samedi 2 décembre 2023

Le devoir de conservation incombant à l'État en lien avec l'obligation de communication de la preuve

R. c. Delisle, 2023 QCCA 1096

Lien vers la décision


[104]   Par ailleurs, la Cour suprême n’a pas manqué de souligner que « [l]e droit à la divulgation serait vide de sens si le ministère public n’était pas tenu de conserver des éléments de preuve qu’on sait pertinents »[53].

[105]   Et bien entendu, puisque rien n’est parfait, il arrivera que des éléments, qui par ailleurs doivent être communiqués, se perdent[54]. La perfection n’est pas exigée. La perte d’un élément de preuve peut s’expliquer de nombreuses façons, dont la destruction programmée, l’erreur ou la négligence inacceptable de l’État. Un défaut de divulguer une preuve qui doit l’être contrevient à l’article 7 de la Charte et peut même, dans certains cas, constituer un abus de procédure.

[106]   L’abus de procédure découle « d’une conduite d’une autorité gouvernementale qui viole les principes fondamentaux qui soustendent le sens du francjeu et de la décence de la société »[55]. La destruction d’un élément de preuve avec l’intention de contrecarrer l’obligation de communication de la preuve tombe certainement dans ce cadre. Toutefois, « d’autres dérogations graves à l’obligation qu’a le ministère public de conserver les éléments qui doivent être produits peuvent également constituer un abus de procédure, même s’il n’est pas établi que des éléments de preuve ont été détruits de propos délibéré pour faire obstacle à leur divulgation »[56] et, ajoute la Cour, la négligence inacceptable dans la conservation de la preuve peut parfois suffire.

[107]   Détruire un élément recueilli pendant l’enquête sans s’interroger sur l’obligation constitutionnelle d’une communication subséquente est un abus de procédure et contrevient au droit à une défense pleine et entière[57].

[108]   Par définition, le devoir de communication de la preuve étant très large, il vise des renseignements qui ne sont pas nécessairement déterminants dans un litige[58]. Lorsqu’il y a eu la perte ou la destruction de la preuve, la partie qui s’en plaint doit démontrer la possibilité raisonnable d’une atteinte à son droit à une défense pleine et entière[59].

[109]   L’État peut donc affirmer que la preuve perdue est manifestement non pertinente ou encore offrir une explication afin de convaincre un juge que la perte de cette preuve n’entraîne aucune violation à l’obligation de la divulguer ou ne constitue pas un abus de procédure.

[110]   Par ailleurs, même en l’absence d’un abus de procédure, un accusé peut néanmoins établir, dans une situation extraordinaire, que la disparition d’un élément de preuve à ce point important cause un préjudice concret à son droit de présenter une défense pleine et entière[60].

[111]   Si la preuve perdue devait être divulguée, le ministère public a le fardeau de démontrer que l’État a pris les mesures raisonnables qui s’imposaient pour conserver la preuve. À cet égard, on doit tenir compte de la pertinence de l’élément ou du renseignement perdu au moment de sa disparition. L’État n’a pas l’obligation de tout conserver dans l’attente que cela devienne un jour pertinent pour un dossier donné[61]. On comprend aisément que plus l’élément est pertinent, « plus le degré de diligence attendu [de l’État] pour conserver cette preuve est élevé»[62].

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