mardi 23 octobre 2018

La requête Nasogaluak pour réduire la peine que la Cour aurait autrement imposée pour cause de violation des droits constitutionnels d’un délinquant

Foisy c. R., 2017 QCCA 1721 (CanLII)

Lien vers la décision

[19]        S’appuyant notamment sur l’arrêt R. c. Nasogaluak, notre Cour a récemment rappelé que « les articles 718 et s. C.cr. permettent au tribunal de tenir compte de certains types de violation des droits constitutionnels d’un délinquant, à titre de facteurs atténuants, et de réduire la peine qu’il aurait autrement imposée ». En effet, les principes de détermination de la peine doivent être interprétés et appliqués en respectant la Constitution. « Naturellement, écrit le juge LeBel dans Nasogaluak, plus l’atteinte est grave, plus il est probable que le tribunal y attache de l’importance lors de la détermination de la peine appropriée ».

[29]        En définitive, même à supposer que les agents de l’état aient violé les droits du requérant lors de leur enquête – ce qui aurait alors pu être considéré comme un facteur atténuant, – l’erreur de la juge à cet égard ne peut avoir eu un effet déterminant sur la peine imposée. La violation du droit de l’appelant n’est pas suffisamment grave pour avoir un impact déterminant sur la peine imposée.
[30]        À sa face même, la conduite des agents n’était pas suffisamment répréhensible – rien ne démontre de la mauvaise foi ou un abus volontaire de leur part – pour constituer un facteur atténuant ayant un impact déterminant sur la peine du requérant, et encore moins pour justifier l’octroi d’une absolution. Il est difficile, dans les circonstances, de voir un comportement répréhensible des forces policières comparable à la violence qui, dans Nasogaluak, a justifié d’y voir un facteur atténuant dans la détermination de la peine. Rappelons que dans Lacasse, la Cour suprême enseigne qu’une erreur de droit ou une erreur de principe ne permet pas automatiquement de mettre de côté l’exercice du pouvoir discrétionnaire sur lequel la détermination de la peine repose. Partant de la prémisse que la juge s’est trompée en concluant à l’absence de violation au droit à la vie privée du requérant, ce dernier ne nous convainc pas que, à titre de facteur atténuant incorrectement écarté, cette erreur ait pu avoir un réel impact sur la détermination de la peine en l’espèce, la peine infligée se situant déjà en deçà du spectre habituel pour ce genre d’infractions.
[31]        En définitive, même si la juge avait reconnu la violation de l’article 8 de la Charte, l’absolution sollicitée par l’appelant n’aurait tout de même pas été accordée. L’intérêt public s’y oppose en raison, notamment, de l’importance de dénoncer le crime.

mercredi 3 octobre 2018

L'examen convenable en appel en regard de la question de l’absence de motifs ou leur insuffisance

R. c. Sheppard, [2002] 1 RCS 869, 2002 CSC 26 (CanLII)

Lien vers la décision

46                              J’estime que ces affaires montrent clairement que l’obligation de donner des motifs, lorsqu’elle existe, découle des circonstances d’une affaire donnée.  Lorsque la raison pour laquelle un accusé a été déclaré coupable ou acquitté ressort clairement du dossier, et que l’absence de motifs ou leur insuffisance ne constitue pas un obstacle important à l’exercice du droit d’appel, le tribunal d’appel n’interviendra pas.  Par contre, lorsque le raisonnement qu’a suivi le juge du procès pour démêler des éléments de preuve embrouillés ou litigieux n’est pas du tout évident ou lorsque des questions de droit épineuses requièrent un examen, mais que le juge du procès les a contournées sans explication, ou encore lorsque (comme en l’espèce) on peut donner de la décision du juge du procès des explications contradictoires dont au moins certaines constitueraient manifestement une erreur en justifiant l’annulation, le tribunal d’appel peut, dans certains cas, s’estimer incapable de donner effet au droit d’appel prévu par la loi.  Alors, l’une ou l’autre des parties pourra douter de la justesse du résultat, mais l’absence de motifs ou leur insuffisance l’aura à tort privée de la possibilité d’obtenir un examen convenable en appel du verdict prononcé en première instance.  En pareil cas, même si le dossier révèle des éléments de preuve qui, d’une certaine manière, pourraient appuyer un verdict raisonnable, les lacunes des motifs peuvent équivaloir à une erreur de droit et fonder l’intervention d’un tribunal d’appel.  Il appartiendra à la cour d’appel de décider si, dans un cas donné, les lacunes des motifs l’empêchent de s’acquitter convenablement de ses fonctions en appel.

