dimanche 27 mars 2011

La décision du juge Healy ordonnant à la poursuite de divulguer à la défense le registre d'entretien relié à l'appareil Alco-Sensor

R. c. Legault, 2009 QCCQ 15360 (CanLII)

[5] L'expert de la poursuite convient que le bon entretien d'un appareil doit contribuer à son bon fonctionnement et pour cette raison, entre autres, les registres d'entretien sont maintenus de façon scrupuleuse. Dans son témoignage, il accepte qu'un appareil puisse être affecté d'une défectuosité et il accepte aussi qu'une défectuosité puisse survenir entre l'entretien et l'utilisation d'un appareil. À cet égard, son témoignage ne contredit aucunement les deux possibilités affirmées par l'expert en défense. Surtout, il affirme qu'il peut y avoir un lien entre l'entretien d'un appareil et son fonctionnement.

[6] La question sur cette requête n'est pas de savoir si le registre d'entretien est pertinent et admissible au procès, mais de savoir s'il est pertinent aux fins de préparer la cause. La preuve des deux parties sur la requête démontre que l'entretien d'un Alco-Sensor IV RBT-IV peut affecter son fonctionnement dans un sens ou dans l'autre.

[7] La communication de la preuve par la poursuite est un principe de droit qui renforce le droit de l'accusé à une défense pleine et entière. Quant à l'étendue de ce droit, il est large:

Stinchcombe énonce clairement que l’information pertinente devant être communiquée par la partie principale comprend non seulement les renseignements ayant trait aux éléments que le ministère public a l’intention de présenter en preuve contre l’accusé, mais également ceux qui peuvent raisonnablement aider ce dernier à présenter une défense pleine et entière (p. 343‑344).

Le seuil à franchir n’est pas très élevé.

[8] La pertinence pourrait être aussi une question de droit, mais elle est plutôt une question de logique et d'expérience. L'existence d'un fait A rend-elle plus ou moins probable l'existence d'un autre fait B? Si oui, le fait A est pertinent par rapport au fait B. De plus, si l'existence du fait B est une question en litige, l'on doit dire non seulement que le fait A est pertinent sur le plan logique («la pertinence logique») mais qu'il est pertinent sur le plan juridique («la pertinence juridique»).

[9] En l'espèce, si le fait B est le fonctionnement de l'appareil, que peut être le lien logique entre cette question de fait et le registre d'entretien? Pour répondre à cette question, je me pose d'autres questions et j'y réponds.

Q. Le fonctionnement d’un appareil approuvé est-il une question pertinente?

R. Oui, et pertinente non seulement sur un plan logique mais aussi sur un plan juridique.

Q. Si c’est le cas, le dysfonctionnement de l’appareil serait-il une question pertinente?

R. De toute évidence – même réponse.

Q. Les causes d’un dysfonctionnement pourraient-elles être pertinentes?

R. Certainement.

Q. Si l’entretien d’un appareil approuvé pouvait être la cause d’un dysfonctionnement, l’entretien de l’appareil serait-il pertinent?

R. Encore, oui.

Q. Le registre qui fait état de l’entretien de l’appareil pourrait-il être pertinent?

R. Non seulement logiquement pertinent, mais peut-être même juridiquement pertinent.

Voici le raisonnement qui m'amène à la conclusion que le registre pourrait être pertinent aux fins de communication.

[10] Je tiens à souligner deux distinctions. Premièrement, la pertinence n'a rien à voir avec la force probante ou le poids d'un élément de preuve. La pertinence d'un élément de preuve existe ou elle n'existe pas. La réponse à toute question de pertinence est strictement binaire - oui ou non – et elle n'admet aucunement de gradation par degré. La valeur probante d'un élément de preuve qui est par ailleurs pertinent n'est qu'une question de degré lorsque tous les éléments sont évalués les uns avec les autres. Il s'ensuit que le registre d'entretien pourrait être aussi pertinent que les divers tests de contrôle effectués sur l'appareil, mais que, en ce qui concerne le fonctionnement de l'appareil au jour de l'infraction alléguée, il risque peu, dans le cours normal des choses, d'être aussi probant que les tests de contrôle.

[11] La deuxième distinction que je garde à l'esprit est celle entre la pertinence d’une information pour fins de communication par la poursuite et la recevabilité d'un élément de preuve au procès. Dans le cas qui nous occupe, le registre d'entretien serait également pertinent aux fins de divulgation ou aux fins du procès, mais cela n'implique pas que si le registre doit être communiqué à la défense il est également admissible ou recevable au procès. La pertinence du registre est une condition nécessaire dans les deux cas, mais elle n’est pas forcément suffisante pour que le registre soit reçu en preuve au procès.

