mercredi 30 novembre 2011

La définition de la prostitution

R. c. Derisca, 2011 QCCQ 4148 (CanLII)

[61] Le Code criminel ne donne pas la définition de la prostitution. Il faut s'en remettre aux jugements des tribunaux pour en saisir le sens.

[62] Dans le Renvoi relatif au Code criminel (Man.), le juge Lamer écrit :

En ce qui concerne les expressions « prostitution » et « actes d'indécence », je souligne que les tribunaux ont souvent eu l'occasion de leur donner un sens et je répète qu'il s'agit essentiellement d'expressions d'usage courant. Par exemple, on a défini la prostitution comme l'offre par une personne de son corps à des fins de débauche en échange d'une somme d'argent : voir l'arrêt R. v. Lantay, [1966] 3 C.C.C. 270 (C.A. Ont.), adoptant la thèse anglaise de l'arrêt R. v. De Munck, [1918] 1 K.B. 635 (C.C.A.). Il me semble qu'il n'y a pas de véritable contestation quant à la définition générale de la prostitution, c'est-à-dire l'offre par une personne de ses services sexuels en échange de paiement par une autre.

[63] Dans les arrêts St‑Onge et Therrien de 2001, la Cour d'appel du Québec déclare :

[3] La seule question que pose ce pourvoi a trait à la définition du mot « prostitution » dans le cadre d'une inculpation pour avoir tenu ou s'être trouvé dans une maison de débauche (art. 210 C. cr.) La définition que donne le législateur d'une maison de débauche, à l'article 197 C. cr., parle d'un lieu fréquenté « à des fins de prostitution » ou « pour la pratique d'actes d'indécence ».

[8] Les appelants proposent que l'absence de contact physique, comme en l'espèce, entre la danseuse et le client est déterminant, arguant que des contacts sexuels sont requis pour constituer un acte de prostitution.

[9] La thèse des appelants doit être rejetée sur la base d'une jurisprudence de cette Cour, déclarant mal fondée la proposition selon laquelle on ne peut parler de « prostitution » en l'absence d'une relation sexuelle complète, de fellation et de masturbation : la Cour a repris à son compte la définition proposée par la Cour suprême dans le Renvoi précité, en affirmant que « la prostitution est le fait d'offrir son corps pour des fins lascives, à tout venant, contre rémunération ». C'est dans le même sens qu'a conclu la Cour d'Appel d'Ontario.

[12] Ce qui caractérise essentiellement un acte de prostitution demeure une activité sexuelle rémunérée, qui peut tout autant être commise privément qu'en public; si commise privément, la question de son caractère indécent ne se pose pas, et si publiquement, alors devrait‑il être démontré que l'acte (de prostitution) répond aux trois critères maintenant bien établis pour décider de l'indécence (R. c. Tremblay, 1993 CanLII 115 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 932. Il n'est pas inhérent à l'acte de prostitution qu'il soit indécent.

[64] Dans l'affaire R. c. Jean‑Pierre, le juge Boyer de la Cour du Québec a examiné la définition de la prostitution, dans le cas de danses contacts. Il écrit aux paragraphes 128 et suivants :

[128] Au cours du procès, le Tribunal a rendu une décision sur présentation d'une motion de non‑lieu relativement aux chefs 6, 8, 9 et 10 de l'acte d'accusation. Le débat portait essentiellement sur la définition du mot "prostitution" que l'on retrouve au texte de chacune des infractions reprochées à l'accusé. La défense alléguait qu'il y avait absence totale de preuve sur cet élément essentiel et ses prétentions étaient à l'effet que les danses‑contact auxquelles se livraient J… M.., V… Le… et J… L… ne constituaient pas des actes de prostitution.

[129] La preuve révélait que les gestes posés par les danseuses étaient les suivants :

- La danseuse se produit nue dans un isoloir pour un client moyennant rémunération;

- Pendant qu'elle danse, le client peut lui toucher aux seins nus ainsi qu'aux fesses par‑dessus la petite culotte;

- Il n'y a ni relations sexuelles, ni fellation, ni masturbation.

