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vendredi 13 mai 2011

Le droit relatif aux travaux communautaires

R. c. Cherchar, 2011 QCCQ 4143 (CanLII)

[4] La possibilité d'imposer des travaux communautaires est prévue à l'article 732.1(3)f) du Code criminel, où le Parlement énumère les conditions facultatives d'une ordonnance de probation. Donc, une telle condition est prévue explicitement comme étant une condition dans une ordonnance de probation. Elle serait appropriée dans un cas où les objectifs de dénonciation et dissuasion ne demande pas l'isolement du délinquant. Je conviens entièrement avec le juge Bisson dans Lafranchise. Pourtant, dire que les travaux communautaires peuvent servir comme alternative à l'emprisonnement ne veut pas dire forcément qu'ils sont toujours l'équivalent à l'emprisonnement ferme. Ils représentent une alternative à l'emprisonnement dans le sens qu'une prestation constructive par le délinquant répond adéquatement aux objectifs de dénonciation et de dissuasion sans son isolement. Les travaux communautaires visent à sensibiliser d'une façon constructive la responsabilité du délinquant. Dans ce sens cette option est entièrement compatible avec l'injonction du Parlement de ne pas ordonner l'emprisonnement à moins que ça soit nécessaire. Les conditions imposées dans le cadre d'une ordonnance de probation doivent être raisonnables dans les circonstances en l'espèce et elles doivent viser à la fois la protection de la société et la réinsertion sociale du délinquant. Des travaux communautaires répondent à cette exigence.

mardi 10 mai 2011

L'enquête VS le voir-dire

Erven c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 926

Je ne puis admettre qu’un voir dire soit superflu (ou nécessaire seulement lorsque des circonstances particulières jettent un doute sur le caractère volontaire) lorsqu’il s’agit d’une déclaration faite à la police pendant l’enquête sur un crime, plutôt qu’après la mise en détention ou l’inculpation de l’accusé, ou après qu’on a décidé de l’inculper, voir R. v. Rushton; R. v. Sweezey; R. v. Spencer, précité; R. v. Armstrong. De telles déclarations de l’accusé ne sont en aucune façon exemptées de la règle, savoir que la preuve de leur caractère volontaire doit être faite avant qu’on puisse les admettre. Je me rallie à ce que disait le juge Martin dans R. v. Sweezey, à la p. 413:

[TRADUCTION] Je conclus que la règle concernant le caractère volontaire ne se limite pas aux déclarations faites par une personne en détention, inculpée ou sur le point de l’être. Je suis donc d’avis qu’il faut établir le caractère volontaire d’une déclaration faite à un policier pendant l’enquête sur une infraction possible avant que cette déclaration soit recevable au procès de la personne qui l’a faite. L’expression «déclaration d’un accusé» (uti­lisée par lord Sumner dans l’arrêt Ibrahim v. The King, [1914] A.C. 599) vise, à mon avis, toute déclaration faite par une personne qui est accusée dans une affaire criminelle lorsqu’on veut produire ladite déclaration et non pas les seules déclarations faites par cette personne après sa mise en accusation.

Comme le disait le juge Idington dans un arrêt de cette Cour, Prosko c. Le Roi, précité, à la p. 234:

[TRADUCTION] Il faut se garder de l’influence exercée par les policiers en service et non des circonstances accessoires de l’arrestation et des conséquences qu’elle peut avoir sur l’esprit de l’accusé.

La règle concernant le caractère volontaire doit recevoir une application large et générale. Elle s’applique tout autant aux déclarations faites pen­dant l’enquête qu’aux déclarations faites pendant la détention de l’accusé. La procédure ne diffère pas selon le moment auquel la déclaration est faite. L’application d’une telle distinction serait fertile en difficultés. Le critère est-il subjectif ou objec­tif? Comment délimiter l’enquête, le repérage, la détention et l’arrestation lorsqu’ils constituent une succession rapide d’événements? Des considéra­tions d’ordre pratique justifient également le rejet de cette distinction. Les possibilités d’abus par le moyen d’arrestations tardives sont évidentes. Je ferai remarquer que même les arrêts qui appuient une règle spéciale pour les déclarations faites lors de l’enquête exigent généralement un voir dire lorsque l’avocat conteste expressément l’admissibi­lité des déclarations, comme il l’a fait en l’espèce: voir R. v. Sweezey, précité, à la p. 417.

lundi 9 mai 2011

La preuve d'identification

Ragab c. R., 2011 QCCS 2000 (CanLII)

[32] Dans l'arrêt R. c. Beaulieu, 2007 QCCA 402 (CanLII), 2007 QCCA 402, le juge Chamberland rappelait encore la fragilité de la preuve d'identification fondée sur des témoignages:

[42] Les erreurs d'identification visuelle sont possibles; le témoin le mieux intentionné et le plus honnête peut se tromper quand il s'agit pour lui d'identifier un agresseur dont il n'a souvent eu que quelques secondes pour remarquer les traits du visage, souvent dans un moment de grande tension. Les tribunaux canadiens reconnaissent depuis longtemps la fragilité inhérente de toute preuve de reconnaissance visuelle par les témoins.

