R. c. Viau, 2022 QCCS 1636
[547] Le Tribunal rejette la prétention de l’accusée à l’effet que les will say ne respectent ni l’essence du jugement, ni le devoir de divulgation de la preuve en ce qu’ils ne pallient pas aux défauts des policiers de colliger des renseignements pertinents[371]. Le juge Pennou, dans son jugement exposant ses motifs sur la requête en divulgation de la preuve concernant la prise de notes des policiers en lien avec les éléments concernant l’ACI, énonce ceci :
L’exigence d’exhaustivité à laquelle réfère l’arrêt Wood c. Schaeffer ne doit cependant pas être interprétée de façon à imposer un fardeau irréaliste et impossible à satisfaire. Elle ne doit pas se transformer en une chimère dont on peut toujours trouver à dire qu’elle nous échappe. Déjà, dans Berger c. R., 2012 QCCS 7166, par. 106-107, le juge Vauclair, alors à la Cour supérieure, rejette une conception de l’obligation de colliger les renseignements similaires à celle proposée par les requérants. Il qualifie d’« intenable » la position voulant « que les policiers doivent noter absolument tous les gestes qu'ils posent dans le cadre de leur fonction ». Il considère que « la prise de notes sans distinction par les policiers n'est pas, en soi, une obligation constitutionnelle », et qu’une telle compréhension de l’exigence de prise de notes « dépasse largement ce qui est exigé par l'obligation constitutionnelle ». Ces propos sont toujours d’actualité et s’appliquent en tout point à la demande de communication de preuve soumise en l’espèce.
Ainsi, si le Tribunal décide d’ordonner la communication de renseignements supplémentaires, ce n’est pas parce qu’il conclut à quelque manquement à l’obligation de prise de notes, mais parce qu’il considère qu’à la lumière des nombreux éléments de preuve communiqués, et portés à l’attention du Tribunal, certaines incertitudes subsistent sur certains sujets sensibles: l’immunité réclamée par l’ACI, offerte par l’État et convenue entre l’État et l’ACI; des invitations à retirer, ou à ne pas porter de plaintes de nature criminelle ou déontologique, faites par l’État à l’ACI; une invitation à consentir à une garde en établissement psychiatrique, faite par l’État à l’ACI; les démarches et discussions relatives à la santé mentale de l’ACI; la prise de notes manuscrites lors d’interventions auprès de l’ACI.
Le ministère public ne conteste pas tant le caractère pertinent des renseignements supplémentaires dont la communication est demandée, que la démesure des exigences que les requérants associent à l’obligation des policiers de prendre des notes. Par exemple, il soutient que de contresigner les notes d’un autre policier peut, selon les circonstances et la nature de l’intervention, suffire pour satisfaire à l’obligation générale de prise de notes, ce que les requérants contestent.
Le Tribunal n’a pas besoin de trancher pareille question pour pouvoir disposer de la requête présentée. Il considère que les renseignements touchant aux sujets sensibles qu’il a identifiés ci-dessus tombent sous le coup de l’obligation du ministère public de communiquer la preuve. Ces renseignements, s’ils existent, sont pertinents pour la défense.
Ceci n’est toutefois pas vrai pour toutes les questions, dites d’intérêts, identifiées par les requérants. Ainsi, savoir comment l’État en vient à déterminer le montant qu’il accepte d’octroyer à un collaborateur dans le cadre d’une entente ne constitue pas une matière manifestement pertinente dans le cadre de ces procédures, suivant le cadre d’analyse propre à l’obligation de communiquer la preuve. Dans Beaulieu c. R., 2014 QCCS 6833, par. 25-26, la question du calcul du montant pouvant être octroyé au collaborateur est considérée pertinente parce que ce calcul lui est expliqué au moment de la signature de l’entente, tel que consigné dans un rapport d’intervention. Ce sujet est donc considéré pertinent parce que discuté dans le cadre de la négociation et de la ratification d’une entente de collaboration, mais pas parce qu’il s’agit en soi d’une question pertinente. Rien n’indique que de telles explications ont été données lors de la négociation ou de la ratification de l’entente de collaboration avec l’ACI.
La communication de preuve à ordonner devrait-elle prendre la forme d’un contre-interrogatoire? Le Tribunal est d’avis que non. À moins qu’il soit démontré que le défaut d’ordonner un tel contre-interrogatoire emporte en soi une violation de l’art. 7 de la Charte, il n’y a pas lieu de contraindre un témoin à témoigner au préalable à des fins de communication de la preuve: R. v. Arviv, 1985 CarswellOnt 97 (Ont. C.A.), par. 37-39; R. v. Sterling, 1993 CarswellSask 360 (Sask. C.A.), par. 78; R. c. Khela, 1995 CanLII 46 (CSC), [1995] 4 RCS 201, par. 18; R. c. S.J.L., 2009 CSC 14, par. 23; R. v. Spackman, 2012 ONCA 905, par. 108. Une telle démonstration fait défaut en l’espèce.
Une masse considérable de renseignements se rapportant aux sujets sensibles identifiés par le Tribunal a déjà été communiquée aux requérants.
L’insatisfaction exprimée par les requérants à l’endroit des will say reçus précédemment, en réponse à leurs demandes informelles de communication supplémentaire de preuve, n’est pas un indice probant du caractère inadéquat ou insuffisant d’un tel procédé. Cette insatisfaction tient en grande partie à une conception exorbitante de l’obligation des policiers de colliger des renseignements, et à l’insatiabilité qui la caractérise.
Rappelons enfin qu’un manquement à l’obligation de communiquer la preuve n’entraine pas nécessairement une violation de l’art. 7 de la Charte: R. c. Dixon, 1998 CanLII 805 (CSC), [1998] 1 RCS 244, par. 23; R. c. Taillefer ; R. c. Duguay, 2003 CSC 70, par. 71.
En l’espèce, le Tribunal considère que d’ordonner la préparation de déclaration de type will say constitue un procédé adéquat permettant d’assurer la communication de renseignements se rapportant à des sujets sensibles, et qui seraient encore manquants.[372]
[548] Le Tribunal ne partage pas l’insatisfaction de l’avocate de l’accusée quant à la prise de notes de ces policiers. À titre d’illustration, le Tribunal considère qu’un témoin comme Benoit Dubé, inspecteur à la Sûreté du Québec et directeur des services des enquêtes criminelles, n’a pas l’obligation de prendre des notes de chacune des rencontres effectuées avec d’autres policiers sous sa supervision en détaillant chacune des interventions des participants, alors que d’autres policiers ont la responsabilité de prendre des notes. Aussi, il va de soi qu’un haut cadre d’une organisation envers qui de nombreuses personnes se rapportent n’a pas les mêmes obligations qu’un policier sur le terrain chargé de prendre la déclaration d’un témoin. L’obligation de prise de notes varie selon le contexte et le rôle occupé par le policier.
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