[12] Le juge Sopinka a traité de cette question dans l’arrêt Mohan:

La pertinence est déterminée par le juge comme question de droit. Bien que la preuve soit admissible à première vue si elle est à ce point liée au fait concerné qu'elle tend à l'établir, l'analyse ne se termine pas là. Cela établit seulement la pertinence logique de la preuve. D'autres considérations influent également sur la décision relative à l'admissibilité. Cet examen supplémentaire peut être décrit comme une analyse du coût et des bénéfices, à savoir «si la valeur en vaut le coût.» Voir McCormick on Evidence (3e éd. 1984), à la p. 544. Le coût dans ce contexte n'est pas utilisé dans le sens économique traditionnel du terme, mais plutôt par rapport à son impact sur le procès. La preuve qui est par ailleurs logiquement pertinente peut être exclue sur ce fondement si sa valeur probante est surpassée par son effet préjudiciable, si elle exige un temps excessivement long qui est sans commune mesure avec sa valeur ou si elle peut induire en erreur en ce sens que son effet sur le juge des faits, en particulier le jury, est disproportionné par rapport à sa fiabilité. Bien qu'elle ait été fréquemment considérée comme un aspect de la pertinence juridique, l'exclusion d'une preuve logiquement pertinente, pour ces raisons, devrait être considérée comme une règle générale d'exclusion (voir Morris c. La Reine, 1983 CanLII 28 (C.S.C.), 1983 CanLII 28 (C.S.C.), [1983] 2 R.C.S. 190).

Voyons comment ces propos et les deux distinctions que j'ai notées s'appliquent ici.

[13] Je comprends aisément que le registre d'entretien pourrait être pertinent aux fins de communication et aux fins du procès. Quant à la communication, le registre répond parfaitement aux critères établis par la Cour suprême. Quant au procès, cette question n'est pas devant la cour à ce stade-ci. Pourtant, j'ajouterais quelques commentaires là-dessus.

[14] Même si, à strictement parler, le registre peut être pertinent au fonctionnement de l'appareil, il incombera à la défense lors du procès d'établir, non seulement la vraisemblance de sa prétention, mais aussi que la preuve qu'elle entend administrer sera suffisamment utile pour justifier sa réception. Dans un dossier comme le nôtre, lorsque le fonctionnement d'un appareil approuvé est contesté, le fonctionnement de l'Alco-Sensor IV RBT-IV sera normalement examiné à la lumière des divers tests de contrôle et fréquemment aussi avec l'aide du témoignage des experts. Même si la pertinence logique et juridique du registre n'était pas contestable, la valeur probante d'une telle preuve doit être démontrée par la défense. Pour ce faire, la défense aura le fardeau d'établir, à partir du registre, non seulement un lien entre l'entretien et le fonctionnement de l'appareil, mais un lien qui serait capable de soulever dans les faits un doute raisonnable quant au fonctionnement de la machine à la date et au moment en question. Autrement la preuve du registre doit être déclarée inadmissible pour le même motif que le juge Sopinka a énoncé dans Mohan: sa valeur ne vaut pas le coût.

[15] Sur le plan procédural, il y aurait lieu peut-être d'adapter les dispositions de la Partie VIII du Code criminel aux fins d'un voir-dire si ou lorsque la défense tente de mettre le registre d'entretien en preuve au procès. À la suite d’un avis signifié dans un délai raisonnable, la défense peut demander au juge du procès de tenir une audition en vue de décider si la preuve est admissible. Comme toute requête, la demande doit être formulée par écrit et doit fournir toutes les précisions au sujet de la preuve en question et le rapport de celle-ci avec un élément de la cause. Le juge doit motiver sa décision sur l'admissibilité du registre d'entretien en précisant les éléments de la preuve retenus et la façon dont la preuve à admettre, en tout ou en partie, se rattache à un élément de la cause. Les motifs de la décision sont consignés au procès-verbal des débats ou sont donnés par écrit.

[16] La jurisprudence au Québec sur la question devant la cour est partagée et pour cette raison je ne m’y arrêterai pas. Dans certains cas, il semble que la preuve tendait à démontrer que le registre d'entretien ne pouvait pas avoir une incidence sur le fonctionnement d'un appareil approuvé. Dans d'autres cas, il y avait une preuve qui allait dans les deux sens sur cette question. Je répète qu'ici la preuve des deux parties fait en sorte que l'entretien peut avoir une incidence sur le fonctionnement de l'appareil et, par conséquent, que le registre d'entretien pourrait être pertinent aux fins de communication par la poursuite. Dans la mesure où il y a des décisions de notre cour qui soutiennent que le registre ne peut jamais être pertinent pour ces fins, je ne partage pas cet avis.

[17] À mon avis, il est clair qu’on ne peut qualifier cette requête de théorique ou de farfelue. De plus, je ne vois aucunement comment la divulgation du registre d'entretien imposerait un lourd fardeau aux corps policiers ou à la poursuite. Même l'expert de la poursuite l'a affirmé clairement dans son témoignage.

[18] Dans le présent dossier on ignore de quelle façon, le cas échéant, l'entretien de l'appareil a pu avoir une incidence sur son utilisation et, finalement, sur la validité de la présomption d'exactitude. Mais je ne fermerai pas la porte sur cette question sans donner à la défense l'occasion de vérifier, en préparation du procès, si dans les faits cela a eu une incidence pertinente sinon importante.

[19] Pourtant, aux fins de cette requête seulement, je ne dis pas que la poursuite doit communiquer le registre d'entretien sans qu'une demande en soit faite. Cette question n'est pas devant la cour. Je dis que, par suite d’une requête de la défense, la preuve devant moi démontre que le registre en question dans ce dossier doit être communiqué à la défense pour la préparation du procès.

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