[44] Les erreurs d'identification ont été la cause de plusieurs erreurs judiciaires par suite de la condamnation injustifiée de personnes qu'un ou plusieurs témoins de bonne foi avaient identifiées par erreur.

[45] Plusieurs commissions d'enquête, groupes de travail et universitaires se sont penchés sur la question et ont fait des recommandations visant à préserver l'intégrité, la qualité et la fiabilité des preuves d'identification en réduisant le risque que des influences externes ne les contaminent, même par accident.

[33] En cette matière, la jurisprudence exige une motivation adéquate de la décision afin de comprendre que le juge des faits a dûment pris acte des écueils relativement à l'identification et de la preuve pertinente à cet égard. Lorsque la preuve de la poursuite dépend largement sur la preuve d'identification, le juge doit démontrer qu'il avait à l'esprit les difficultés inhérentes à la preuve d'identification lorsqu'il l'analyse.

[34] Sans vouloir prétendre qu'il s'agit de la liste exhaustive des considérations pertinentes, je crois opportun de rappeler ce que la Cour d'appel de la Saskatchewan a écrit dans l'arrêt
R. c. Bigsky 2006 SKCA 145 (CanLII), (2007), 217 C.C.C. (3d) 441, au paragraphe 41:

In the judge-alone cases, when a court of appeal will intervene depends on a variety of factors: (i) whether the trial judge can be taken to have instructed himself or herself regarding the frailties of eyewitness testimony and the need to test its reliability; (ii) the extent to which the trial judge has reviewed the evidence with such an instruction in mind; (iii) the extent to which proof of the Crown's case depends on the eyewitness's testimony or, in other words, the presence or absence of other evidence that can be considered in determining whether a court of appeal should intervene; (iv) the nature of the eyewitness observation including such matters as whether the eyewitness had previously known the accused and the length and quality of the observation; and (v) whether there is other evidence which may tend to make the evidence unreliable, i.e., the witness's evidence has been strengthened by inappropriate police or other procedures between the time of the eyewitness observation and the time of testimony.

mardi 3 mai 2011

La preuve du comportement postérieur à l'infraction

Robert c. R., 2011 QCCA 703 (CanLII)

[52] Il est acquis que le juge du procès doit donner des directives appropriées au jury sur le comportement postérieur à l'infraction d'un accusé pour éviter que le jury puisse être induit en erreur. Dans R. c. White, la Cour suprême, sous la plume du juge Major, résume ainsi les principes applicables en matière de comportement postérieur à l'infraction :

23. Deux principes ont été énoncés pour dissiper ces craintes. À titre préliminaire, notre Cour a statué, dans l’arrêt Arcangioli, que le jury ne doit pas être autorisé à tenir compte d’un élément de preuve se rapportant au comportement de l’accusé après l’infraction lorsque l’accusé a avoué avoir commis une autre infraction et que cet élément de preuve ne peut logiquement appuyer une conclusion de culpabilité à l’égard d’un de ces crimes, à l’exclusion de l’autre. Il est essentiellement question ici de pertinence et cette règle s’appliquera habituellement dans des circonstances très particulières. De façon plus générale, notre Cour a statué également que lorsqu’est présenté au jury un élément de preuve relatif au comportement de l’accusé après l’infraction, des «directives appropriées» doivent lui être données afin que cet élément ne soit pas mal utilisé: Arcangioli, à la p. 143, et Gudmondson c. The King (1933), 60 C.C.C. 332 (C.S.C.), aux pp. 332 et 333. […]

27. En règle générale, il appartient au jury de déterminer, eu égard à l’ensemble de la preuve, si le comportement de l’accusé après l’infraction est lié au crime qui lui est reproché, plutôt qu’à un autre acte coupable. Il est également du ressort du jury de déterminer le poids qu’il convient d’accorder à cette preuve aux fins de rendre ultimement un verdict de culpabilité ou de non‑culpabilité. Dans la plupart des cas, le juge du procès qui s’immisce dans ce processus usurpe le rôle de juge des faits exclusivement dévolu au jury. Par conséquent, une directive selon laquelle un élément de preuve n’a «aucune valeur probante», comme celle exigée dans l’arrêt Arcangioli, ne s’impose que dans certaines circonstances particulières.

