jeudi 8 août 2013

C'est la partie qui l'invoque qui doit démontrer le caractère confidentiel d'un élément de preuve et l'existence d'une relation thérapeutique est une circonstance qui doit être examinée avec attention

Verret c. R., 2013 QCCA 1128 (CanLII)

Lien vers la décision

[23]        C'est la partie qui l'invoque qui doit démontrer le caractère confidentiel d'un élément de preuve. En l'espèce, il y a lieu de tenir compte des quatre facteurs retenus dans l'ouvrage Wigmore on Evidence, comme le souligne la Cour suprême dans R. c. National Post,2010 CSC 16 (CanLII), [2010] 1 R.C.S. 477, 2010 CSC 16, reprenant en cela notamment R. c. Gruenke, 1991 CanLII 40 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 263 :
53   Le test ou "critère de Wigmore" comporte quatre volets qui peuvent se résumer comme suit dans le contexte qui nous occupe.Premièrement, les communications doivent avoir été transmises confidentiellement avec l'assurance que l'identité de l'informateur ne serait pas divulguée. Deuxièmement, le caractère confidentiel doit être essentiel aux rapports dans le cadre desquels la communication est transmise. Troisièmement, les rapports doivent être des rapports qui, dans l'intérêt public, devraient être "entretenus assidûment", adverbe qui évoque l'application constante et la persévérance (selon le New Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles(6e éd. 2007), vol. 2, p. 2755, le terme anglais "sedulous[ly]" utilisé par Wigmore signifie : "diligent[ly] [...] deliberately and consciously"). Enfin, si toutes ces exigences sont remplies, le tribunal doit déterminer si, dans l'affaire qui lui est soumise, l'intérêt public que l'on sert en soustrayant l'identité à la divulgation l'emporte sur l'intérêt public à la découverte de la vérité. Voir Wigmore on Evidence (rév. McNaughton 1961), vol. 8, s. 2285; Sopinka, Lederman & Bryant : The Law of Evidence in Canada (3e éd. 2009), par. 14.19 et suiv.; D. M. Paciocco et L. Stuesser, The Law of Evidence (5e éd. 2008), p. 254-259. De plus, le juge en chef Lamer, dans Gruenke, a fait le commentaire suivant :
Cela veut dire non pas que le critère de Wigmore est maintenant "gravé dans la pierre", mais plutôt que ces considérations constituent un cadre général à l'intérieur duquel des considérations de principe et les exigences en matière de recherche des faits peuvent être évaluées et comparées en fonction de leur importance relative dans l'affaire particulière soumise à la cour.
[24]        L'affaire doit donc être décidée au cas par cas et l'existence d'une relation thérapeutique est une circonstance qui doit être examinée avec attention : M. (A.) c. Ryan, 1997 CanLII 403 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 157. Par ailleurs, la nature de l'infraction est aussi pertinente, comme le souligne le juge Lacourcière pour la Cour d'appel de l'Ontario dans R. v. R.J.S.reflex, (1985) 19 C.C.C. (3d) 115, à la p. 134, alors que la poursuite cherchait à mettre en preuve les propos tenus par l'accusé à l'occasion d'une démarche thérapeutique :
I do not think that these cases help the appellant's position in the balancing of interests. In my view, the search for truth in the criminal process outweighs the need for family counselling, at least in cases of suspected child abuse. As previously mentioned, the policy of the law has been to limit the categories of privilege, subject to the judicial discretion to refuse to admit evidence obtained in confidence, such as the penitent's confession to a priest and the spouse's communication to her psychiatrist in Dembie v. Dembie, supra.
[25]        En l'espèce, il est admis que les trois premiers critères de Wigmore sont satisfaits. Seul le quatrième est en cause. Autrement dit, l'intérêt public à ce que l'information demeure confidentielle l'emporte-t-il sur l'intérêt public à ce que la vérité soit découverte? Le juge de première instance a conclu que l'appelante ne s'est pas déchargée de son fardeau de démontrer que tel était le cas. S'il est vrai que le juge tient compte d'arrêts qui ne portent pas tous sur le quatrième critère (par exemple celui de notre Cour dans R. c. Dupont1998 CanLII 13015 (QC CA), (1998), 129 C.C.C. (3rd) 77), je ne vois toutefois pas d'erreur dans sa conclusion.
[26]        Comme le juge de première instance, je suis d'avis que l'intérêt de la société à connaître la vérité dans cette affaire de meurtre l'emporte sur celui de l'appelante (ou de toute autre personne) à être traitée pour un problème de consommation d'alcool.
[27]        La preuve contestée est importante en ce que l'intervenante témoigne que l'appelante lui a mentionné avoir été complice du meurtre de sa sœur. Il s'agit d'une preuve qui, sans être très précise en ce qui a trait aux paroles exactes de l'appelante, demeure pertinente et fort importante pour la découverte de la vérité. Les aveux de l'appelante sont un élément déterminant de la thèse de la poursuite.
[29]        Il est vrai qu'elle ne contient pas d'aveu clair de culpabilité. Par contre, considérée à la lumière de l'ensemble de la preuve, elle permet de comprendre l'état d'esprit de l'appelante à l'époque où elle dévoile à l'intervenante sa participation au meurtre. Cette preuve est donc pertinente.
[30]        Par ailleurs, l'intérêt à ce que l'information demeure privilégiée ne revêt pas la même importance. Bien entendu, il faut favoriser la participation à une thérapie lorsqu'une personne en a besoin, mais cet avantage ne peut être élevé au niveau d'un privilège générique. Comme le souligne la juge McLachlin dans Ryan, précité, cela ne suffit pas :
31   Ces critères, appliqués à la présente affaire, démontrent qu'il y a un intérêt décisif à soustraire à la divulgation les communications en cause. Cependant, il faut plus que cela pour établir l'existence d'un privilège. Pour qu'un privilège existe, il faut démontrer que l'avantage tiré du privilège, si grand qu'il puisse sembler, l'emporte en fait sur l'intérêt qu'il y a à bien trancher le litige.
[31]        Il faut donc laisser aux tribunaux la possibilité de permettre de telles preuves. Ici, l'importance des confidences est indéniable. Considérées dans l'ensemble de la preuve, elles peuvent établir la culpabilité de l'appelante pour un double meurtre alors que l'enquête a piétiné pendant près de trente ans et ne fut rouverte qu'à l'occasion, justement, de confidences.
[32]        De même, l'appelante a autorisé l'intervenante à partager ses confidences avec sa supérieure hiérarchique. Cela ne règle peut-être pas toute la question, mais il s'agit assurément d'un fait dont on peut tenir compte au regard du quatrième critère, d'autant que les confidences ont été faites dans un contexte où elles paraissent fiables et sont susceptibles de confirmer le témoignage de Mme Lapalme sur un élément de preuve décisif.
[33]        Enfin, en ce qui a trait au pouvoir de common law d'exclure néanmoins la preuve, je partage l'avis du juge de première instance lorsqu'il dit :
Donc, à partir de ces décisions, j'estime que même s'il existe un pouvoir discrétionnaire d'exclure une preuve autrement admissible, les décisions que je viens de mentionner semblent soutenir la proposition que le procès n'est pas rendu inéquitable du seul fait que l'on introduit en preuve un écrit que l'on pourrait qualifier d'intime, confectionné par l'accusée dans un moment d'intimité, que ce soit dans la rédaction d'un journal ou dans la confection d'un poème ou dans l'écriture d'un texte qui se veut, finalement, un texte d'excuses à l'endroit de la sœur de l'accusée.

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