- La danseuse caresse le client en frottant son corps contre le sien.

[130] La Cour a rejeté la motion de non‑lieu dans les termes suivants :

"Le législateur n'a pas défini le terme "prostitution". L'on retrouve à la partie VII du Code criminel la définition suivante :

Prostitué (personne de l'un ou l'autre sexe qui se livre à la prostitution).

La jurisprudence n'est pas très abondante sur le sujet; les parties ont soumis les arrêts suivants : R. c. Marceau, R. c. Bedford et R. c. Therrien.

La lecture de cette jurisprudence me convainc que la prostitution ne constitue pas en soi une infraction pénale; elle demeure un sujet de prohibition dans le contexte du proxénétisme. Néanmoins, le législateur n'en propose pas une définition.

Est mal fondée la proposition selon laquelle on ne peut parler de prostitution en l'absence d'une relation sexuelle complète, de fellation et de masturbation. C'est la conclusion à laquelle en arrivent notre Cour d'Appel dans l'arrêt Therrien et celle d'Ontario dans l'arrêt Bedford.

La Cour Suprême a affirmé à propos de la prostitution qu'il s'agit d'une expression d'usage courant que l'on peut définir comme l'offre par une personne de ses services sexuels en échange de paiement par une autre.

Les conclusions des juges de la Cour Suprême dans le renvoi ainsi que celle des juges de la Cour d'Appel d'Ontario sont approuvées par notre Cour d'Appel dans les termes suivants : "la prostitution est le fait d'offrir son corps pour des fins lascives à tout venant contre rémunération".

L'on pourrait trouver de nombreux synonymes à "lasciveté" sans pour autant devoir référer à des actes sexuels spécifiques tels la relation complète, la fellation et la masturbation."

[131] Les conclusions auxquelles j'en arrive dans le cadre juridique d'une motion de non‑lieu reçoivent application dans mon analyse de la preuve au fond puisque ma décision portait exclusivement sur le sens du terme "prostitution" auquel réfère le législateur dans les dispositions pertinentes du Code criminel sur le proxénétisme. Conséquemment, je considère que les gestes décrits pas les témoins J.. M…, V… Le… et J… L… constituent des activités sexuelles rémunérées, donc des actes de prostitution.

[65] Plus récemment, le 15 juin 2010, dans l'arrêt Marceau, la Cour d'appel a de nouveau examiné la question relativement aux danses contacts. Voici ce que le juge Hilton écrit avec l'assentiment du juge Côté :

[6] The ten appellants were tried and convicted of the offence of having been found in a common bawdy‑house without lawful excuse contrary to paragraph 210(2)(b) Cr. C., an offence punishable on summary conviction. The eight female appellants were dancers who offered nude presentations at a bar in Laval known as Lavalois Bar Salon. One of the male appellants was the doorman at the Bar, while the other was a customer in the premises when the appellants were arrested. The evidence was gathered as the result of a police investigation during which several officers who testified before the trial judge observed the activities described below.

[7] For $10, the female appellants offered to perform private nude dances in cubicles to customers. Several of the police officers who participated in the investigation and who testified before the trial judge were so propositioned. The dancers' offers would mention that the customer could touch the dancer anywhere on her body, but that the dancer would go no further.

[8] The police officers could see the activities that took place in the cubicles from tables in the premises where they sat. In all circumstances the customers remained clothed, and the dancers were completely unclothed, except for a g‑string. The police officers observed customers who had accepted the dancers' offers touching or caressing their breasts and buttocks. They also saw dancers rubbing their breasts in the face of customers, as well as sitting on them and engaging in a back and forth movement on their genital area to simulate an act of vaginal penetration. One dancer was seen taking one of her breasts with her hand and bringing it to the mouth of the customer, who simultaneously was caressing the buttocks of the dancer with his right hand for the duration of their time together. Another dancer, with her legs spread apart, straddled a customer while having her breasts and buttocks caressed despite a sign in the cubicle to the effect that "Il est interdit aux danseuses de s'asseoir à cheval sur un client." Another police officer was told, in response to a question he asked a dancer, that while she would not engage in acts of fellatio or intercourse, "sûrement que d'autres filles le font".

