vendredi 26 janvier 2018

La défense d'intoxication volontaire est-elle recevable à l'encontre de l'accusation de menaces?

R. c. Chrétien, 2013 QCCQ 3021 (CanLII)

Lien vers la décision

[18]        Dans l'arrêt R. c. Daley(2007) 2007 CSC 53 (CanLII)3 R.C.S. 523, aux par. 41 et 43, la Cour suprême discute des différents degrés d'intoxication pertinents en droit :
[41]                  Notre jurisprudence établit trois degrés d’intoxication pertinents en droit.  Il y a d’abord ce que nous pourrions appeler l’intoxication « légère ».  C’est l’état où l’alcool provoque un relâchement des inhibitions et du comportement socialement acceptable.  Cet état n’a jamais été reconnu comme facteur ou excuse lorsqu’il s’agit de déterminer si l’accusé avait la mens rea requise : voir Daviault, p. 99.  Vient en deuxième lieu l’intoxication « avancée ».  Il s’agit d’un état d’intoxication tel que l’accusé n’a pas d’intention spécifique, lorsque l’atteinte à sa capacité de prévoir les conséquences de ses actes est suffisante pour susciter un doute raisonnable concernant l’existence de la mens rea requise.  Dans Robinson, la Cour a indiqué qu’il s’agit du degré d’intoxication avec lequel les jurys seront le plus souvent aux prises :
[…]
On ne peut invoquer de défense fondée sur ce degré d’intoxication qu’à l’égard d’infractions d’intention spécifique.
[…]
[43]                  Le troisième et dernier degré d’intoxication pertinent en droit est celui de l’intoxication extrême s’apparentant à l’automatisme, qui exclut tout caractère volontaire et qui, de ce fait, constitue un moyen de défense exonérant totalement de toute responsabilité criminelle.  Comme on l’a vu, toutefois, ce moyen ne peut être invoqué que très rarement et, aux termes de l’art. 33.1 du Code criminel, qu’à l’égard d’infractions non violentes.
[19]        Ainsi, même si l'infraction de menaces en était une d'intention générale, une défense basée sur l'intoxication extrême qui doit être appuyée par une expertise médicale ne pourrait être acceptée en l'espèce compte tenu de l'article 33.1 du Code criminel.
[20]        Reste la défense basée sur un degré d'intoxication avancé qui ne trouve application qu'à l'endroit des crimes d'intention spécifique.
[21]        À cet effet, je me permets de reproduire très humblement certains passages d'une décision que j'ai rendue en 2011, R. c. Pelletier2011 QCCQ 11109 :
[16]                  Par ailleurs, comme la Cour suprême nous l'indique dans l'arrêt R. c. Clemente1994 CanLII 49 (CSC)[1994] 2 R.C.S. 758, deux éléments doivent être réunis pour que l'on puisse conclure à la culpabilité d'un accusé en pareil cas.
[17]                  D'abord, l'accusé doit avoir proféré des menaces de mort ou des lésions corporelles à quelqu'un. Il s'agit de l'actus reus et il sera prouvé si, considérées de façon objective, dans le contexte des paroles prononcées, compte tenu de la personne à qui elles s'adressaient, ces paroles constituent des menaces pour une personne raisonnable.
[18]                  Par la suite, la poursuite a le fardeau de prouver la mens rea de l'infraction et plus précisément, l'intention de faire en sorte que les paroles soient perçues comme une menace de causer la mort ou des lésions corporelles, c'est-à-dire comme visant à intimider ou à être pris au sérieux. Ainsi, l'auteur de la menace doit avoir l'intention de voir ses propos pris au sérieux et visant à susciter un sentiment de crainte chez son destinataire[1]. Il s'agit donc d'un crime d'intention spécifique.
