R. c. Mazzara, 2008 QCCS 6591 (CanLII)
[17] Le droit à une audition impartiale devant un tribunal indépendant est enchâssé aux articles 7 et 11 de la Charte canadienne des droits et libertés ainsi qu'à l'article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne.
[18] L'article 11d) de la Charte exige que l'accusé soit jugé par un tribunal indépendant et impartial au cours d'un procès équitable. Le critère applicable, tant à l'indépendance qu'à l'impartialité de la magistrature, est de savoir si le tribunal peut raisonnablement être perçu comme tel.
[19] Le droit d'être jugé par un tribunal indépendant et impartial fait partie intégrante des principes de justice fondamentale visés à l'art. 7 de la Charte canadienne et la garantie constitutionnelle du tribunal indépendant et impartial inclut le concept de l'impartialité institutionnelle.
[20] La Cour suprême dans Bande indienne Wewaykum v. Canada, 2003 CSC 45 (CanLII), [2003] 2 R.C.S. 259, mentionne que la confiance du public dans notre système juridique prend sa source dans la conviction fondamentale selon laquelle ceux qui rendent jugement doivent non seulement toujours le faire sans partialité ni préjugé, mais doivent également être perçus comme agissant ainsi.
[21] La Cour suprême mentionne dans cette même affaire que l'impartialité du juge doit être présumée et le fardeau de la preuve appartient à la partie qui soulève la violation réelle ou appréhendée de l'obligation d'impartialité. Il lui faut établir soit la partialité réelle soit l'apparence raisonnable de partialité.
[22] Dans Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 39 (CanLII), [2005] 2 R.C.S. 91, la Cour suprême a expliqué que l’obligation d’impartialité exige que le juge aborde tout dossier avec un esprit ouvert (voir par. 13).
[23] De plus, les principes de déontologie judiciaire prévoient que l'apparence d'impartialité doit être évaluée en fonction de la perception d'une personne raisonnable, impartiale et bien informée, que les juges se récusent chaque fois qu'ils s'estiment incapables de juger impartialement, que les juges se récusent chaque fois qu'ils croient qu'une personne raisonnable, impartiale et bien informée aurait des motifs de soupçonner qu'il existe un conflit entre leur intérêt personnel (ou celui de leurs proches parents, de leurs amis intimes ou de leurs associés) et l'exercice de leur fonction.
[24] Enfin, les principes de déontologie judiciaire prévoient également qu'il n'est pas à propos de se récuser si selon le cas, a) l'élément laissant croire à la possibilité de conflit est négligeable ou ne permettrait pas de soutenir de manière plausible que la récusation s'impose; b) il est impossible de constituer un autre tribunal qui puisse être saisi de l'affaire ou en raison de l'urgence d'instruire la cause, l'omission d'agir pourrait entraîner un déni de justice.
[25] La Cour suprême dans R. c. S. (R.D.), 1997 CanLII 324 (C.S.C.), [1997] 3 R.C.S. 484, par. 34. enseigne la nécessité de distinguer l’impartialité de la neutralité.
[26] Le justiciable s’attend à être jugé par une personne capable de trancher selon la preuve :
« La véritable impartialité n’exige pas que le juge n’ait ni sympathie ni opinion. Elle exige que le juge soit libre d’accueillir et d’utiliser différents points de vue en gardant un esprit ouvert. »
[27] Comme l’établit la Cour suprême, la réponse à donner à la question « y a-t-il crainte raisonnable de partialité» découle de l’application d’un test consistant à se demander à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique : «croirait-elle que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?»
[28] La crainte doit être objective et s’inférer de motifs sérieux. Comme l’écrit l’honorable juge Delisle de la Cour d’appel, «dans l’analyse de ce critère, il faut être plus exigeant selon qu’il y aura ou non enregistrement des débats et existence d’un droit d’appel».