[11] At trial in the Municipal Court of Laval, Crown counsel admitted that the acts described above did not constitute "indecency" for the purposes of the prosecution. Rather, Crown counsel characterized the activities as fitting the jurisprudential definition of prostitution.

[16] In their motion for leave to appeal to this Court, the appellants affirmed that "Le débat tant en 1ère instance qu'en Cour supérieure a porté principalement sur la notion de prostitution dans un contexte de « danses à 10,00$ »" in the Lavalois Bar Salon.

[18] Thus, the only issue in this appeal, as it was in the courts below, is whether the jurisprudential definition of prostitution should be modified to take account of the evolutive approach adopted by the Supreme Court of Canada with respect to the concept of indecency in the context of the statutory definition of "common bawdy‑house".

[29] Prior to the recent Supreme Court judgments recalibrating the concept of indecency, but after the Supreme Court's judgment in Tremblay, this Court has adopted the view that it is not necessary for the occurrence of prostitution that the sexual activity involved be characterized as indecent. For example, R. v. Therrien was a case in which there was no sexual contact but the payment of a fee, the amount of which depended on the performance desired. The customer could observe a nude woman performing an erotic spectacle during which she would masturbate, with or without a vibrator, and/or also insert a vibrator in her anus. Arrangements were also available to facilitate the customer masturbating if he chose to do so, albeit at a distance from the dancer.

[30] The Court confirmed a conviction under paragraph 210(1)(b) Cr. C. and held that it did not matter that such conduct was not indecent, since it did amount to prostitution:

[11] Ne peut également être retenue la proposition des appelantes qui soutiennent qu'en plus il devrait être démontré qu'un acte de prostitution est indécent : cela irait à l'encontre de la définition même des deux concepts que sont la prostitution et l'indécence.

[12] Ce qui caractérise essentiellement un acte de prostitution demeure une activité sexuelle rémunérée, qui peut tout autant être commise privément qu'en public; si commise privément, la question de son caractère indécent ne se pose pas, et si publiquement, alors devrait‑il être démontré que l'acte (de prostitution) répond aux trois critères maintenant bien établis pour décider de l'indécence (R. c. Tremblay, 1993 CanLII 115 (CSC), 1993 CanLII 115 (C.S.C.), [1993] 2 R.C.S. 932). Il n'est pas inhérent à l'acte de prostitution qu'il soit indécent.

[31] In light of the foregoing, and in particular the distinction between prostitution and indecency recognized by the Supreme Court in Tremblay, I am not persuaded that the criteria to establish indecency, as enunciated by the Supreme Court in Labaye and Kouri are of any relevance in determining what constitutes prostitution for the purpose of a prosecution under paragraph 210(2)(b) Cr. C. Whether or not prostitution exists is an objective inquiry, not a subjective one dependent on evolving community standards. The evidence in this case leaves no doubt that the female appellants were engaged in prostitution, as that concept as been interpreted by the courts, by the very nature of the activities in which they engaged, and that the two other appellants were found within the premises without legitimate excuse.

[36] Finally, the nature of the conduct in which the female appellants and their customers engaged were clearly intended to achieve the sexual stimulation of the customers, despite the fact that the customers remained clothed, and irrespective of whether they reached ultimate gratification. A reading of the judgment at trial and the testimony of the police officers who observed the activities in the cubicles leave little doubt in that respect. To characterize those activities as a form of entertainment, even if one were to accept that characterization, makes them no less acts of prostitution. For that matter, intercourse is not a necessary component of prostitution, as Parliament itself has recognized in paragraph 212(1)(b) Cr. C. by distinguishing between "illicit sexual intercourse" and "prostitution".

[66] En conséquence, la Cour est d'avis que les danses contacts telles qu'elles étaient pratiquées au bar Faucon Bleu, alors que la danseuse nue permet au client, moyennant rémunération, de toucher ses seins, ses fesses et tout son corps sauf la région pubienne, constituent des actes de prostitution.

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