R. c. J.M.H., [2011] 3 RCS 197, 2011 CSC 45 (CanLII)
Dans quelles circonstances les lacunes dont souffrirait l’appréciation de la preuve par le juge du procès constituent‑elles une erreur de droit et donnent‑elles ouverture, pour cette raison, à la révision d’un acquittement par la cour d’appel?
[24] Le ministère public ne peut interjeter appel de l’acquittement d’une infraction punissable par voie de mise en accusation que « pour tout motif d’appel qui comporte une question de droit seulement » : Code criminel, al. 676(1)a). Ce droit d’appel limité fait intervenir la question épineuse de savoir en quoi consiste une erreur de droit seulement. Le présent pourvoi soulève de nouveau la question de savoir quand les lacunes dont souffrirait l’appréciation de la preuve par le juge du procès constituent une erreur de droit qui permet au ministère public d’interjeter appel d’un acquittement. La jurisprudence fait actuellement état de quatre situations de ce genre. Cette liste n’est peut‑être pas exhaustive, mais il sera utile de réviser brièvement ces quatre situations.
(1) Une conclusion de fait qui n’est appuyée par aucun élément de preuve constitue une erreur de droit — Par contre, pour l’application de cette règle, la conclusion que le juge des faits entretient un doute raisonnable n’est pas une conclusion de fait
[25] Il est reconnu depuis longtemps qu’une conclusion de fait qui n’est appuyée par aucun élément de preuve constitue une erreur de droit :Schuldt c. La Reine, 1985 CanLII 20 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 592, p. 604. Il ne découle toutefois pas de ce principe qu’un acquittement peut être annulé parce qu’il n’est pas appuyé par la preuve. En l’absence de quelque fait ou élément à l’égard duquel le fardeau de preuve incombe à l’accusé, un acquittement est non pas une conclusion de fait, mais une conclusion qu’il n’a pas été satisfait à la norme de persuasion hors de tout doute raisonnable. Qui plus est, comme l’a souligné la Cour dans R. c. Lifchus, 1997 CanLII 319 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 320, au par. 39, un doute raisonnable doit logiquement découler de la preuve ou de l’absence de preuve. Le juge en avise à juste titre les jurés et leur dit qu’ils peuvent accepter une partie ou l’ensemble de la déposition d’un témoin ou la rejeter entièrement : Lifchus, par. 30 et 36; Conseil canadien de la magistrature, Modèles de directives au jury, partie III, Directives finales, 9.4 Évaluation de la preuve (en ligne).
[26] La règle selon laquelle une conclusion de fait qui n’est appuyée par aucun élément de preuve constitue une erreur de droit ne s’applique généralement pas à l’acquittement fondé sur un doute raisonnable. Comme l’a dit le juge Binnie au par. 22 de l’arrêt R. c. Walker, 2008 CSC 34(CanLII), [2008] 2 R.C.S. 245 :
La différence majeure entre la position du ministère public et celle de l’accusé dans un procès criminel tient à ce que, bien sûr, l’accusé jouit de la présomption d’innocence. [. . .] [T]andis que l’accusé ne peut être déclaré coupable que si la poursuite établit chacun des éléments factuels de l’infraction au‑delà de tout doute raisonnable, cette exigence ne s’applique pas à un acquittement qui, contrairement à une condamnation, peut reposer simplement sur l’absence de preuve. [Italiques omis.]
[27] Notre Cour l’a dit très clairement dans R. c. Biniaris, 2000 CSC 15 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 381, par. 33 : « . . . la notion d’“acquittement déraisonnable” est incompatible, en droit, avec la présomption d’innocence et l’obligation qu’a la poursuite de présenter une preuve hors de tout doute raisonnable. »
(2) L’effet juridique des conclusions de fait ou des faits incontestés soulève une question de droit
[28] Il s’agit d’un type de situations énumérées dans l’arrêt R. c. Morin, 1992 CanLII 40 (CSC), [1992] 3 R.C.S. 286, où l’appréciation de la preuve par le juge du procès peut donner lieu à une erreur de droit. Comme l’a dit le juge Sopinka à la p. 294 :
Si un juge du procès conclut à l’existence de tous les faits nécessaires pour tirer une conclusion en droit et que, pour tirer cette conclusion, ces faits peuvent simplement être tenus pour avérés, une cour d’appel peut ne pas partager la conclusion tirée sans empiéter sur la fonction de recherche des faits conférée au juge du procès. Le désaccord porte sur le droit et non sur les faits ni sur les conclusions à tirer de ceux‑ci. Le même raisonnement s’applique si les faits sont acceptés ou incontestés.
En bref, la cour d’appel n’a qu’à appliquer les bons principes juridiques aux conclusions de fait du juge du procès; on peut établir en toute sûreté un lien entre l’erreur du juge, s’il en est, et une question de droit plutôt qu’une question de pondération adéquate de la preuve.