[29] La crainte doit provenir d'une personne qui est un membre informé et sensé de la collectivité qui aborde la question de savoir s’il y a crainte raisonnable de partialité avec une compréhension nuancée et contextuelle des éléments en litige.
[30] Comme l’écrit la Cour suprême dans R. c. S.(R.D.), précité, à la page 532 :
« 113. Peu importe les mots précis utilisés pour définir le critère, ses diverses formulations visent à souligner la rigueur dont il faut faire preuve pour conclure à la partialité, réelle ou apparente. C’est une conclusion qu’il faut examiner soigneusement car elle met en cause un aspect de l’intégrité judiciaire. De fait, l’allégation de crainte raisonnable de partialité met en cause non seulement l’intégrité personnelle du juge, mais celle de l’administration de la justice toute entière. »
[31] Cette rigueur découle de l'existence de la présomption d'impartialité tel que mentionné aux pages 532 et 533 :
« 116. Le serment que prononce le juge lorsqu’il entre en fonctions est souvent le moment le plus important de sa carrière. À la fierté et à la joie se mêle en ce moment le sentiment de la lourde responsabilité qui accompagne cette charge. C’est un moment empreint de solennité, un moment déterminant qui restera gravé dans la mémoire du juge. Par ce serment, il s’engage à rendre la justice avec impartialité. Ce serment marque la réalisation des rêves d’une vie. Il n’est jamais prononcé à la légère. Durant toute leur carrière, les juges canadiens s’efforcent d’écarter les préjugés personnels qui sont le lot commun de tous les humains pour faire en sorte que les procès soient équitables et qu’ils paraissent manifestement équitables. Leur taux de réussite dans cette tâche difficile est élevé.
117. Les tribunaux ont reconnu à juste titre l’existence d’une présomption voulant que les juges respectent leur serment professionnel. Voir R. c. Smith & Whiteway Fisheries Ltd. 1994 CanLII 4057 (NS C.A.), (1994), 133 N.S.R. (2d) 50 (C.A.), et Lin, précité. C’est l’une des raisons pour lesquelles une allégation d’apparence de partialité doit être examinée selon une norme rigoureuse.»
[32] Comme l’a affirmé l'honorable Alan B. Gold, alors juge en chef, dans l'affaire Gestion Huguette Barry Inc. c. Lavoie, «il n’y a aucune raison de présumer et encore moins de croire qu’un juge décidera de l’issue d’une cause sur la base d’une preuve inadmissible. De fait, la présomption est sûrement à l’effet contraire»
[33] Ainsi, il s’agit essentiellement de procéder à une analyse au «cas par cas», sans raccourci possible, sans solution facile, essentiellement tributaire des faits et du contexte spécifique de l’affaire.
[34] De son côté, la Cour d'appel, appelée à statuer en matière civile, sur le jugement rendu par la juge Marie St-Pierre, j.c.s., dans l'affaire Peter Widdrington c. Elliot C. Wighthman et al du le 9 octobre 2007, souligne les principes applicables en matière de récusation (paragraphe 50). Soulignons que, dans cette affaire, les enfants de la juge sont salariés dans un cabinet qui est en partie impliqué dans l'affaire qui s'instruit devant elle:
« [50] Dans un jugement récent, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique résume les enseignements de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Wewaykum Indian Band v. Canada au regard des principes qui prévalent en matière de récusation des juges. Ces principes sont les suivants :
(i) a judge's impartiality is presumed;
(ii) a party arguing for disqualification must establish that the circumstances justify a finding that the judge must be disqualified;
(iii) the criterion of disqualification is the reasonable apprehension of bias;
(iv) the question is what would an informed, reasonable and right-minded person, viewing the matter realistically and practically, and having thought the matter through, conclude;
(v) the test for disqualification is not satisfied unless it is proved that the informed, reasonable and right-minded person would think that it is more likely than not that the judge, whether consciously or unconsciously, would not decide fairly;
(vi) the test requires demonstration of serious grounds on which to base the apprehension;
(vii) each case must be examined contextually and the inquiry is fact-specific.»
