lundi 8 juin 2015

L'article 122 est en somme une mesure disciplinaire élevée par le législateur au statut d'acte criminel

R. c. Van Rassell, 1987 CanLII 965 (QC CA)

Lien vers la décision

Cette disposition vise un groupe bien particulier de personnes, les fonctionnaires de l'état canadien, à tous les paliers de gouvernements au Canada.  Cette disposition s'applique aussi bien aux personnes élues à une fonction publique qu'à celles qui y sont nommées. C'est en somme une mesure disciplinaire élevée par le législateur au statut d'acte criminel, qui fait partie des conditions d'emploi des fonctionnaires canadiens en raison de la délégation par l'état canadien d'une partie de ses pouvoirs que comporte l'élection ou la nomination à un poste de fonctionnaire. C'est une mesure d'intérêt public mise en place pour le bon fonctionnement de l'État canadien. Cette mesure se rattache à la souveraineté de l'état canadien et pour en faire un acte criminel, seul le législateur fédéral pouvait l'édicter

L'enquête interne et l'application du secret professionnel

Gower v. Tolko Manitoba Inc., 2001 MBCA 11 (CanLII)
19                 With respect to the first factor, the communication must be connected to obtaining legal advice, but legal advice is not confined to merely telling the client the state of the law.  It includes advice as to what should be done in the relevant legal context.  It must, as a necessity, include ascertaining or investigating the facts upon which the advice will be rendered.  Courts have consistently recognized that investigation may be an important part of a lawyer’s legal services to a client so long as they are connected to the provision of those legal services.  As the United States Supreme Court acknowledged:

The first step in the resolution of any legal problem is ascertaining the factual background and sifting through the facts with an eye to the legally relevant.
[Upjohn Co. v. United States, 449 U.S. 383 (1981) (S.C.)
 at para. 23

Les distinctions qui existent entre le privilège relatif au litige et le privilège du secret professionnel de l'avocat

Imperial Tobacco Canada ltée c. Létourneau, 2012 QCCA 2260 (CanLII)


[7]         Dans l'arrêt Blank c. Canada (Ministre de la Justice), le juge Fish, au nom de la majorité de la Cour suprême, statue qu'une distinction existe entre le privilège relatif au litige et le privilège du secret professionnel de l'avocat. Il souligne que ces deux privilèges reposent sur des considérations de principe différentes et qu'il ne faut pas les confondre. Il ne s'agit pas de deux composantes d'un même concept :
1                        Dans le présent pourvoi, la Cour est appelée à établir pour la première fois une distinction entre deux exceptions à la communication forcée qui sont connexes, mais distinctes sur le plan conceptuel : le privilège du secret professionnel de l’avocat(solicitor‑client privilege) et le privilège relatif au litige (litigation privilege).  Ces privilèges coexistent souvent et on utilise parfois à tort le nom de l’un pour désigner l’autre, mais leur portée, leur durée et leur signification ne coïncident pas.
[…]
7                        Compte tenu de leur portée, de leur objet et de leur fondement différents, j’estime qu’il serait préférable de reconnaître qu’il s’agit en l’occurrence de concepts distincts, et non de deux composantes d’un même concept.  Par conséquent, dans les présents motifs, j’utiliserai l’expression « secret professionnel de l’avocat » comme s’entendant exclusivement du privilège de la consultation juridique et, à moins d’indication contraire, j’emploierai les deux expressions — secret professionnel de l’avocat et privilège de la consultation juridique — comme des synonymes interchangeables.
[…]
31                     Bien que distincts d’un point de vue conceptuel, le privilège relatif au litige et le privilège de la consultation juridique servent une cause commune : l’administration sûre et efficace de la justice conformément au droit.  En outre, ils sont complémentaires et n’entrent pas en concurrence l’un avec l’autre.  Cependant, le fait de considérer le privilège relatif au litige et le privilège de la consultation juridique comme deux composantes d’un même concept tend à en occulter la vraie nature.
32                    Contrairement au secret professionnel de l’avocat, le privilège relatif au litige prend naissance et produit ses effets même en l’absence d’une relation avocat‑client et il s’applique sans distinction à toutes les parties, qu’elles soient ou non représentées par un avocat : voir Alberta (Treasury Branches) c. Ghermezian (1999), 242 A.R. 3261999 ABQB 407 (CanLII).  La partie qui se défend seule a autant besoin  d’une « zone » de confidentialité; elle devrait donc y avoir droit.  Une autre distinction importante mène à la même conclusion.  La confidentialité, condition sine qua non du secret professionnel de l’avocat, ne constitue pas un élément essentiel du privilège relatif au litige.  Lorsqu’ils se préparent en vue de l’instruction, les avocats obtiennent ordinairement des renseignements auprès de tiers qui n’ont nul besoin ni attente quant à leur confidentialité, et pourtant ces renseignements sont protégés par le privilège relatif au litige.
33                     Bref, le privilège relatif au litige et le secret professionnel de l’avocat reposent sur des considérations de principe différentes et entraînent des conséquences juridiques différentes.
(Soulignements ajoutés)

