, mais le juge qui détermine une peine doit tenir compte des modalités et circonstances entourant la commission du crime, notamment la nature et l'étendue de la fraude.

[…]

Tel que mentionné précédemment, il ne s'agit pas ici d'un crime commis de façon irréfléchie ou spontanée, mais plutôt d'un agir criminel savamment orchestré dans le seul but d'escroquer des sommes importantes pour son bénéfice personnel. C'est l'attrait de l'argent obtenu facilement qui motive à commettre de tels crimes.» [soulignements ajoutés]

[67] De même, dans l'arrêt rendu le 13 mai 2009 dans l'affaire R. c. Leboeuf, 2009 QCCA 997 (CanLII), 2009 QCCA 997, la Cour d'appel a unanimement substitué une amende de 10 000 $ à l'absolution assortie d'une donation de 5 000 $ à un organisme communautaire qu'avait initialement prononcée le juge de première instance (en réalité, comme la somme de 5 000 $ avait déjà été versée par le délinquant, son déboursé réel a été porté à 15 000 $). Agent immobilier âgé de 42 ans sans antécédent judiciaire, l'accusé était passible d'un emprisonnement maximal de deux ans pour avoir, sur une période de neuf mois, empoché des profits de 30 000 $ par la vente, dans le cadre d'une organisation structurée, d'appareils permettant le décodage de signaux de télécommunications. En décidant que l'absolution était en l'espèce inappropriée, la Cour a insisté sur la planification des crimes et sur la motivation sous-jacente, aux paragraphes 6 et 7:

«[…] Il ne s'agit donc pas d'un incident isolé, mais d'une participation qui a nécessité une planification.

[…] Toutefois, même en tenant compte de cette déférence, la peine infligée ne tient pas suffisamment compte des facteurs de dissuasion générale et d'exemplarité eu égard aux circonstances de commission du crime. Elle est manifestement inappropriée si l'on tient compte qu'il s'agissait d'une organisation soigneusement mise en place dont le but est de contrer le paiement des frais d'abonnement par les acquéreurs de ces cartes de piratage tout en assurant aux vendeurs des bénéfices considérables.»

[68] Tout cela pour conclure que, finalement, l'état du droit sur la question n'a pas connu de modification significative depuis que le juge Doyon, avant qu'il n'accède à la Cour d'appel, le résume dans les termes suivants, dans l'affaire R. c. Courey, 1999 CanLII 5752 (QC C.Q.), 1999 CanLII 5752 (QCCQ), à la page 4:

«L'on retrouve, dans les arrêts Moreau, 1992 CanLII 3313 (QC C.A.), (1993) 76 C.C.C. (3d) 181 (C.A.Q.), Tanguay, (1976) 24 C.C.C. (2d) 77 (C.A.Q.), et Rozon, [1999] R.J.Q. 805 (C.S.Q.), de même que dans de nombreux cas d'absolution inconditionnelle, un dénominateur commun: il s'agit généralement de gestes ponctuels, irréfléchis et de courte durée.»

[69] Les enseignements de la Cour d'appel du Québec incitent dès lors le Tribunal à clarifier, à ce stade-ci du processus décisionnel, la question de savoir quelle serait normalement, indépendamment des motifs invoqués au soutien de la demande d'absolution, la peine la plus adéquate dans les circonstances. Car il faut avoir une idée relativement précise de ce que serait typiquement la peine à infliger pour pouvoir ensuite déterminer si l'intérêt public pourrait s'accommoder de la substitution d'une absolution à cette peine normale.

[70] Le Tribunal propose dès lors de suivre la démarche étapiste suivante: d'abord, la détermination de ce que serait normalement une peine adéquate dans les circonstances; ensuite, l'identification des paramètres régissant la mesure sentencielle de l'absolution, ce qui comprend l'examen du concept d'«intérêt véritable de l'accusé» et celui du concept d'«intérêt public»; et enfin l'appréciation, en l'espèce, de la question de savoir si l'intérêt public peut ici s'accommoder d'une mesure sentencielle substitutive à la condamnation.

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