R. c. Chettah, 2023 QCCS 3247
[27] La période d’emprisonnement maximale prévue par le législateur pour le crime de complot de commettre un meurtre est l’emprisonnement à perpétuité[13]. Il s’agit d’un crime dont la gravité objective figure parmi les plus importantes au Code criminel voire la plus grave de notre système judiciaire.
[28] Il ressort de la jurisprudence canadienne que les décisions en matière de peine pour le complot de meurtre s’étalent sur un large spectre[14].
[29] Lorsque l’objet du complot de meurtre se réalise, les peines sont à l’extrémité supérieure de la fourchette, avec des peines de très longue durée reflétant la gravité objective de l’infraction[15]. Le rôle de l’accusé dans le complot de commettre un meurtre est une considération importante au chapitre des circonstances aggravantes et atténuantes, avec l’infliction de peines plus sévères à une personne qui commet un meurtre[16].
[30] Également, la jurisprudence indique aussi qu’on peut, dans certains cas, donner priorité aux objectifs de dénonciation et de dissuasion dans le contexte d’un acte criminel de complot de commettre un meurtre[17].
[31] Les parties ont référé à plusieurs décisions en matière de complot de meurtre. Dans ces affaires, les peines d’emprisonnement imposées sont variées.
[32] La poursuite soumet les décisions suivantes au soutien de son argumentation.
[33] Dans l’arrêt R. c. Couture[18], l’accusé a subi son procès devant juge seul et a été déclaré coupable de l’infraction de complot de commettre un meurtre. Le nombre de victimes, soit deux, les séquelles psychologiques laissées aux victimes par l’infraction, le contexte de trafic de stupéfiants dans lequel le complot a été fait ainsi que la préméditation et la planification constituent des facteurs aggravants selon la juge. L’accusé possédait également plusieurs antécédents judiciaires, notamment en matière de stupéfiants pour lesquels il a commis plusieurs bris d’engagement. En présence de toutes ces circonstances et en l’absence de facteurs atténuants, une peine d’emprisonnement de 11 ans est imposée à l’accusé.
[34] Dans l’arrêt R. c. Asselin[19], l’accusé s’est déclaré coupable de complot de commettre un meurtre. Celui-ci a élaboré le plan de s’en prendre à son épouse à l’aide d’un couteau et en impliquant un tiers dans le projet. La dangerosité manifeste de l’accusé et les risques de récidive élevés ont été considérés comme des facteurs aggravants pour le premier juge. Ce dernier a imposé une peine globale d’emprisonnement de 15 ans. La Cour d’appel accueille la permission d’en appeler et réduit la peine de 15 ans à huit ans d’emprisonnement. La Cour d’appel juge essentiel de constater l’écart entre les actes projetés par l’accusé et les gestes qu’il a réellement posés. Ainsi, le juge de première instance devait considérer le fait que l’accusé manifeste des remords et une prise de conscience qui l’ont mené à ne pas mettre son plan à exécution.
[35] Dans la décision R. c. Denis[20], les accusés ont été déclarés coupables de deux chefs de meurtre au premier degré et de deux chefs de complot de commettre un meurtre pour des événements se produisant à deux épisodes distincts. Les crimes ont été commis dans un contexte de contrôle de vente de stupéfiants. Ainsi, le contexte de criminalité organisée, le fait que les complots ont été menés à terme, qu’ils ont été commandés et supervisés par les accusés, leur insouciance vis-à-vis de tiers et la durée des complots sont les facteurs aggravants retenus. Quant aux facteurs atténuants, est considéré le fait que les accusés gèrent des entreprises, ont des enfants et possèdent peu d’antécédents judiciaires non reliés aux crimes en l’espèce. La peine juste et appropriée pour les infractions de complot est établie à 25 ans sur chacun des chefs.
[36] Dans R. c. Côté[21], l’accusée a été déclarée coupable de deux chefs d’accusation d’avoir conseillé la commission d’un acte criminel et d’un chef de tentative de meurtre. Parmi les circonstances aggravantes, le juge retient la grande planification et préméditation du crime, les efforts investis pour exécuter le plan, le fait que l’accusée ait agi par esprit de vengeance ainsi que les conséquences que l’infraction a eues sur la victime, les enfants de l’accusée et ses proches. L’absence d’antécédent, le soutien des parents de l’accusée et le fait qu’elle a été un actif pour la société sont les facteurs atténuants considérés. Une peine globale d’emprisonnement de sept ans fut imposée.