[35] La Cour d'appel mentionne également à son paragraphe 52 qu'une requête en récusation ne doit, sous aucun prétexte, devenir un moyen à la disposition des parties pour influer sur le choix du décideur :
« [52] […]
[…] It is the duty of a judge to hear cases that come before him or her, and a party should not be able to unilaterally choose not to have a matter heard by a particular judge simply because that party would prefer that another judge hear the case. If one party, without sound reason, is able to unilaterally determine that a particular judge will not hear a case, it also tends to bring the administration of justice into disrepute.
[…]
[56] Dans cet ordre d’idées, il ne serait pas raisonnable d’interpréter la notion de conflit d’intérêts de manière que la restriction posée par l’article 234, paragr. 9 C.p.c., s’applique à tout le personnel d’un cabinet d’avocats. Outre le cas évident de l’avocat qui occupe pour une partie et qui a un lien de parenté suffisamment étroit avec le juge, cet article vise les parents associés aux avocats mandatés par une partie, parce que seuls ces associés ont véritablement un intérêt dans l’issue des litiges, leurs revenus étant directement reliés aux profits et à la réputation du cabinet au sein duquel ils exercent leur profession. »
[36] La Cour d'appel est d'accord avec l'abondante jurisprudence qui illustre le principe selon lequel un juge n'a pas à se récuser pour le seul motif qu'il est parent avec un avocat employé d'un cabinet qui intervient dans une cause qu'il entend, à condition que cet avocat s'abstienne d'intervenir de quelque façon que ce soit dans le dossier en question. :
« [57] Dans ce dossier-ci, les deux enfants de la juge de première instance sont employés à titre de salariés par le cabinet Stikeman Elliott. Par conséquent, l’unique cause de récusation qui pouvait être invoquée contre la juge était la crainte raisonnable de partialité prévue par l’article 234, paragr. 10 C.p.c.
[…]
[59] Un juge de la Cour suprême de Colombie-Britannique a récemment refusé de se récuser alors que son fils était l’employé d’un cabinet de 56 avocats mandaté pour représenter l’un des trois défendeurs dans une cause que présidait ce même juge. S’appuyant sur le Code de procédure civile du Québec, le juge constate dans ses motifs: « I note that I am not related to any partner in the law firm .». Puis, il conclut ainsi
29 My son is employed in a law firm with more than 50 lawyers. He has no role in this case. If he was working on the file, other considerations may apply. Chief Justice Esson rejected the suggestion that a mere relationship with a law firm without more was grounds for disqualification. Chief Justice McEachern concurred in his conclusion. The test requires a demonstration of serious grounds on which the bias is based. In this case, there are none. An informed, reasonable and right minded person viewing the matter realistically and practically, and having thought through the matter, would not conclude that it is more likely than not that I would consciously or unconsciously not decide the case fairly because my son is associated with one of the law firms.
[…]
[61] Les requérants font état d’une pratique qui serait reconnue au Québec, selon laquelle les juges s’abstiennent « généralement » d’entendre des causes défendues par un cabinet où travaille l’un de leurs enfants. Peut-être existe-t-il une telle habitude au Québec, quoiqu’il soit difficile de le vérifier et qu’aucune preuve n’ait été faite à cet égard en première instance, mais si cette pratique repose sur un examen incomplet des considérations pertinentes, rien n’oblige les tribunaux à s’y conformer dans tous les cas. Comme le rappelait le juge Esson dans l’affaire précitée, il arrive que, par souci d’économie de temps et parce que les circonstances de l’espèce s’y prêtent, un juge se dessaisisse d’un dossier sans pour autant se prononcer sur le fond de la demande de récusation qui lui est faite. Il n’en demeure pas moins que, lorsqu'une demande de récusation est contestée, il est du devoir du juge d'entendre l'affaire qui lui est attribuée si la demande en question n'est pas fondée en droit.