[8]         Dans cet arrêt, la Cour suprême clarifie la confusion jurisprudentielle sur la question et met fin à la controverse doctrinale sur la théorie du fondement différent de ces deux privilèges. L'analyse du juge Fish aux paragraphes [23] à [30] de ses motifs en témoigne :
23                     Selon l’appelant, la Cour aurait statué que le privilège relatif au litige est une composante du secret professionnel de l’avocat et bénéficie de la même protection quasi absolue, notamment de son caractère permanent.  Aucune des décisions qu’il invoque n’étaye toutefois cette affirmation.  La Cour a maintes fois traité du secret professionnel de l’avocat et souligné son importance primordiale, mais elle n’a encore jamais examiné la nature, la portée ou la durée du privilège relatif au litige.
24                     Ainsi, la Cour a expliqué dans Descôteaux c. Mierzwinski1982 CanLII 22 (CSC)[1982] 1 R.C.S. 860, et a réitéré depuis, que le secret professionnel de l’avocat a d’abord été une règle de preuve qui s’est transformée au fil des ans en une règle de fond.  En outre, la Cour n’a pas cessé d’insister sur l’étendue et la primauté du secret professionnel de l’avocat.  Voir par exemple : Geffen c. Succession Goodman1991 CanLII 69 (CSC)[1991] 2 R.C.S. 353Smith c. Jones1999 CanLII 674 (CSC)[1999] 1 R.C.S. 455R. c. McClure,[2001] 1 R.C.S. 4452001 CSC 14 (CanLII)Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général)[2002] 3 R.C.S. 2092002 CSC 61 (CanLII); et Goodis c. Ontario (Ministère des Services correctionnels)[2006] 2 R.C.S. 32,  2006 CSC 31 (CanLII).  Dans un extrait souvent cité de l’arrêt McClure, le juge Major, s’exprimant au nom de la Cour, a dit que « le secret professionnel de l’avocat doit être aussi absolu que possible pour assurer la confiance du public et demeurer pertinent » (par. 35).
25                     Toutefois, il ressort clairement du texte et du contexte de ces décisions qu’elles ne portent que sur le privilège de la consultation juridique, ou sur le secret professionnel de l’avocat proprement dit, et non sur le privilège relatif au litige.
26                    Ces décisions, parmi d’autres, traitent abondamment de l’origine et du fondement du secret professionnel de l’avocat, fermement établi depuis des siècles.  Il reconnaît que la force du système de justice dépend d’une communication complète, libre et franche entre ceux qui ont besoin de conseils juridiques et ceux qui sont les plus aptes à les fournir.  La société a confié aux avocats la tâche de défendre les intérêts de leurs clients avec la compétence et l’expertise propres à ceux qui ont une formation en droit.  Ils sont les seuls à pouvoir s’acquitter efficacement de cette tâche, mais seulement dans la mesure où ceux qui comptent sur leurs conseils ont la possibilité de les consulter en toute confiance.  Le rapport de confiance qui s’établit alors entre l’avocat et son client est une condition nécessaire et essentielle à l’administration efficace de la justice.
27                     Par ailleurs, le privilège relatif  au litige n’a pas pour cible, et encore moins pour cible unique, les communications entre un avocat et son client.  Il touche aussi les communications entre un avocat et des tiers, ou dans le cas d’une partie non représentée, entre celle‑ci et des tiers.  Il a pour objet d’assurer l’efficacité du processus contradictoire et non de favoriser la relation entre l’avocat et son client.  Or, pour atteindre cet objectif, les parties au litige, représentées ou non, doivent avoir la possibilité de préparer leurs arguments en privé, sans ingérence de la partie adverse et sans crainte d’une communication prématurée.
28                     R. J. Sharpe (maintenant juge de la Cour d’appel) a particulièrement bien expliqué les différences entre le privilège relatif au litige et le secret professionnel de l’avocat :
[TRADUCTION]  Il est crucial de faire la distinction entre le privilège relatif au litige et le secret professionnel de l’avocat.  Au moins trois différences importantes, à mon sens, existent entre les deux. Premièrement, le secret professionnel de l’avocat ne s’applique qu’aux communications confidentielles entre le client et son avocat. Le privilège relatif au litige, en revanche, s’applique aux communications à caractère non confidentiel entre l’avocat et des tiers et englobe même des documents qui ne sont pas de la nature d’une communication.  Deuxièmement, le secret professionnel de l’avocat existe chaque fois qu’un client consulte son avocat, que ce soit à propos d’un litige ou non.  Le privilège relatif au litige, en revanche, ne s’applique que dans le contexte du litige lui‑même. Troisièmement, et c’est ce qui importe le plus, le fondement du secret professionnel de l’avocat est très différent de celui du privilège relatif au litige.  Cette différence mérite qu’on s’y arrête.  L’intérêt qui sous‑tend la protection contre la divulgation accordée aux communications entre un client et son avocat est l’intérêt de tous les citoyens dans la possibilité de consulter sans réserve et facilement un avocat.  Si une personne ne peut pas faire de confidences à un avocat en sachant que ce qu’elle lui confie ne sera pas révélé, il lui sera difficile, voire impossible, d’obtenir en toute franchise des conseils juridiques judicieux.
Le privilège relatif au litige, en revanche, est adapté directement au processus du litige.  Son but ne s’explique pas valablement par la nécessité de protéger les communications entre un avocat et son client pour permettre au client d’obtenir des conseils juridiques, soit l’intérêt que protège le secret professionnel de l’avocat.  Son objet se rattache plus particulièrement aux besoins du processus du procès contradictoire.  Le privilège relatif au litige est basé sur le besoin d’une zone protégée destinée à faciliter, pour l’avocat, l’enquête et la préparation du dossier en vue de l’instruction contradictoire. Autrement dit, le privilège relatif au litige vise à faciliter un processus (le processus contradictoire), tandis que le secret professionnel de l’avocat vise à protéger une relation (la relation de confiance entre un avocat et son client).
(« Claiming Privilege in the Discovery Process », dans Special Lectures of the Law Society of Upper Canada (1984), 163, p. 164‑165)
29                     À l’exception de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans l’arrêt Hodgkinson c. Simms (1988), 1988 CanLII 181 (BC CA),33 B.C.L.R. (2d) 129, les juridictions d’appel du pays ont conclu de façon constante que le privilège relatif au litige repose sur un fondement différent de celui sur lequel repose le secret professionnel de l’avocat : Liquor Control Board of Ontario c. Lifford Wine Agencies Ltd. (2005),2005 CanLII 25179 (ON CA)76 O.R. (3d) 401Ontario (Attorney General) c. Ontario (Information and Privacy Commission, Inquiry Officer)(2002), 2002 CanLII 18055 (ON CA)62 O.R. (3d) 167 (« Big Canoe »); College of Physicians & Surgeons (British Columbia) c. British Columbia (Information & Privacy Commissioner) (2002), 9 B.C.L.R. (4th) 12002 BCCA 665 (CanLII)Gower c. Tolko Manitoba Inc. (2001),196 D.L.R. (4th) 7162001 MBCA 11 (CanLII)Mitsui & Co. (Point Aconi) Ltd. c. Jones Power Co. (2000), 188 N.S.R. (2d) 173,2000 NSCA 96 (CanLII)General Accident Assurance Co. c. Chrusz (1999), 1999 CanLII 7320 (ON CA)45 O.R. (3d) 321.
30                     Les jurisprudences américaine et anglaise vont dans le même sens : voir In re L. (A Minor)[1997] A.C. 16 (H.L.)Three Rivers District Council c. Governor and Company of the Bank of England (No. 6), [2004] Q.B. 916, [2004] EWCA Civ 218, et Hickman c. Taylor, 329 U.S. 495 (1947).  Aux États‑Unis, les communications avec les tiers et les autres documents préparés en vue d’une instance sont protégés par une doctrine semblable relative « aux préparatifs de l’avocat » (« attorney work product »).  La majorité des auteurs adhèrent aussi à cette théorie du « fondement différent » : Sharpe; J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada(2e éd. 1999), p. 745‑746; D. M. Paciocco et L. Stuesser, The Law of Evidence (3e éd. 2002), p. 197‑198; J.‑C. Royer, La preuve civile(3e éd. 2003), p. 868‑871; G. D. Watson et F. Au, « Solicitor‑Client Privilege and Litigation Privilege in Civil Litigation » (1998), 77 R. du B. can. 315.  Pour l’opinion contraire, voir J. D. Wilson, « Privilege in Experts’ Working Papers » (1997), 76 R. du B. can. 346 et « Privilege : Watson & Au (1998) 77 Can. Bar Rev. 346 : REJOINDER : “It’s Elementary My Dear Watson” » (1998), 77 R. du B. can. 549.
(Soulignements ajoutés)
[9]         Dans l'arrêt Foster Wheeler Power Co. c. Société intermunicipale de gestion et d'élimination des déchets (SIGED) inc.une affaire provenant du Québec, le juge LeBel avait aussi traité de l'immunité de divulgation relative aux documents préparés pour un avocat dans la perspective d'un litige appréhendé, sans pour autant la rattacher au secret professionnel protégé par l'article 9 de la Charte. Il y avait noté que cette immunité correspond au « litigation privilege » de common law.