[37] Dans R. c. J.P.[22], l’accusé a été déclaré coupable d’avoir conseillé de commettre un meurtre, laquelle infraction n’a pas été commise. Les facteurs aggravants retenus sont les antécédents judiciaires, le fait qu’il continue de faire porter le blâme sur la victime, l’agressivité et l’impulsivité de l’accusé, les risques de récidive toujours présents et les conséquences émotionnelles sur la victime et leurs enfants. La Cour tient également compte du fait que l’accusé a eu recours à son fils de 10 ans pour exécuter un plan prémédité et longuement planifié en plus du fait que l’infraction prend place dans un contexte de violence conjugale. La juge ne retient aucun facteur atténuant. Elle conclut qu’une peine de six ans est adéquate considérant les circonstances.
[38] Pour sa part, la défense soumet les décisions suivantes.
[39] Dans la décision Martel-Dubé c. R.[23], l’accusée a été déclarée coupable de complot de commettre un meurtre pour avoir convenu avec deux complices du meurtre de son mari moyennant rémunération. Le juge de première instance a imposé à l’accusée une peine de 10 ans d’incarcération considérant la préméditation du plan. La Cour d’appel considère que la peine imposée par le juge de première instance est trop sévère. Elle considère le contexte de violence conjugale et les nombreuses menaces que la victime a elle-même portées envers l’accusée, l’âge de cette dernière, l’absence d’antécédents judiciaires et le fait que l’accusée ne représente aucun danger pour la société. La Cour d’appel impose une peine de deux ans d’emprisonnement.
[40] Finalement dans R. c. Goupil[24], l’accusé a plaidé coupable à une accusation de complot de commettre un meurtre avec environ 170 autres personnes en lien avec le crime organisé afin de commettre le meurtre ou faire assassiner des personnes faisant partie de divers groupes criminalisés qui refusaient de s’approvisionner auprès des Hells Angels ou leur groupe affilié. La Cour tient compte que l’accusé a été incarcéré quatre mois avant sa remise en liberté. Il a toujours respecté ses conditions. Il est maintenant un actif pour la société. Le cheminement de l’accusé est remarquable et exceptionnel. Le fait de lui imposer une peine d’incarcération risque de détruire la réinsertion sociale qu’il a réussie et il risque de perdre tous les acquis des 14 dernières années. La Cour sursoit donc au prononcé de la peine et rend une ordonnance de probation d’une durée de trois ans.
[41] Ces fourchettes ne représentent cependant que des lignes directrices devant guider le Tribunal dans son processus décisionnel, et non des règles absolues. Comme le soulignait la Cour suprême dans l’arrêt Nasogaluak :
[44] […] Un juge peut donc prononcer une sanction qui déroge à la fourchette établie, pour autant qu’elle respecte les principes et objectifs de détermination de la peine. Une telle sanction n’est donc pas nécessairement inappropriée, mais elle doit tenir compte de toutes les circonstances liées à la perpétration de l’infraction et à la situation du délinquant, ainsi que des besoins de la collectivité au sein de laquelle l’infraction a été commise.[25]
[42] Le juge LeBel précise par ailleurs, dans R. c. L.M.[26], que l’exercice d’harmonisation des peines ne peut être priorisé au détriment de la discrétion judiciaire, en autant que la peine ne soit entachée d’aucune erreur de principe ou ne soit nettement déraisonnable[27]. Le principe de la parité n’interdit pas la disparité si les circonstances le justifient, en raison de l’existence de la règle de la proportionnalité[28].
[43] En somme, le Tribunal doit pondérer les objectifs visés à l’article 718 C.cr., le principe fondamental de proportionnalité de la peine (718.1 C.cr.), de même que ceux de modulation de la peine en fonction des circonstances aggravantes et atténuantes, d’harmonisation de la peine, de la totalité de cette dernière et d’identification de sanctions moins contraignantes et substitutives (718.2(a), (b) et (d) C.cr.)[29].