jeudi 22 octobre 2015

La notion de représentant de l'État

Pomerleau c. R., 2014 QCCS 6787 (CanLII)


[28]        Dans l'affaire Broyles, la Cour suprême s'est penchée sur la notion de représentant de l'État en ces termes :
20.         Le présent pourvoi exige de la Cour qu'elle réponde à deux questions qui n'avaient pas été soulevées dans Hebert.  Dans cette affaire, il ne faisait pas de doute que le policier banalisé était un représentant de l'État.  En l'espèce, Ritter n'était pas un policier, mais un ami de l'appelant à qui les autorités avaient demandé de visiter l'accusé et dont elles ont facilité la visite.  Nous devons donc déterminer si Ritter était un représentant de l'État, aux fins de l'art. 7 .  De plus, compte tenu de l'arrêt Hebert, il n'est pas facile de déterminer si la façon dont Ritter a mené sa conversation avec l'appelant contrevenait ou non aux droits que garantit l'art. 7  à ce dernier.  D'après les faits dans Hebert, il n'était pas nécessaire de définir le concept de l'"obtention de façon irrégulière", ce qu'il faudra faire en l'espèce avant de tirer une conclusion.
[…]
24.        Pour déterminer si l'indicateur est un représentant de l'État, il convient de se concentrer sur l'effet qu'ont eu sur l'entretien ou la communication avec l'accusé les liens existant entre l'indicateur et les autorités.  Ces liens n'ont de pertinence, aux fins de l'art. 7, que s'ils ont des conséquences sur les circonstances dans lesquelles la déclaration a été faite.  Lorsque les liens entre l'indicateur et les autorités se sont établis après l'obtention de la déclaration ou qu'ils n'affectent aucunement l'échange qui a eu lieu entre l'indicateur et l'accusé, ils n'auront pas pour effet de transformer l'indicateur en un représentant de l'État aux fins de l'échange en cause.  Ce n'est que si les liens entre l'indicateur et l'État sont tels que l'échange entre l'indicateur et l'accusé s'est déroulé de façon essentiellement différente, que l'indicateur devra être considéré comme un représentant de l'État aux fins de l'échange.  Par conséquent, je suis d'avis d'adopter le simple critère suivant:  L'échange entre l'accusé et l'indicateur aurait‑il eu lieu, de la même façon et sous la même forme, n'eût été l'intervention de l'État ou de ses représentants?
25.        Si l'on applique ce critère à une conversation entre un policier et un suspect détenu, il est certain que la conversation n'aurait pas eu lieu sans l'intervention de l'agent.  S'il est appliqué à une conversation avec un codétenu qui n'avait pas eu de contact avec les autorités avant la fin de la conversation, il est également certain que les gestes des autorités n'ont eu aucun effet sur la conversation et que le droit de garder le silence garanti par l'art.7 n'a pas été violé.  Par contre, si le codétenu a parlé aux autorités avant d'entreprendre la conversation, il faudra déterminer si la conversation aurait eu lieu ou si elle se serait déroulée de la même façon si le codétenu n'avait pas eu de contacts avec les autorités.
26.        J'aimerais ajouter qu'il est possible que, dans certaines circonstances, les autorités encouragent les indicateurs à soutirer des déclarations sans qu'il existe au préalable de rapports entre les autorités et les indicateurs.  Par exemple, les autorités pourraient encourager l'obtention irrégulière de déclarations incriminantes en faisant savoir qu'elles paieront celui qui obtiendra ce genre de renseignements ou qu'elles diminueront les accusations portées contre l'indicateur.  Il faut alors répondre à la même question:  L'échange entre l'indicateur et l'accusé aurait‑il eu lieu, n'eussent été les encouragements des autorités?
[…]
29.        Par contre, si le suspect ignore qu'il s'adresse à un représentant de l'État, que ce soit un indicateur suborné ou un policier banalisé, il y aura lieu d'appliquer des considérations légèrement différentes.  D'après les motifs de la majorité dans l'arrêt Hebert, précité, il ressort clairement que les déclarations données volontairement par un suspect à un représentant de l'État ne violent pas le droit du suspect de garder le silence.  Le seul fait qu'un représentant de l'État ait pris part à la conversation ne suffit pas pour qu'il y ait violation du droit de garder le silence garanti par l'art. 7il n'y aura violation de ce droit que si le représentant de l'État obtient la déclaration de façon irrégulière.  Comme l'affirmait le juge McLachlin dans Hebert, précité, à la p. 185, le représentant de l'État doit "obtenir de façon active" les renseignements ou la déclaration.  Il faudra se concentrer sur ce qui constitue une "façon irrégulière" d'obtenir des renseignements dans le contexte du droit de garder le silence.
[…]
32.        Le premier ensemble de facteurs porte sur la nature de l'échange entre l'accusé et le représentant de l'État.  Le représentant de l'État a‑t‑il cherché de façon active à obtenir des renseignements de sorte que l'échange puisse être considéré comme un interrogatoire, ou a‑t‑il mené sa part de la conversation comme l'aurait fait l'interlocuteur que l'accusé croyait avoir devant lui?  Il ne faudrait pas s'attarder à la forme de la conversation mais bien à la question de savoir si les parties pertinentes de la conversation équivalaient de fait à un interrogatoire.
33.        Le deuxième ensemble de facteurs concerne la nature des rapports existant entre le représentant de l'État et l'accusé.  Le représentant de l'État a‑t‑il exploité quelque aspect de ces rapports pour arracher la déclaration?  La confiance régnait‑elle entre le représentant de l'État et l'accusé?  L'accusé se sentait‑il vulnérable face au représentant de l'État ou obligé envers lui?  Le représentant de l'État a‑t‑il manipulé l'accusé pour le rendre mentalement plus susceptible de parler?

Aucun commentaire:

Publier un commentaire

Le processus que doit suivre un juge lors de la détermination de la peine face à un accusé non citoyen canadien

R. c. Kabasele, 2023 ONCA 252 Lien vers la décision [ 31 ]        En raison des arts. 36 et 64 de la  Loi sur l’immigration et la protection...