samedi 12 octobre 2024

Les policiers doivent faciliter à la première occasion raisonnable l’accès à un avocat et cette appréciation dépend du contexte propre à l’affaire

Drolet c. R., 2021 QCCA 1421 

Lien vers la décision


[31]      L’alinéa 10b) de la Charte garantit le droit d’une personne détenue ou arrêtée d’être assistée par un avocat :

10 Chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention :

[…]

b) d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit;

[32]      Cet alinéa impose aux policiers qui détiennent ou arrêtent une personne les obligations suivantes[11] :

(1)  informer la personne détenue de son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et de l’existence de l’aide juridique et d’avocats de garde;

(2)  si la personne détenue a indiqué qu’elle voulait exercer ce droit, lui donner la possibilité raisonnable de le faire (sauf en cas d’urgence ou de danger);

(3)  s’abstenir de tenter de soutirer des éléments de preuve à la personne détenue jusqu’à ce qu’elle ait eu cette possibilité raisonnable (encore une fois, sauf en cas d’urgence ou de danger).

[33]      La première obligation a été décrite comme un volet d’information. La volonté exprimée par la personne détenue d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat déclenche les deuxième et troisième obligations, qui constituent un second volet de mise en application par les policiers. Essentiellement, ceux-ci doivent donner à la personne détenue ou arrêtée une possibilité d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat à la première occasion raisonnable et ils doivent « “surseoir” à toute mesure ayant pour objet de lui soutirer des éléments de preuve de nature incriminante »[12] tant qu’elle n’aura pas eu cette possibilité raisonnable[13]. Ces obligations sont toutefois subordonnées à certaines exceptions sur lesquelles je reviendrai.

[34]      L’inobservation de l’une ou de l’autre de ces obligations entraîne une violation de la Charte[14].

a)   La première occasion raisonnable

[38]      En principe, les policiers doivent faciliter à la première occasion raisonnable l’accès à un avocat. Ils ont en effet l’obligation d’agir de manière proactive « pour que le droit à un avocat se concrétise en accès à un avocat. »[15] La jurisprudence reconnaît des exceptions en cas d’une règle de droit[16], d’une menace à la sécurité des policiers ou du public[17], ou d’un risque imminent que des éléments de preuve soient détruits ou perdus ou qu’une autre opération policière en cours puisse être compromise[18]. De plus, ces obligations sont subordonnées à la diligence raisonnable de la personne dans l’exercice de son droit[19].

[39]      L’appréciation de la possibilité raisonnable donnée par les policiers à l’appelant d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat et de sa diligence raisonnable dépend du contexte propre à l’affaire[20]. Elle nécessite du juge qu’il tienne compte de l’ensemble des circonstances et qu’il les apprécie globalement[21]. Ces circonstances comprennent non seulement le comportement des policiers, mais aussi celui de l’appelant[22]. Dans cette analyse qui lui revient, le juge des faits se doit d’appliquer ce principe directeur, à défaut de commettre une erreur de droit[23].

[40]      La présence d’un téléphone cellulaire est une des circonstances dont le juge doit tenir compte. Toutefois, la présence d’un téléphone cellulaire ne signifie pas que les policiers devraient permettre son utilisation pour appeler un avocat. Comme le souligne notre collègue François Doyon dans R. c. Tremblay[24] :

[50]   Je conviens que la présence d’un cellulaire ne constitue pas, en soi, une circonstance forçant les policiers à en permettre l’utilisation pour communiquer avec un avocat. Cette technologie ne répond pas dans tous les cas à la question de savoir quand survient la « première occasion raisonnable ». Elle demeure néanmoins une circonstance dont il faut tenir compte en répondant à cette question. 

[49]      Le fait qu’il existe une pratique dans ce genre de dossier d’attendre l’arrivée au poste avant de faciliter l’accès à un avocat, et de ne permettre un appel du lieu de l’arrestation que s’il y a un long délai d’attente pour une remorqueuse, est troublant. Les policiers doivent, dans chaque cas, faciliter l’accès à un avocat à la première occasion raisonnable, ce qui dépend des circonstances propres à chaque situation. Ils doivent envisager la possibilité de permettre à la personne détenue d’utiliser son téléphone cellulaire sur le lieu de l’arrestation et considérer s’il y a de bonnes raisons pour ne pas le permettre, plutôt que de reporter systématiquement l’accès à un avocat à l’arrivée au poste[27]. Ni le juge de première instance ni le juge d’appel ne traitent de cette question. Cela constitue à mon avis une erreur de droit révisable.

[50]      Le premier juge invoque plutôt des questions de confidentialité et de sécurité pour justifier la décision de reporter au poste l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat. Toutefois, sa conclusion concernant l’absence de confidentialité lors d’un appel fait à partir d’un téléphone cellulaire dans la voiture de police n’a aucune assise dans la preuve au dossier « et, par conséquent, aucune base permettant d’apprécier le caractère raisonnable de l’omission de faciliter cet accès. »[28] Il s’agit d’une erreur de droit. De plus, l’absence de confidentialité ne me semble pas un motif suffisant pour ne pas offrir à l’appelant la possibilité de faire un appel à un avocat. En principe, la confidentialité appartient à l’appelant qui pouvait préférer avoir une conversation qui n’est pas parfaitement confidentielle, à ne pas avoir le bénéfice des conseils d’un avocat. Il aurait fallu au moins lui offrir la possibilité.

[51]      La question de l’enjeu sécuritaire est plus sérieuse. L’appelant est menotté et assis sur le siège arrière de la voiture de police pour des raisons de sécurité aux dires des policiers – l’agent Morneau dit craindre que l’appelant devienne violent. Le premier juge semble accepter son témoignage. Il s’agit d’une question de fait sur laquelle nous ne pouvons revenir.

[53]      Les policiers doivent, en principe, « “surseoir” à toute mesure ayant pour objet de […] soutirer des éléments de preuve de nature incriminante »[29] à une personne détenue ou arrêtée tant qu’elle n’aura pas eu la possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat[30].

[59]      L’alinéa 10b) de la Charte impose l’obligation au policier de ne pas forcer la personne détenue à prendre une telle décision lourde de conséquences légales jusqu'à ce qu’elle ait eu une possibilité raisonnable d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat. Les seules exceptions sont l’urgence, des circonstances dangereuses ou un manque de diligence de la part de la personne détenue dans l’exercice de ce droit.

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