Lien vers la décision
[24] Dans l’arrêt Blank c. Canada (Ministre de la Justice), la Cour suprême examine la portée du privilège relatif au litige que les tribunaux américains désignent comme le attorney work product.
[25] Selon le juge Fish, le privilège relatif au litige et le privilège de la consultation juridique servent une cause commune : l’administration sûre et efficace de la justice conformément au droit. En outre, ils sont complémentaires et n’entrent pas en concurrence l’un avec l’autre. Le privilège relatif au litige crée une « zone de confidentialité » à l’occasion ou en prévision d’un litige. Le privilège relatif au litige prend naissance et produit ses effets même en l’absence d’une relation avocat-client et il s’applique sans distinction à toutes les parties, qu’elles soient ou non représentées par un avocat. La partie qui se défend seule a autant besoin d’une « zone de confidentialité » qu’une partie représentée par avocat; elle devrait donc y avoir droit.
[26] Dans l’arrêt R. c. Davey, la Cour suprême examine la question de savoir si les opinions formulées par les policiers au sujet de candidats jurés doivent être communiquées à l’accusé.
[27] La juge Karakatsanis résume ainsi l’argumentation présentée par la poursuite :
[44] L’intimée répond que l’obligation de communication ne s’est jamais appliquée aux opinions et aux connaissances générales des poursuivants et de la police (à l’exception des opinions pouvant constituer des éléments de preuve). De simples opinions exprimées par des personnes liées à la poursuite que la Couronne consulte en vue du procès, relativement à des décisions de nature tactique ou discrétionnaire, ne sont pas assujetties à l’obligation de communication. Le seul fait que ces opinions pourraient être utiles à la défense ne fait pas naître une obligation de communication. L’intimée assimile les annotations en cause aux analyses, opinions et stratégies protégées par le privilège relatif au litige ou le privilège relatif au produit du travail de l’avocat.
[28] Ainsi, comme le fait voir ce passage, le privilège relatif au litige protège les analyses, opinions et stratégies de la poursuite et des corps policiers.
[29] Les auteurs de l’ouvrage The Law of Evidence, Fourth Edition, décrivent la règle en ces termes :
§14.198 Litigation privilege applies to the work product of the Crown in a criminal case and includes the work produced by the police for the preparation of the trial. It would not include similar work produced by the police during the investigation stages leading up to the prosecution of the accused, which would be subject to disclosure obligations.
[30] Les principes formulés dans l’arrêt R. c. Davey sont utiles à l’identification des principes qui devraient recevoir application en l’espèce.
[31] Voici comment la juge Karakatsanis formule ses observations :
[46] Il me semble que des impressions générales, des faits possédant un caractère notoire dans la communauté ou relevant d’une connaissance personnelle, des rumeurs ou des intuitions n’ont pas à être communiqués : voir Yumnu, par. 64. Dans la mesure où l’information à la base de tels renseignements peut être aisément trouvée par des membres de la communauté, elle n’est pas liée au rôle que joue la poursuite en qualité d’agent de l’État ou à l’accès disproportionné de la Couronne à certaines ressources, et cette dernière n’est pas tenue de communiquer de l’information qu’il est facile d’obtenir autrement. La même logique s’applique aux renseignements concernant un candidat juré qui sont aisément accessibles sur Internet. De plus, les sentiments subjectifs, les intuitions ou les soupçons des membres de l’équipe chargée des poursuites au sujet de candidats jurés ne suscitent pas « la crainte prépondérante que la non-divulgation n’empêche l’accusé de présenter une défense pleine et entière » : Stinchcombe, p. 336. Par exemple, la Couronne n’aurait donc pas à communiquer des observations concernant le comportement d’une personne en salle d’audience ou encore des opinions basées sur l’expérience générale, le jugement ou des renseignements publics.
[47] Lorsque la Couronne obtient des renseignements susceptibles d’avoir une incidence sur le processus de sélection du jury, elle doit les communiquer à la défense. Comme l’a reconnu notre Cour dans McNeil, par. 24 : « . . . le ministère public ne peut justifier la non-communication de renseignements pertinents en faisant valoir que le service de police chargé de l’enquête a omis de les lui communiquer ». Bien que cette déclaration ait été faite dans le contexte de l’obligation de la police de communiquer des renseignements pertinents découverts durant une enquête sur un crime, elle s’applique tout autant dans le contexte des recommandations que formule un policier à propos de la composition d’un jury sur la foi d’informations recueillies dans le cours d’activités d’application de la loi. La Couronne doit s’enquérir du fondement des opinions qui lui sont fournies et déterminer si ces opinions reposent sur de l’information raisonnablement exacte et émanant de sources fiables.
[48] Cela ne veut pas dire que la Couronne a l’obligation de communiquer les opinions exprimées par les policiers en plus de l’information sur laquelle ces opinions sont fondées. Tant que l’information à la base des opinions est communiquée, la défense a alors accès aux éléments sur lesquels repose l’opinion et elle pourra en tirer ses propres inférences en vue de l’utilisation de ses récusations péremptoires.
[49] Toutefois, lorsqu’une policière possède des renseignements pertinents pour le processus de sélection du jury — qu’elle les ait obtenus dans son rôle de policière ou en tant que membre de la communauté concernée —, elle doit les communiquer. Lorsque des policiers font partie de l’équipe chargée de la poursuite, ils ont eux aussi l’obligation d’appuyer l’administration de la justice en communiquant de tels renseignements.
[Le soulignement est ajouté]
[32] Les accusés soutiennent que les éléments de preuve recherchés sont raisonnablement utiles pour : 1) réfuter la preuve de la poursuite; 2) procéder à une contre-expertise de la traduction des communications privées que la poursuite souhaite présenter en preuve; 3) attaquer la crédibilité du policier qui a traduit ces communications du créole au français; 4) attaquer la force probante de la traduction préparée par ce policier.
[33] En matière de communication de la preuve, l’arrêt Stinchcombe rejette l’adoption d’une approche restrictive, car la poursuite doit pêcher par inclusion. Bien que l'obligation de la poursuite ne soit pas absolue, elle admet peu d’exceptions. Cette approche s'applique à plusieurs égards : la définition de la pertinence, la portée de la notion « des fruits de l’enquête », les autres renseignements qui se rapportent manifestement à la poursuite engagée contre l’accusé, la détermination de la preuve sous le contrôle ou en possession de la poursuite, la réduction de l’écart entre la communication de la preuve et la preuve en possession des tiers (bridging the gap between first party disclosure and third party production) et l’application des privilèges.
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