[62] Les requérants accordent beaucoup d’importance au fait que la juge de première instance s’est antérieurement abstenue de siéger dans des causes où le cabinet Stikeman Elliott représentait une partie. Ce n’est pas parce que la juge a agi de la sorte dans le passé - probablement, encore une fois, pour des raisons de simple commodité - qu’il faut lui reprocher aujourd’hui d’agir en conformité avec la loi et la jurisprudence.
[63] Sous cet angle, la situation survenue en Cour supérieure est à rapprocher de l’affaire Canada (M.R.N.) c. Mathers. Invité à se récuser parce que sa conjointe était la collègue d’une avocate au dossier, un protonotaire de la Cour fédérale du Canada, Division de première instance, rejette la demande qui lui est faite en précisant pourquoi le lien entre sa conjointe et la partie devant lui est trop ténu pour lui imposer de se récuser. Ce faisant, il commente une espèce inédite où un juge de la Cour supérieure du Québec s’était dessaisi d’une affaire pendante devant lui en apprenant qu’un grand cabinet où sa conjointe était associée représenterait certains témoins appelés à y témoigner : 42. Au départ, l'on note que cette situation implique des avocates de pratique privée qui étaient associées dans une même firme. De plus, on ne peut écarter que la Cour a alors choisi de prendre l'option qui s'avérait la plus facile. On ne peut toutefois conclure qu'une telle avenue est forcément la bonne dans tous les cas, le tout tel que le laissent clairement voir les propos suivants tirés de Propos sur la conduite des juges, Conseil canadien de la magistrature, mars 1991, en page 62 : « Pour le juge, la réponse la plus facile et la plus tentante à toutes les questions de cette nature est, bien entendu, de s'abstenir de siéger dans cette cause. Mais la réponse facile n'est pas nécessairement la bonne. »
[64] Aux États-Unis et en Angleterre, une abondante jurisprudence illustre le principe selon lequel un juge n’a pas à se récuser pour le seul motif qu’il est parent avec un avocat employé d’un cabinet qui intervient dans une cause qu’il entend. Il est par ailleurs admis de toute part que cet avocat doit s’abstenir d’intervenir de quelque façon que ce soit dans le dossier en question. Cette jurisprudence trace une distinction claire entre les employés (associates) et les associés (partners) d’un cabinet. Le critère à retenir est celui de l’intérêt dans l’issue du litige, et l’on estime que seuls les associés partagent cet intérêt :
The fears of judicial bias that might result from an offspring’s active participation in a proceeding do not merit automatic disqualification of the law firm to which the relative belongs. The “financial interest” provision might apply if the district judge’s son were a partner in the firm. But his status as an associate removes that fear.
[65] En Angleterre, les demandes de récusation commandent un examen particulièrement rigoureux de la situation :
In any case where the judge’s interest is said to derive from the interest of a spouse, partner or other family member the link must be so close and direct as to render the interest of that other person, for all practical purposes, indistinguishable from an interest of the judge himself. »
[37] Appliquant ces principes à la présente affaire, le Tribunal souligne que la juge du procès ne connaît pas le témoin. Aucun lien ne la lie directement avec l'une ou l'autre des parties. La juge du procès n'a jamais vu ou parlé au témoin Racicot en dehors d'une cour de justice. Simplement, la juge entretient des liens amicaux avec les beaux‑parents du témoin qu'elle fréquente à raison de deux ou trois fois par année.
[38] Ce lien est suffisamment éloigné pour qu'un justiciable raisonnablement informé ne puisse conclure dans les circonstances qu'il y a partialité ni même apparence de partialité de la part du juge du procès.
[39] Le juge du procès n'a aucun intérêt dans l'affaire sinon, celui que justice soit rendue dans les règles de l'art en toute équité et impartialité, avec un esprit ouvert et que justice paraisse avoir été rendue aux yeux de tous les observateurs raisonnables.
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