[10]      Depuis l'arrêt Blank, la Cour a reconnu que la distinction qui existe entre ces deux privilèges s'applique en droit québécois.
[11]      Ainsi, dans Union canadienne (L'), compagnie d'assurances c. St-Pierrela juge Thibault précise que, selon ces enseignements de la Cour suprême, le privilège relatif au litige se distingue du secret professionnel entre l'avocat et son client, notamment quant à sa portée. Selon elle, il faut éviter de confondre ces deux exceptions à la communication forcée de la preuve. Elle écrit entre autres ceci sur les deux notions :
Le secret professionnel
[…]
[23]        D'entrée de jeu, il y a lieu de rappeler que, selon les enseignements de la Cour suprême dans Blank c. Canada (Ministre de la Justice)le privilège relatif au litige, en tant qu'exception à la communication forcée, a été distingué de l'exception du secret professionnel entre l'avocat et son client, notamment quant à sa portée :
[…]
[24]        Ainsi, il faut éviter de confondre ces deux exceptions à la communication forcée de la preuve, notamment à cause de la portée beaucoup plus large de celle relative au secret professionnel.
[25]        Dans Société d'énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion et d'élimination des déchets (SIGED) inc., la Cour suprême explique que toute étude du secret professionnel, de son étendue et de son application nécessite l'examen du cadre législatif mis en place par le législateur. La disposition-clé en matière de secret professionnel se retrouve à l'article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne :
[…]
[33]        Le professeur Ducharme, dont je partage l'opinion, écrit que ce n'est pas le cas. En effet, tel que l'a décidé la Cour suprême dansGlobe and Mail c. Canada (Procureur général)il est de l'essence du secret professionnel que l'information transmise ait un caractère confidentiel, ce qui ne peut avoir lieu qu'à l'occasion d'une relation d'aide. Une relation d'aide implique que la transmission d'informations soit faite « dans l'intérêt primordial de permettre au confident de bien connaître les besoins de celui qui se confie, de façon à ce qu'il soit en mesure d'y satisfaire ».
[…]

