R. c. Bernard, 2011 QCCQ 15014 (CanLII)
[17] Il semble approprié, dans un premier temps, d'attirer l'attention sur une particularité de cet article : la confiscation de biens infractionnels est prononcée par le « tribunal qui déclare une personne coupable d'un acte criminel ».
[18] Cette particularité revêt une certaine importance lorsqu'on se réfère à l'article 462.37(1) du Code criminel à propos de la confiscation des produits de la criminalité.
[19] En vertu de cet article, c'est le « tribunal qui détermine la peine à infliger à un accusé… » qui pourra prononcer la confiscation.
[20] Une deuxième précision qui, cette fois-ci, provient de la jurisprudence, mérite d'être apportée.
[21] En effet, la Cour suprême du Canada, en 2009, dans l'arrêt Craig (2009 1 R.C.S. 762), a insisté sur la nécessité de séparer la décision sur la détermination de la peine de celle portant sur la confiscation, évitant une interaction entre les deux processus.
[22] Dans une décision rendue le 10 mars 2011, par la Cour d'appel du Québec, R. c. Neault 2011 QCCA 435 (CanLII), (2011 QCCA 435), cette règle est ainsi rappelée :
Une première leçon qui se dégage de Craig est que l'infliction de la peine et la décision sur la demande de confiscation constituent deux étapes du procès sans corrélation ni interdépendance, qui doivent demeurer distinctes l'une de l'autre.[…]
Paragraphe 19
[23] Et un peu plus loin, au paragraphe 21, on y lit ce qui suit :
L'arrêt Craig est sans équivoque. Le juge qui délibère sur la peine doit occulter la demande de confiscation annoncée et, par la suite, lorsqu'il analyse l'opportunité de la confiscation, il ne doit pas revenir en arrière et tenir compte de la peine infligée.
[24] Notons au passage que la décision rendue par la Cour d'appel dans l'affaire R. c. Neault avait fait l'objet d'une demande d'autorisation d'appel à la Cour suprême du Canada; or, le 13 octobre 2011, la Cour suprême a rejeté la demande de pourvoi.
2. L'exception à la règle : la démesure
[25] C'est l'article 490.41(3) du Code criminel qui établit les bases de l'exception à la règle de la confiscation :
Sous réserve d’une ordonnance rendue en vertu du paragraphe 490.4(3), le tribunal peut ne pas ordonner la confiscation de tout ou partie de biens infractionnels confiscables en vertu des paragraphes 490.1(1) ou 490.2(2) et annuler toute ordonnance de blocage à l’égard de tout ou partie des biens, s’il est convaincu que la confiscation serait démesurée par rapport à la nature et à la gravité de l’infraction, aux circonstances de sa perpétration et, s’il y a lieu, au casier judiciaire de la personne accusée ou reconnue coupable de l’infraction, selon le cas.
[26] Comme on le constate, cette exception repose sur le concept de la démesure, concept qui est laissé à l'appréciation et à la discrétion du tribunal.
a) La nature de cet exercice d'appréciation
[27] Cet exercice d'appréciation par le tribunal en est un essentiellement de comparaison entre les critères de proportionnalité édictés à l'article 490.41(3) et les effets ou les conséquences que peut entraîner la confiscation.
[28] En d'autres termes, le tribunal a comme tâche de balancer les avantages et les inconvénients d'une confiscation.
[29] L'honorable Paul Vézina de la Cour d'appel du Québec, dans la décision de R. c. Neault, illustre clairement la nature de l'exercice d'appréciation auquel doit se livrer le tribunal dans une décision portant sur la confiscation de biens infractionnels :
L’idée de « démesure » (disproportionate to) et le terme de comparaison « par rapport à » impliquent de soupeser deux réalités pour constater s’il y a équilibre ou déséquilibre entre les plateaux de la balance. D'un côté, il y aura les faits relatifs à l’infraction, évalués selon l’objectif de l’ordonnance et les trois facteurs de la loi, et de l’autre, les effets plus ou moins draconiens de la confiscation (the impact of the forfeiture). Le poids relatif des faits et des effets fera pencher la balance en faveur ou contre la confiscation.