L'horizon temporel pour exécuter un mandat / le choix du mandat général

R. v. Jodoin, 2018 ONCA 638 (CanLII)

Lien vers la décision

[11]      A general warrant is to be “used sparingly as a warrant of limited resort” so that it does not become an “easy back door for other techniques that have more demanding pre-authorization requirements”: Telus, at para. 56 (citation omitted).
[12]      We agree that a warrant to be executed in the future upon the occurrence of a specified contingency is not a procedure contemplated by the conventional search warrant. While a conventional search warrant could have been obtained here, on the basis that there were reasonable grounds to believe that prohibited drugs were likely to be found in the premises, this procedure might not have linked the drugs to the appellant. As noted above, s. 11 of the CDSA provides that where there are reasonable grounds to believe there has been a contravention of the law relating to controlled substances, and that a controlled substance is in a place, a warrant may issue to search that place and seize the substance.
[13]      As noted in R. v. Brand2008 BCCA 94 (CanLII)229 C.C.C. (3d) 443, at paras. 50-51:
[T]here is nothing in the language of s. 487.01(1)(c) that precludes a peace officer from obtaining a general warrant solely because he or she has sufficient information to obtain a search warrant. Resort to a search warrant is only precluded when judicial approval for the proposed “technique, procedure or device or the doing of the thing” is available under some other federal statutory provision.
That the police are in a position to obtain a search warrant does not prevent them for continuing to investigate using all other lawful means at their disposal. Having regard to the requirements of s. 487.01(1)(a), I expect that in many cases the information the police present in support of an application for a general warrant would also support an application for a search warrant. I see nothing wrong in utilizing a general warrant to obtain information with a view to gathering additional and possibly better evidence than that which could be seized immediately through the execution of a search warrant.
[14]      In Telus, the Supreme Court of Canada noted, at para. 71, that where police are confronted with the choice between a series of conventional warrants or an application for a general warrant, if they apply for a general warrant they must meet the stricter requirements of s. 487.01, which can only be issued by a judge, not a justice of the peace, and they must establish that it is in the best interests of the administration of justice to issue the general warrant.
[15]      The court noted further, at para. 72:
In other words, by dint of its more stringent requirements, the general warrant contains a disincentive to its everyday use. In Ha and Brand, where the only alternative was a series of conventional warrants, reliance on a general warrant did not provide the police with an easy way out from the rigours of a more demanding legislative authorization – the general warrant was the more demanding legislative authorization. Thus, in these cases, it is harder to see how the general warrant provision might be misused.
[16]      Unlike in Telus, here, there is no question of police evading stricter statutory requirements by seeking a general rather than a conventional warrant.
[17]      It would have been much easier for police to ask for a search warrant from a locally situated justice of the peace, rather than travel to Leamington, Ontario as they did in this case, to ask a judge for a general warrant and attempt to establish the more stringent requirements.
[18]      There is no statutory time limit for the execution of conventional search warrants, although it appears that the affiant here may have believed otherwise. When investigating drug related offences, the existence of reasonable grounds to believe that drugs are present immediately does not necessarily mean they will be present days later. Sometimes, a larger window for execution of a search warrant will be appropriate.
[19]      We agree that prospective execution of a search, based on a future contingency, together with the simultaneous execution of related searches are not contemplated by a conventional search warrant. The general warrant was properly issued in this case, where the investigative technique proposed was not simply to seize the drugs but to link them to the accused and where there is no issue of evasion of a more stringent statutory regime.
[20]      As indicated earlier, there was an ample basis for the issuing judge to conclude that the statutory elements required to obtain a general warrant were satisfied.