Le privilège relatif au litige
[…]
[37]        Selon les principes de l'arrêt Blank précité, l'objet de ce privilège est de créer une « zone de confidentialité » à l'occasion ou en prévision d'un litige :
27     Par ailleurs, le privilège relatif au litige n’a pas pour cible, et encore moins pour cible unique, les communications entre un avocat et son client.  Il touche aussi les communications entre un avocat et des tiers, ou dans le cas d’une partie non représentée, entre celle-ci et des tiers.  Il a pour objet d’assurer l’efficacité du processus contradictoire et non de favoriser la relation entre l’avocat et son client.  Or, pour atteindre cet objectif, les parties au litige, représentées ou non, doivent avoir la possibilité de préparer leurs arguments en privé, sans ingérence de la partie adverse et sans crainte d’une communication prématurée.
[…]
34     L’objet du privilège relatif au litige est, je le répète, de créer une « zone de confidentialité » à l’occasion ou en prévision d’un litige.
[38]        Ce privilège est interprété de façon restrictive puisqu'il « constitue un obstacle à la liberté de la preuve et à la découverte de la vérité ». C'est pour cette raison que, dans l'arrêt Blank précité, la Cour suprême en a restreint l'application aux documents préparés « principalement » en vue d'un litige :
59     La question s’est posée de savoir si le privilège relatif au litige devrait s’attacher aux documents dont un objet important, l’objet principal ou le seul objet est la préparation du litige.  Parmi ces possibilités, la Chambre des lords a opté pour le critère de l’objet principal dans Waugh c. British Railways Board, [1979] 2 All E.R. 1169.  Ce critère a également été retenu dans notre pays : Davies c. Harrington (1980), 115 D.L.R. (3d) 347 (C.A.N.-É.); Voth Bros. Construction (1974) Ltd. c. North Vancouver School District No. 44 Board of School Trustees (1981), 1981 CanLII 506 (BC CA)29 B.C.L.R. 114 (C.A.)McCaig c. Trentowsky (1983), 148 D.L.R. (3d) 724 (C.A.N.-B.); Nova, an Alberta Corporation c. Guelph Engineering Co. (1984), 1984 ABCA 38 (CanLII)5 D.L.R. (4th) 755 (C.A. Alb.); Ed Miller Sales & Rentals; Chrusz; Lifford; Mitsui; College of Physicians; Gower.
60      Je ne vois aucune raison de déroger au critère de l’objet principal.  Bien qu’il confère une protection plus limitée que ne le ferait le critère de l’objet important, il me semble conforme à l’idée que le privilège relatif au litige devrait être considéré comme une exception limitée au principe de la communication complète et non comme un concept parallèle à égalité avec le secret professionnel de l’avocat interprété largement.  Le critère de l’objet principal est davantage compatible avec la tendance contemporaine qui favorise une divulgation accrue.  Comme l’a souligné Royer, il n’est guère surprenant que la législation et la jurisprudence modernes portent de plus en plus atteinte au caractère purement accusatoire et contradictoire du procès civil,tendent à limiter la portée de ce privilège [soit le privilège relatif au litige]. [p. 869]
Ou, pour reprendre les termes utilisés par le juge Carthy dans Chrusz :
[traduction]  La tendance moderne favorise une divulgation complète et il n’existe aucune raison apparente de freiner cette tendance dans la mesure où l’avocat continue à jouir d’une souplesse suffisante pour servir adéquatement son client qui est partie à un litige.  [p. 331]
61    Tandis que le secret professionnel de l’avocat a été renforcé, réaffirmé et relevé au cours des dernières années, le privilège relatif au litige a dû être adapté à la tendance favorable à la divulgation mutuelle et réciproque qui caractérise le processus judiciaire.  Dans ce contexte, il serait incongru de renverser cette tendance et de revenir au critère de l’objet important.
(Soulignements ajoutés / Références omises)
[12]      Dans Fournier Avocats inc. c. Cinar Corporation, la Cour rappelle que l'arrêt Blank « établi[t] clairement une distinction entre le secret professionnel de l'avocat et le privilège relatif au litige ». Selon la Cour, « [i]l ressort notamment de cet arrêt que la protection du secret professionnel est beaucoup plus forte que celle du privilège relatif au litige ».
[13]      L'auteur Royer, que le juge Fish cite avec approbation dans son analyse de la doctrine aux paragraphes [30] et [60] de l'arrêt Blank, opine dans le même sens dans la dernière édition de son ouvrage en matière de preuve.
[14]      Le secret professionnel dont traite l'article 9 de la Charte vise les communications entre le professionnel et son client ou entre une personne et son confesseur. Dans le cas de l'avocat, il correspond au privilège de la consultation juridique dont traite la Cour suprême dans l'arrêt Blank et qu'elle distingue précisément du privilège relatif au litige.