[30] Au paragraphe 25 de la même décision :
Si la loi précise les facteurs d’évaluation de l’infraction, elle est muette sur les effets à prendre en compte et sur la manière de les évaluer. […]
b) L'importance de cet exercice
[31] Encore une fois, cette importance est soulignée par la Cour d'appel dans la décision dans l'affaire Neault, au paragraphe 37 :
Suivant ma compréhension de l’objectif de l’ordonnance, plus on est en présence du crime organisé, plus l’ordonnance s’impose, et de même, plus il appert que le bien est « destiné à servir » à la perpétration d’infraction, plus il importe de ne pas le laisser entre les mains du contrevenant. À l’opposé, si l’infraction est sans rapport avec le gangstérisme et si le bien n’était pas « destiné à servir » au crime, mais a été « utilisé de quelque manière » pour commettre l’infraction, plus s’impose de vérifier si la confiscation ne serait pas démesurée.
c) Le fardeau de preuve de la démesure
[32] Dans une décision rendue par la Cour d'appel du Québec le 16 mai 2011, dans R. c. Manning 2011 QCCA 900 (CanLII), (2011 QCCA 900), nous retenons ce qui suit, au paragraphe 17 de la décision :
Le juge de première instance se dirige bien en droit en indiquant qu'il revient à l'accusé de démontrer par prépondérance de preuve que la confiscation de son véhicule serait démesurée compte tenu des facteurs de l'article 490.41(3) C. cr. […]
d) Les effets de la confiscation
[33] Si la confiscation d'un bien infractionnel peut, en principe, être justifiée par les facteurs énoncés à l'article 490.41(3) du Code criminel, les effets de cette confiscation doivent être aussi évalués et soupesés dans cet important exercice de comparaison, en vue de vérifier s'il y a démesure et, partant, conclure à la non-justification de la confiscation.
[34] Au sujet des effets de la confiscation, la Cour d'appel, dans l'arrêt Neault, au paragraphe 25, nous donne une liste non exhaustive des facteurs à considérer dans l'évaluation des effets de la confiscation :
[…] À mon avis, il est pertinent de considérer entre autres si le bien est superflu, utile ou nécessaire suivant son usage habituel; si le bien est de peu ou de grande valeur en soi et en l’espèce; si le bien est utilisé pour des besoins de base, s’approvisionner, se faire soigner; si le bien sert aux loisirs ou au travail; si le bien contribue à l’exécution d’obligations familiales ou sociales.
[35] On pourrait aussi tenir en considération notamment les aspects suivants : l'existence ou non de moyens de transport en commun, la proximité de ceux-ci avec le domicile, l'état de santé du délinquant, les moyens financiers du délinquant, l'importance du soutien familial assuré par le délinquant…
B. LES ILLUSTRATIONS JURISPRUDENTIELLES
[36] La jurisprudence de nos tribunaux, tout en témoignant que chaque cas est d'espèce en matière de demande de confiscation d'un bien infractionnel, nous fournit plusieurs exemples de la proportionnalité ou de la disproportionnalité de cette mesure de confiscation, eu égard aux circonstances et facteurs propres à chaque affaire.
[37] En effet, dans l'examen sommaire des décisions rendues par les tribunaux relativement à la confiscation des biens infractionnels, on doit constater que chaque affaire comporte une trame factuelle distincte.
[38] Commençons donc par analyser les faits dans les deux décisions (Neault et Manning) auxquelles nous nous sommes référés pour les principes s'y dégageant.
[39] R. c. Neault 2011 QCCA 435 (CanLII), (2011 QCCA 435) :
Il s'agissait dans cette affaire d'une accusation de conduite avec un taux d'alcoolémie supérieur à la limite permise (112 milligrammes par 100 millilitres de sang), survenue en 2010. L'accusé avait des antécédents de même nature, s'étendant d'avril 2004 jusqu'en décembre 2010. Il s'agissait dans ce cas d'un jeune homme célibataire qui avait nécessairement besoin de son véhicule pour opérer un commerce de méchoui. Le père de l'accusé avait financé l'achat du véhicule. La preuve révélait qu'il n'y avait pas de transport en commun dans la région où résidait l'accusé en compagnie de ses parents (St-Luc-de-Vincennes). La confiscation a été refusée.