La compétence inhérente d'un tribunal est nécessaire à l’exercice de sa fonction judiciaire ainsi qu’à l’exécution de son mandat d’administrer la justice

R. c. Cunningham, [2010] 1 RCS 331, 2010 CSC 10 (CanLII)

Lien vers la décision

[16] La Cour d’appel du Québec a elle aussi statué qu’une fois fixée la date de l’audience, le tribunal peut rejeter la requête pour cesser d’occuper (Bernier c. 9006‑1474 Québec inc.2001 CanLII 39973 (QC CA)[2001] J.Q. no 2631 (QL); voir également l’art. 249 du Code de procédure civile du Québec, L.R.Q., ch. C‑25).  Les cours d’appel de la Saskatchewan et de l’Ontario reconnaissent elles aussi l’obligation de l’avocat d’obtenir du tribunal l’autorisation de cesser d’occuper (Mireau c. Canada (1995), 1995 CanLII 3912 (SK CA)128 Sask. R. 142par. 4R. c. Brundia2007 ONCA 725 (CanLII)230 O.A.C. 29, par. 44; R. c. Peterman (2004), 2004 CanLII 39041 (ON CA)70 O.R. (3d) 481, par. 38).  Des tribunaux de première instance du Nouveau‑Brunswick et de Terre‑Neuve concluent eux aussi à l’existence de cette obligation (R. c. Golding2007 NBBR 320 (CanLII)325 R.N.‑B. (2e) 92, par. 18 et 20; Dooling c. Banfield (1978), 22 Nfld. & P.E.I.R. 413 (C. dist. T.‑N.), par. 27).

[17] Pour les motifs exposés ci‑après, j’estime qu’un tribunal peut refuser l’autorisation de cesser d’occuper demandée par l’avocat de la défense pour cause de non‑paiement de ses honoraires.

B.      Pouvoir du tribunal


[18] Une cour supérieure a la compétence inhérente nécessaire à l’exercice de sa fonction judiciaire ainsi qu’à l’exécution de son mandat d’administrer la justice (voir I. H. Jacob, « The Inherent Jurisdiction of the Court » (1970), 23 Curr. Legal Probs. 23, p. 27‑28), ce qui comprend le pouvoir de décider du déroulement de l’instance, de prévenir l’abus de procédure et de veiller au bon fonctionnement des rouages de la cour.  Comme l’avocat joue un rôle central dans l’administration de la justice, la cour a un certain pouvoir sur lui lorsqu’il s’agit de faire respecter sa procédure.  Dans l’arrêtSuccession MacDonald c. Martin, 1990 CanLII 32 (CSC)[1990] 3 R.C.S. 1235, notre Cour confirme que la compétence inhérente englobe le pouvoir de déclarer un avocat inhabile à occuper afin d’assurer un procès équitable à l’accusé :

Les tribunaux, qui ont le pouvoir inhérent de priver un avocat du droit d’occuper pour une partie en cas de conflit d’intérêts, ne sont pas tenus d’appliquer un code de déontologie.  Leur compétence repose sur le fait que les avocats sont des auxiliaires de la justice et que le comportement de ceux‑ci à l’occasion de procédures judiciaires, dans la mesure où il peut influer sur l’administration de la justice, est soumis à leur pouvoir de surveillance.  [p. 1245]

Il s’ensuivrait donc que si, dans l’exercice de sa compétence inhérente, le tribunal peut priver un avocat du droit d’occuper, il peut inversement refuser de l’autoriser à cesser d’occuper.

[19] De même, dans le cas d’un tribunal d’origine législative, le pouvoir de faire respecter sa procédure et le droit de regard sur la manière dont les avocats exercent leurs fonctions s’infèrent nécessairement du pouvoir de constituer une cour de justice.  Notre Cour a confirmé que les pouvoirs d’un tribunal d’origine législative peuvent être déterminés grâce à une « doctrine de la compétence par déduction nécessaire » :

. . . sont compris dans les pouvoirs conférés par la loi habilitante non seulement ceux qui y sont expressément énoncés, mais aussi, par déduction, tous ceux qui sont de fait nécessaires à la réalisation de l’objectif du régime législatif . . .

(ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and UtilitiesBoard)2006 CSC 4 (CanLII)[2006] 1 R.C.S. 140, par. 51)


Même si, dans cet arrêt, le juge Bastarache renvoie à un tribunal administratif, la même règle de la compétence par déduction nécessaire vaut pour un tribunal d’origine législative.

[20] La demande d’autorisation de cesser d’occuper ou celle visant à priver l’avocat du droit d’occuper, qu’elle soit présentée en raison, par exemple, du non‑paiement des honoraires ou d’un conflit d’intérêts, ressortissent au pouvoir dont dispose par déduction nécessaire le tribunal pour décider du déroulement de l’instance.