La définition jurisprudentielle de l'avis juridique

Charlebois c. Barreau du Québec, 2012 QCCA 788 (CanLII)


[28]           Des tempéraments ont été apportés à la rigueur apparente de la règle invoquée par l'intimé.  Le juge St-Pierre de la Cour du Québec soulignait à bon droit, dans Barreau de l'Abitibi-Témiscamingue c. Guindon :
[…]  on s'imagine mal qu'un employé, dans un greffe, ne puisse répondre à une question de renseignement demandée par un client.  Rien n'empêche de fournir des informations qui ne soulèvent aucune contestation, comme par exemple, que certains commerces ferment leurs portes à 21 h 00, d'autres à 18 h 00, que l'amende minimum pour la conduite en état de facultés affaiblies est de 300,00 $ ou encore qu'il n'y a pas de T.P.S. sur les arachides non salées et qu'il y en a sur celles qui le sont.  La Cour ne croit pas qu'il faille être avocat pour donner de telles informations; cela ne correspond pas au rôle plus spécialisé qu'est ou est sensé être celui de l'avocat.  Donc, le fait d'exposer des droits, des obligations et des recours prévus dans un texte de loi n'est pas, dans certaines circonstances, du ressort exclusif de l'avocat.
[Soulignement ajouté]
[29]           Plus loin de chez nous, un guide préparé pour le personnel des cours de l'État du Texas qui doit répondre à des demandes d'information provenant de gens qui se représentent eux-mêmes mentionne, pour un exemple donné :


