R. c. Lagacé, 2013 QCCQ 4482 (CanLII)
[7] Dans le jugement du 1er mars, le Tribunal a résumé l'état du droit en matière de complot. Cependant, ce même jour, la Cour suprême a rendu un important arrêt dans l'affaire R. c. J.F. Cet arrêt vient préciser les règles de responsabilité comme participant à une infraction de complot. Le Tribunal croit essentiel de reproduire ici certains principes enseignés par le plus haut tribunal du pays.
[8] Après avoir rappelé la définition d'un complot tel que précisée dans R. c. O'Brien, le juge Moldaver pose la question suivante:
(…) La responsabilité comme participant devrait-elle être réservée aux personnes qui fournissent aide ou encouragement à l'égard de l'entente à la base du complot, ou cette forme de responsabilité s'applique-t-elle aussi aux personnes qui fournissent aide ou encouragement à la poursuite de la fin illégale visée par le complot?
[9] Dans un premier temps, après analyse, le juge Moldaver se dit "convaincu que le fait d'être un participant à un complot constitue une infraction qui existe en droit".
[10] Puis, il aborde une question plus difficile à trancher, à savoir comment et dans quelles circonstances une personne peut être jugée responsable comme participant à l'infraction de complot.
[11] Après avoir exposé les deux écoles de pensée existant jusqu'alors au Canada, soit l'approche restrictive, dont l'arrêt de principe est l'affaireTrieu et l'approche large inspirée de l'affaire McNamara, le juge Moldaver élabore sur l'approche qui doit prévaloir dorénavant, soit l'approche restrictive. Voici comment il s'exprime:
[42] J’en viens maintenant à l’approche large retenue dans McNamara et à la question centrale de la présente espèce — soit celle de savoir si la responsabilité comme participant peut être imputée à une personne qui a connaissance du complot et qui accomplit (ou omet d’accomplir) une chose en vue de la poursuite de la fin illégale visée par le complot.
[43] Avec égards pour ceux qui sont d’avis différent, j’estime que cette responsabilité ne saurait être imputée à une telle personne. La responsabilité comme participant devrait être réservée aux comportements apportant aide ou encouragement à la formation de l’ententequi constitue l’essence même du crime de complot. Dans tous les autres cas, l’accusé ne sera pas déclaré coupable de complot en l’absence de preuve qu’il était membre de celui‑ci.
[44] Comme je l’ai expliqué plus tôt, l’entente est un élément central de l’infraction de complot. À l’inverse, un acte accompli dans la poursuite de la fin illégale ne constitue pas un élément de l’infraction de complot. Bien qu’un tel acte puisse être invoqué à titre de preuve circonstancielle pour démontrer l’existence d’un complot, il ne constitue pas en soi un élément constitutif de l’actus reus de cette infraction. D’ailleurs, il est possible de prouver le complot en l’absence de tout acte manifeste accompli dans la poursuite de la fin illégale visée par le complot. Autrement dit, [traduction] « [l]e crime de complot est complet lorsque l’entente est conclue » : Trieu, par. 31.
[45] Selon moi, il découle de ce qui précède que l’approche large, telle qu’elle a été retenue dans l’arrêt McNamara, doit être rejetée. Le fait de fournir aide ou encouragement à la poursuite de la fin illégale ne prouve pas que l’accusé a aidé ou encouragé l’auteur principal à commettre quelque élément constitutif de l’infraction de complot. Ce fait ne saurait justifier une conclusion de responsabilité comme participant au complot.