(3) Une appréciation de la preuve fondée sur un mauvais principe juridique constitue une erreur de droit
[29] Il s’agit d’un autre type de situations énoncé dans Morin. Comme l’a dit le juge Sopinka à la p. 295 de cet arrêt, « [l]’omission d’apprécier les éléments de preuve ne saurait constituer une erreur de droit que si elle résulte d’une mauvaise compréhension d’un principe juridique. » La juge Wilson a fait une importante mise en garde au sujet de ce moyen d’intervention en appel dans l’arrêt B. (G.) :
Il sera [. . .] plus difficile dans l’appel d’un acquittement d’établir avec certitude que l’erreur commise par le juge du procès soulevait une question de droit seulement en raison du fardeau de preuve qui incombe au ministère public dans toutes les poursuites criminelles et de l’importance accrue de l’examen critique de tous les éléments de preuve susceptibles de soulever un doute raisonnable. [p. 75]
[30] Le juge Lamer, plus tard Juge en chef, a affirmé dans Schuldt que cette proposition constitue le véritable fondement de l’arrêt de la CourWild c. La Reine, 1970 CanLII 148 (CSC), [1971] R.C.S. 101. Le juge Lamer a mentionné dans Schuldt, à la p. 610, que, sauf dans les rares cas où une disposition législative impose le fardeau de la preuve à l’accusé, on peut parfois dire en droit qu’il y a absence de preuve qui puisse permettre au tribunal de déclarer le prévenu coupable, mais on ne peut jamais dire qu’il y a absence de preuve qui lui permette de l’acquitter, car il y a toujours la présomption d’innocence qui doit être réfutée. La juge Wilson a elle aussi fait sienne cette approche aux p. 69 et 70 de l’arrêt B. (G.), et la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) a également souligné ce point comme suit dans ses motifs concordants, à la p. 79 : « En l’absence d’une [. . .] erreur, la loi prévoit clairement que les doutes sur le caractère raisonnable de l’appréciation de la preuve par le juge du procès [dans le cas d’un appel formé par le ministère public à l’encontre d’un acquittement] ne constituent pas uniquement une question de droit . . . »
(4) Le juge du procès commet une erreur de droit s’il ne tient pas compte de toute la preuve qui se rapporte à la question ultime de la culpabilité ou de l’innocence
[31] C’est le dernier type de situations énumérées par le juge Sopinka dans Morin (p. 295 et 296). Un autre arrêt portant le même intitulé, R. c. Morin, 1988 CanLII 8 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 345, en énonce le principe juridique sous‑jacent. Selon ce principe, c’est une erreur de droit que d’assujettir des éléments de preuve individuels à la norme de preuve hors de tout doute raisonnable; il faut examiner l’ensemble de la preuve : voir, notamment, B. (G.), p. 75-77 et 79. Le juge Sopinka a toutefois servi une importante mise en garde à propos de la manière dont on peut relever l’erreur en question. Il est erroné d’appliquer le principe établi dans Morin chaque fois que le juge du procès ne traite pas de chacun des éléments de preuve ou ne consigne pas chacun d’eux et l’appréciation qu’il en a faite. Comme le juge Sopinka l’a souligné à la p. 296 de l’arrêt Morin (1992) : « Le juge du procès doit examiner tous les éléments de preuve qui se rapportent à la question ultime à trancher, mais à moins que les motifs démontrent que cela n’a pas été fait, l’omission de consigner que cet examen a été fait ne permet pas de conclure qu’une erreur de droit a été commise à cet égard. » C’est le motif sur lequel s’est fondée la Cour d’appel pour intervenir, mais, comme je l’ai déjà dit, une interprétation juste des motifs du juge du procès n’étaie pas ce constat d’erreur de droit.
[32] Le juge du procès n’est pas tenu de mentionner chacun des éléments de preuve qu’il a examinés ou d’expliquer en détail l’appréciation qu’il a faite de chacun d’eux. Comme l’a souligné le juge Binnie dans Walker, « [l]es motifs sont suffisants s’ils répondent aux questions en litige et aux principaux arguments des parties. Leur suffisance doit être mesurée non pas dans l’abstrait, mais d’après la réponse qu’ils apportent aux éléments essentiels du litige » (par. 20). L’arrêt Walker établit aussi clairement que le caractère suffisant des motifs du juge du procès est fonction des moyens limités permettant au ministère public de faire appel d’un acquittement (par. 2 et 22). Comme l’a dit succinctement le juge Binnie, « [i]l faut prendre garde de ne pas s’arrêter aux lacunes apparentes des motifs formulés par le juge du procès lors de l’acquittement pour créer un motif d’“acquittement déraisonnable”, verdict que le tribunal ne peut prononcer en vertu du Code criminel » (par. 2).
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