What is Legal Advice ?
Court users are asking for legal advice when they ask whether or not they should proceed in a certain fashion.  Telling a member of the public what to do rather than how to do it may be giving legal advice.
Legal advice is a written or oral statement that :
o        Interprets some aspect of the law, court rules, or court procedures;
o        Recommends a specific course of conduct a person should take in an actual or potential legal proceeding; or
o        Applies the law to the individual person's specific factual circumstances.
[30]           Je suis d'accord, en principe, avec cette définition, mais il demeure des cas limites dans lesquels il sera difficile de tirer la ligne entre « l'information juridique » et « l'avis juridique ».
[31]           Dans un contexte différent, il a été décidé que les agents d'opposition du ministère du Revenu rendent des décisions et ne donnent pas une opinion ou un avis juridique.  Cette interprétation se démarque du sens littéral des termes « avis d'ordre juridique ».
[32]           Le professeur D.A. Rollie Thompson soulignait, il y a quelques années, dans une publication du Forum canadien sur la justice civile :
La plupart des tribunaux suivent le précepte classique qui est de « ne pas donner de conseil juridique ».  Le personnel judiciaire ne doit pas en donner.  Tout au plus, le personnel judiciaire peut être autorisé à donner de l'« information juridique » limitée, en général seulement dans les tribunaux où les personnes non représentées comparaissent le plus souvent, par exemple, dans les cours des petites créances ou les tribunaux de la famille.  […]

Toutefois, les tribunaux ne sont pas les seuls à tenter de faire une distinction entre « information juridique » et « avis ou conseil juridique ».  Cette même distinction est faite en dehors des tribunaux, par les organismes de vulgarisation et d'information juridiques, par les sites Web et les lignes téléphoniques télé-droit, dans les trousses de participation et les projets bénévoles des étudiants, voire dans les programmes de bénévolat juridique.  Les seules personnes qui vous donneront des conseils sont vos amis et votre famille, et ce n'est pas à (sic) un avis ou un conseil juridique au sens propre.
Généralement, la distinction est faite un peu de la façon suivante.  L'« information juridique » consiste à donner des réponses à propos du droit en général, sur les options offertes, les processus judiciaires élémentaires et, de façon plus dangereuse, sur la façon dont le droit « pourrait » s'appliquer ou s'applique « habituellement ».  En revanche, l'« avis ou le conseil juridique » consiste à donner des réponses personnalisées sur la façon dont le droit s'appliquerait à un cas particulier ou l'option qu'une personne devrait choisir ou le résultat probable qu'elle obtiendrait.

lundi 1 juin 2015

L’identité des indicateurs de police peut-elle être révélée ?

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http://www.cch.ca/bulletins/juriste/articles/bucj0208_dl1.html

Les 4 types de situations où le traitement prétendument inadéquat de la preuve peut constituer une erreur de droit permettant au ministère public d’interjeter appel d’un acquittement