[40] R. c. Manning, 2011 QCCA 900 (CanLII), (2011 QCCA 900) :
L'accusé dans cette affaire vit de prestations de derniers secours, étant sans emploi et son automobile constitue le seul bien qu'il possède. Il s'agit d'un individu de 62 ans qui habite, en compagnie de sa conjointe, une chambre d'un motel à Chute-aux-Outardes et qui, en raison de ses problèmes de santé, doit se rendre régulièrement à l'hôpital de Baie-Comeau. L'automobile est nécessaire aussi pour lui et sa conjointe aux fins de s'acheter de la nourriture et des vêtements; il n'a pas les moyens financiers pour prendre un taxi. La confiscation a été refusée dans ce dossier.
[41] R. c. Rheault 2010 QCCQ 8555 (CanLII), (2010 QCCQ 8555) :
Cette décision fait état d'une cinquième condamnation en semblable matière (pour alcool au volant). Le plus bas taux indique 202 milligrammes par 100 millilitres de sang. L'accusé demeure seul, n'a pas de personnes à charge et personne n'est affecté indirectement par la confiscation. La Cour avait ordonné la confiscation du véhicule, soit un Honda Accord de l'année 2004.
[42] R. c. Thiffault 2008 QCCQ 2391 (CanLII), (2008 QCCQ 2391) :
La Cour a ordonné également dans cette affaire la confiscation d'un véhicule (Mazda Protégé 2003) sur laquelle il n'y avait aucun lien. L'accusé, âgé de 48 ans, a été repris pour conduite d'un véhicule avec un taux d'alcoolémie supérieur à la limite permise (146 milligrammes par 100 millilitres de sang). Il avait six antécédents en semblable matière pour la période de 1981 à 2000, en plus d'une accusation de refus de test en 2000, de conduite dangereuse en 1992 et cinq accusations de conduite de véhicule pendant interdiction, en vertu du Code criminel entre 1996 et 2004.
[43] R. c. Bergeron 2009 QCCQ 15576 (CanLII), (2009 QCCQ 15576) :
Dans ce dossier, l'accusé a plaidé coupable à une accusation de conduite avec un taux d'alcoolémie supérieur à la limite permise (le plus bas taux : 222 milligrammes par 100 millilitres de sang). C'est le septième dossier en semblable matière. La mère de l'accusé s'était portée caution de l'emprunt effectué par l'accusé, sans pour autant avoir de lien sur le véhicule. Le solde de l'emprunt était tout de même de 13 000 $. La Cour a ordonné la confiscation du véhicule saisi.
[44] R. c. Lemieux (EYB 2010 177133) :
Cette décision rendue par la Cour d'appel du Québec le 22 juillet 2010 met en lumière les faits suivants. L'accusé était âgé de 72 ans lorsqu'il a été déclaré coupable d'avoir conduit un VTT en état d'ébriété. Il possède des antécédents judiciaires. La valeur de ce véhicule était de 8 000 $. Il s'agit d'un individu qui est qualifié par la Cour de « pas riche », vivant dans un rang à une distance de 20 à 30 kilomètres du village. Le VTT est nécessaire pour tirer une fendeuse à bois et permettre à l'accusé de s'approvisionner en bois. On dénote que dans les dossiers antérieurs, les peines se résumaient à des amendes. La Cour d'appel maintient le refus de confisquer le véhicule.
[45] R. c. Adamson 2007 BCSC 1143 (CanLII), (2007 BCSC 1143) :
Dans cette affaire, l'accusée a été déclarée coupable de conduite dangereuse causant des blessures corporelles et de refus de test, pour des événements survenus en août 2006. L'accusée n'avait aucun antécédent et la Cour a considéré comme non disproportionnée la confiscation d'un véhicule Mercedes Kompressor de l'année 2002, ayant une valeur de 26 000 $, malgré le fait que l'accusée en avait besoin pour son travail.
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