[Soulignements ajoutés]
[12] Une fois le principe juridique clairement arrêté, le juge Moldaver formule divers commentaires relatifs à la preuve circonstancielle permettant d'inférer qu'une personne est membre du complot:
[52] À mon avis, le fait qu’une personne ayant connaissance d’un complot (connaissance qui, par définition, emporte celle de la fin illégale recherchée) accomplit (ou omet d’accomplir) une chose dans la poursuite de la fin illégale, et ce, au su et avec le consentement d’un ou de plusieurs des conspirateurs existants, constitue une solide preuve circonstancielle permettant d’inférer que cette personne est membre du complot. Plus précisément, cela constituerait la preuve d’une entente, tacite ou expresse, tendant à la réalisation de la fin illégale. En fin de compte, il s’agit d’une question qui relève du juge des faits, qui doit décider s’il est raisonnablement possible de tirer de la preuve une autre inférence que l’existence d’une entente. Toutefois, comme je vais l’expliquer, la présente affaire illustre comment une accumulation de faits de ce genre peut rendre quasi certaine la conclusion qu’une personne est membre d’un complot.
[53] En tirant cette conclusion, je tiens à souligner que la preuve des complots est souvent circonstancielle. Les cas où l’on dispose d’une preuve directe de l’existence d’une entente tendent à être rares. Toutefois, il est courant que le fait qu’une personne est membre d’un complot puisse être inféré de la preuve d’une conduite aidant à la perpétration de la fin illégale. Le juge Rinfret a énoncé ce point fondamental dans l’arrêt Paradis c. The King (1933), 1933 CanLII 75 (SCC), [1934] R.C.S. 165, il y a quelque 80 ans de cela :
[traduction] Comme tous les autres crimes, le complot peut être établi par voie d’inférence à partir de la conduite des personnes en cause. Il ne fait aucun doute que l’entente intervenue entre elles constitue l’élément essentiel de l’infraction, mais ce n’est que dans de rares cas qu’il sera possible de l’établir au moyen d’une preuve directe. [p. 168]
[54] En outre, il n’est pas nécessaire que tous les membres d’un complot jouent, ou aient l’intention de jouer, des rôles égaux dans la perpétration ultime de la fin illégale. De fait, il n’importe pas qu’ils aient commis personnellement, ou aient eu l’intention de commettre personnellement, l’infraction dont la perpétration a été convenue par chacun d’entre eux : R. c. Genser reflex, (1986), 39 Man. R. (2d) 203 (C.A.), conf. par 1987 CanLII 5 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 685. Toute assistance, quelle qu’en soit l’ampleur, fournie par une personne dans la poursuite de la fin illégale peut mener à la conclusion que cette personne est membre du complot, dans la mesure où l’existence d’une entente sur un projet commun peut être inférée et que la preuve de l’état mental requis a été établie.
[13] Puis, le juge Moldaver s'attarde à la situation où une ou des personnes aide ou encourage quelqu'un à devenir membre d'un complot pré-existant.
[14] Le juge Moldaver conclut comme suit:
[72] Le fait de fournir aide et encouragement à l’égard d’un complot est une infraction qui existe en droit canadien. L’infraction est prouvée lorsque l’accusé aide ou encourage une personne relativement à l’actus reus du complot, c’est‑à‑dire à l’acte de s’entendre. Il s’ensuit que l’approche adoptée dans Trieu est le seul fondement permettant de conclure à la responsabilité comme participant à l’infraction de complot. L’approche retenue dans McNamara est rejetée.
[73] Je tiens toutefois à signaler que le comportement visé par l’affaire McNamara peut fort bien étayer le dépôt d’une accusation de complot. Comme il a été indiqué plus tôt, le fait qu’une personne ayant connaissance d’un complot accomplit (ou omet d’accomplir) une chose dans la poursuite de la fin illégale, et ce, au su et avec le consentement d’un ou de plusieurs des conspirateurs existants, constitue une solide preuve circonstancielle indiquant que cette personne est membre du complot.
[74] L’approche que j’ai adoptée introduit une certaine mesure de simplicité et de clarté dans le droit applicable. L’application de la notion de responsabilité comme participant se limite aux cas où l’accusé fournit aide ou encouragement à la formation initiale de l’entente ou encore aide ou encourage de nouveaux membres à se joindre à une entente préexistante.
[Soulignements ajoutés]
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