R. c. J.M.H., [2011] 3 RCS 197, 2011 CSC 45 (CanLII)
          Dans quelles circonstances les lacunes dont souffrirait l’appréciation de la preuve par le juge du procès constituent‑elles une erreur de droit et donnent‑elles ouverture, pour cette raison, à la révision d’un acquittement par la cour d’appel? 
[24]                          Le ministère public ne peut interjeter appel de l’acquittement d’une infraction punissable par voie de mise en accusation que « pour tout motif d’appel qui comporte une question de droit seulement » : Code criminelal. 676(1)a).  Ce droit d’appel limité fait intervenir la question épineuse de savoir en quoi consiste une erreur de droit seulement.  Le présent pourvoi soulève de nouveau la question de savoir quand les lacunes dont souffrirait l’appréciation de la preuve par le juge du procès constituent une erreur de droit qui permet au ministère public d’interjeter appel d’un acquittement.  La jurisprudence fait actuellement état de quatre situations de ce genre.  Cette liste n’est peut‑être pas exhaustive, mais il sera utile de réviser brièvement ces quatre situations.
           (1)   Une conclusion de fait qui n’est appuyée par aucun élément de preuve constitue une erreur de droit — Par contre, pour l’application de cette règle, la conclusion que le juge des faits entretient un doute raisonnable n’est pas une conclusion de fait
[25]                          Il est reconnu depuis longtemps qu’une conclusion de fait qui n’est appuyée par aucun élément de preuve constitue une erreur de droit :Schuldt c. La Reine1985 CanLII 20 (CSC)[1985] 2 R.C.S. 592, p. 604.  Il ne découle toutefois pas de ce principe qu’un acquittement peut être annulé parce qu’il n’est pas appuyé par la preuve.  En l’absence de quelque fait ou élément à l’égard duquel le fardeau de preuve incombe à l’accusé, un acquittement est non pas une conclusion de fait, mais une conclusion qu’il n’a pas été satisfait à la norme de persuasion hors de tout doute raisonnable.  Qui plus est, comme l’a souligné la Cour dans R. c. Lifchus1997 CanLII 319 (CSC)[1997] 3 R.C.S. 320, au par. 39, un doute raisonnable doit logiquement découler de la preuve ou de l’absence de preuve.  Le juge en avise à juste titre les jurés et leur dit qu’ils peuvent accepter une partie ou l’ensemble de la déposition d’un témoin ou la rejeter entièrement : Lifchus, par. 30 et 36; Conseil canadien de la magistrature, Modèles de directives au jury, partie III, Directives finales, 9.4 Évaluation de la preuve (en ligne).
[26]                          La règle selon laquelle une conclusion de fait qui n’est appuyée par aucun élément de preuve constitue une erreur de droit ne s’applique généralement pas à l’acquittement fondé sur un doute raisonnable.  Comme l’a dit le juge Binnie au par. 22 de l’arrêt R. c. Walker2008 CSC 34(CanLII)[2008] 2 R.C.S. 245 :
                        La différence majeure entre la position du ministère public et celle de l’accusé dans un procès criminel tient à ce que, bien sûr, l’accusé jouit de la présomption d’innocence. [. . .] [T]andis que l’accusé ne peut être déclaré coupable que si la poursuite établit chacun des éléments factuels de l’infraction au‑delà de tout doute raisonnable, cette exigence ne s’applique pas à un acquittement qui, contrairement à une condamnation, peut reposer simplement sur l’absence de preuve.  [Italiques omis.]
[27]                          Notre Cour l’a dit très clairement dans R. c. Biniaris2000 CSC 15 (CanLII)[2000] 1 R.C.S. 381, par. 33 : « . . . la notion d’“acquittement déraisonnable” est incompatible, en droit, avec la présomption d’innocence et l’obligation qu’a la poursuite de présenter une preuve hors de tout doute raisonnable. »
           (2)   L’effet juridique des conclusions de fait ou des faits incontestés soulève une question de droit
[28]                          Il s’agit d’un type de situations énumérées dans l’arrêt R. c. Morin1992 CanLII 40 (CSC)[1992] 3 R.C.S. 286, où l’appréciation de la preuve par le juge du procès peut donner lieu à une erreur de droit.  Comme l’a dit le juge Sopinka à la p. 294 :
                        Si un juge du procès conclut à l’existence de tous les faits nécessaires pour tirer une conclusion en droit et que, pour tirer cette conclusion, ces faits peuvent simplement être tenus pour avérés, une cour d’appel peut ne pas partager la conclusion tirée sans empiéter sur la fonction de recherche des faits conférée au juge du procès.  Le désaccord porte sur le droit et non sur les faits ni sur les conclusions à tirer de ceux‑ci.  Le même raisonnement s’applique si les faits sont acceptés ou incontestés. 
En bref, la cour d’appel n’a qu’à appliquer les bons principes juridiques aux conclusions de fait du juge du procès; on peut établir en toute sûreté un lien entre l’erreur du juge, s’il en est, et une question de droit plutôt qu’une question de pondération adéquate de la preuve.