[19]                  La défense d'intoxication volontaire est donc recevable et contrairement à la défense d'intoxication volontaire extrême à l'encontre d'une infraction d'intention générale qui n'est pas soustraite par l'article 33.1 du Code criminel, elle n'impose pas un fardeau de prépondérance appuyé par une expertise médicale. Si elle est vraisemblable, elle doit être examinée et si elle soulève un doute raisonnable que le degré d'ivresse était élevé au point que l'accusé ne possède pas l'intention spécifique requise, un verdict d'acquittement doit être prononcé. L'opinion des policiers et des agents de détention quant au degré d'ivresse de l'accusé est recevable. Dans l'arrêt Graatc. La Reine1982 CanLII 33 (CSC)[1982] 2 R.C.S. 819, la Cour suprême reprenant l'opinion du juge en chef Howland de la Cour d'appel d'Ontario, a jugé recevable le témoignage d'opinion des policiers quant au degré d'ivresse de l'accusé dans une affaire d'ivresse au volant. Ainsi, comme un tel témoignage d'opinion est recevable afin d'incriminer un accusé, il devrait aussi être permis pour le disculper.
[20]                  Dans l'arrêt Dyckow c. La ReineJ.E. 96-16, l'infraction reprochée à l'accusé en était une de menaces et notre Cour d'appel, se basant sur l'arrêt Clemente, précité, a renversé une décision d'instance et elle a acquitté l'accusé en concluant que la preuve de son état d'ébriété soulevait un doute raisonnable sur l'élément essentiel de la mens rea de l'infraction.
[22]        Dans ce même arrêt, au par. 10, la Cour d'appel discute de l'intention requise à l'al. 264.1(1)a) du Code criminel :
CONSIDÉRANT que, depuis le prononcé du jugement entrepris, la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Clemente c. La Reine1994 CanLII 49 (CSC)[1994] 2 R.C.S. 758, a notamment décidé que l'intention requise à l'al. 264.1(1)a) du Code criminel peut être formulée de deux façons :
Aux termes de la disposition, il doit s'agir d'une menace de mort ou de blessures graves. Or, il est inconcevable qu'une personne qui proférerait des menaces de mort ou de blessures graves avec l'intention qu'elles soient prises au sérieux n'ait pas également l'intention d'intimider ou de susciter la crainte. En d'autres termes, une menace sérieuse de tuer ou d'infliger des blessures graves a dû être proférée avec l'intention d'intimider ou de susciter la crainte. Inversement, une menace proférée avec l'intention d'intimider ou de susciter la crainte a dû l'être avec l'intention qu'elle soit prise au sérieux. Ces deux formulations de la mens rea expriment l'intention de menacer et sont conformes au but visé par la disposition.
(p. 761)
Et plus loin :
Par conséquent, la question de savoir si l'accusé avait l'intention d'intimider ou si les termes qu'i la [sic] employés visaient à être pris au sérieux sera habituellement tranchée, en l'absence d'explication de la part de l'accusé, en fonction des mots utilisés, du contexte dans lequel ils s'inscrivent et de la personne à qui ils étaient destinés.
(p. 762)
[23]        En l'espèce, il y a absence d'explication de l'accusé.
[24]        L'opinion du plaignant quant au degré d'intoxication du défendeur est recevable. Selon lui, le défendeur est en état d'ébriété plus qu'avancé. Il est complètement saoul, incohérent et littéralement comateux. Il était tellement intoxiqué qu'il ne devait pas comprendre grand-chose, c'est-à-dire faire le discernement de ce qu'il lui disait.
[25]        Même si pour conclure à la culpabilité à une accusation de menaces la preuve n'est pas requise que la personne visée a éprouvé de la crainte, il s'agit d'un élément contextuel et la preuve n'est pas concluante à cet effet. Il est évident pour le plaignant que l'état d'intoxication dans lequel se trouve le défendeur lui a fait perdre tout discernement et ce n'est que le lendemain qu'il décide de porter plainte.
CONCLUSION
[26]        La défense d'intoxication volontaire est recevable à l'encontre du chef d'accusation de menaces. Je suis convaincu que l'état d'intoxication du défendeur a eu pour effet de vicier chez lui la prévision des conséquences des menaces proférées d'une manière suffisante pour susciter un doute raisonnable. J'ai un doute raisonnable que le défendeur avait l'intention spécifique ou la mens rea requise pour commettre l'infraction reprochée. Il en est donc acquitté.

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