           (3)   Une appréciation de la preuve fondée sur un mauvais principe juridique constitue une erreur de droit
[29]                          Il s’agit d’un autre type de situations énoncé dans Morin.  Comme l’a dit le juge Sopinka à la p. 295 de cet arrêt, « [l]’omission d’apprécier les éléments de preuve ne saurait constituer une erreur de droit que si elle résulte d’une mauvaise compréhension d’un principe juridique. »  La juge Wilson a fait une importante mise en garde au sujet de ce moyen d’intervention en appel dans l’arrêt B. (G.) :
                    Il sera [. . .] plus difficile dans l’appel d’un acquittement d’établir avec certitude que l’erreur commise par le juge du procès soulevait une question de droit seulement en raison du fardeau de preuve qui incombe au ministère public dans toutes les poursuites criminelles et de l’importance accrue de l’examen critique de tous les éléments de preuve susceptibles de soulever un doute raisonnable.  [p. 75]
[30]                          Le juge Lamer, plus tard Juge en chef, a affirmé dans Schuldt que cette proposition constitue le véritable fondement de l’arrêt de la CourWild c. La Reine, 1970 CanLII 148 (CSC)[1971] R.C.S. 101.  Le juge Lamer a mentionné dans Schuldt, à la p. 610, que, sauf dans les rares cas où une disposition législative impose le fardeau de la preuve à l’accusé, on peut parfois dire en droit qu’il y a absence de preuve qui puisse permettre au tribunal de déclarer le prévenu coupable, mais on ne peut jamais dire qu’il y a absence de preuve qui lui permette de l’acquitter, car il y a toujours la présomption d’innocence qui doit être réfutée.  La juge Wilson a elle aussi fait sienne cette approche aux p. 69 et 70 de l’arrêt B. (G.), et la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) a également souligné ce point comme suit dans ses motifs concordants, à la p. 79 : « En l’absence d’une [. . .] erreur, la loi prévoit clairement que les doutes sur le caractère raisonnable de l’appréciation de la preuve par le juge du procès [dans le cas d’un appel formé par le ministère public à l’encontre d’un acquittement] ne constituent pas uniquement une question de droit . . . »
           (4)   Le juge du procès commet une erreur de droit s’il ne tient pas compte de toute la preuve qui se rapporte à la question ultime de la culpabilité ou de l’innocence
[31]                          C’est le dernier type de situations énumérées par le juge Sopinka dans  Morin (p. 295 et 296).  Un autre arrêt portant le même intitulé, R. c. Morin1988 CanLII 8 (CSC)[1988] 2 R.C.S. 345, en énonce le principe juridique sous‑jacent.  Selon ce principe, c’est une erreur de droit que d’assujettir des éléments de preuve individuels à la norme de preuve hors de tout doute raisonnable; il faut examiner l’ensemble de la preuve : voir, notamment, B. (G.), p. 75-77 et 79.  Le juge Sopinka a toutefois servi une importante mise en garde à propos de la manière dont on peut relever l’erreur en question.  Il est erroné d’appliquer le principe établi dans Morin chaque fois que le juge du procès ne traite pas de chacun des éléments de preuve ou ne consigne pas chacun d’eux et l’appréciation qu’il en a faite.  Comme le juge Sopinka l’a souligné à la p. 296 de l’arrêt Morin (1992) : « Le juge du procès doit examiner tous les éléments de preuve qui se rapportent à la question ultime à trancher, mais à moins que les motifs démontrent que cela n’a pas été fait, l’omission de consigner que cet examen a été fait ne permet pas de conclure qu’une erreur de droit a été commise à cet égard. »  C’est le motif sur lequel s’est fondée la Cour d’appel pour intervenir, mais, comme je l’ai déjà dit, une interprétation juste des motifs du juge du procès n’étaie pas ce constat d’erreur de droit.
[32]                          Le juge du procès n’est pas tenu de mentionner chacun des éléments de preuve qu’il a examinés ou d’expliquer en détail l’appréciation qu’il a faite de chacun d’eux.  Comme l’a souligné le juge Binnie dans Walker, « [l]es motifs sont suffisants s’ils répondent aux questions en litige et aux principaux arguments des parties.  Leur suffisance doit être mesurée non pas dans l’abstrait, mais d’après la réponse qu’ils apportent aux éléments essentiels du litige » (par. 20).  L’arrêt Walker établit aussi clairement que le caractère suffisant des motifs du juge du procès est fonction des moyens limités permettant au ministère public de faire appel d’un acquittement (par. 2 et 22).  Comme l’a dit succinctement le juge Binnie, « [i]l faut prendre garde de ne pas s’arrêter aux lacunes apparentes des motifs formulés par le juge du procès lors de l’acquittement pour créer un motif d’“acquittement déraisonnable”, verdict que le tribunal ne peut prononcer en vertu du Code criminel » (par. 2).

La divulgation de la preuve: un véritable principe de justice fondamentale?

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