[…]

36. […] Une telle mise en garde vise à faire échec à la tendance naturelle des membres d’un jury à s’appuyer sur une preuve de fuite ou de dissimulation pour conclure immédiatement à la culpabilité; elle vise aussi à faire en sorte que les autres explications du comportement de l’accusé soient véritablement prises en considération. Plus particulièrement, le juge du procès doit rappeler au jury qu’il arrive que des gens fuient ou mentent pour des raisons parfaitement innocentes et que même si l’accusé était animé d’un sentiment de culpabilité, celui‑ci pouvait être attribuable à un autre acte coupable que l’infraction pour laquelle il est jugé. Le jury doit être invité à garder à l’esprit ces principes au moment de déterminer quel poids il y a lieu d’accorder à cette preuve, le cas échéant, aux fins de l’appréciation définitive de la culpabilité ou non‑culpabilité.

[53] Plus récemment, dans R. c. Jaw, le juge LeBel réitère la règle :

[39] […] On ne peut généralement se fonder uniquement sur le comportement de l'accusé postérieur à l'infraction pour inférer le degré particulier de culpabilité d'un accusé qui a admis avoir commis une infraction (R. c. Arcangioli, 1994 CanLII 107 (C.S.C.), [1994] 1 R.C.S. 129, p. 145; R. c. Marinaro, 1996 CanLII 222 (C.S.C.), [1996] 1 R.C.S. 462; R. c. Peavoy 1997 CanLII 3028 (ON C.A.), (1997), 34 O.R. (3d) 620 (C.A.), p. 631). Cependant, la preuve de ce comportement peut servir à miner la crédibilité de l'accusé en général (R. c. White, 1998 CanLII 789 (C.S.C.), [1998] 2 R.C.S. 72, par. 26).

[40] Le comportement de l'accusé postérieur à l'infraction peut également servir à discréditer les moyens de défense relatifs à l'état d'esprit de l'accusé au moment de la perpétration de l'infraction, qui peuvent donc influer sur sa capacité de former l'intention requise pour commettre l'infraction, par exemple le moyen de défense fondé sur l'intoxication (R. c. Pharr, 2007 ONCA 551 (CanLII), 2007 ONCA 551, 227 O.A.C. 112, par. 8-15; Peavoy, p. 630-631) et celui fondé sur la « non-responsabilité criminelle » que l'accusé peut invoquer en vertu de l'art. 16 (R. c. Jacquard, 1997 CanLII 374 (C.S.C.), [1997] 1 R.C.S. 314, par. 42-53). […]

Le témoignage de l'expert / Les principes et leur application

Robert c. R., 2011 QCCA 703 (CanLII)

[28] Le témoignage d’expert est nécessaire lorsqu’une question exige des connaissances particulières que le juge ou le jury ne possèdent pas. Le témoignage psychiatrique satisfait cette exigence et constitue une preuve d’expert.

[29] Dans l'arrêt Mohan, la Cour suprême, sous la plume du juge Sopinka, abordant le critère de la nécessité du témoignage d'opinion d'un expert pour aider le juge des faits, précise la portée ou les limites de la preuve d'expert sur une question fondamentale (ultimate issue rule) :

Comme la pertinence, analysée précédemment, la nécessité de la preuve est évaluée à la lumière de la possibilité qu'elle fausse le processus de recherche des faits. Comme le lord juge Lawton l'a remarqué dans l'arrêt R. c. Turner, [1975] Q.B. 834, à la p. 841, qui a été approuvé par lord Wilberforce dans l'arrêt Director of Public Prosecutions c. Jordan, [1977] A.C. 699, à la p. 718:

[traduction] «L'opinion d'un expert est recevable pour donner à la cour des renseignements scientifiques qui, selon toute vraisemblance, dépassent l'expérience et la connaissance d'un juge ou d'un jury. Si, à partir des faits établis par la preuve, un juge ou un jury peut à lui seul tirer ses propres conclusions, alors l'opinion de l'expert n'est pas nécessaire. Dans un tel cas, si elle est exprimée dans un jargon scientifique, elle rend la tâche de juger plus difficile. Le seul fait qu'un témoin expert possède des qualifications scientifiques impressionnantes ne signifie pas que son opinion sur les questions de la nature et du comportement humains dans le cadre de la normalité est plus utile que celle des jurés eux‑mêmes; ces derniers risquent toutefois de croire qu'elle l'est.»

La possibilité que la preuve ait un impact excessif sur le jury et le détourne de ses tâches peut souvent être contrecarrée par des directives appropriées.

Il y a également la crainte inhérente à l'application de ce critère que les experts ne puissent usurper les fonctions du juge des faits. Une conception trop libérale pourrait réduire le procès à un simple concours d'experts, dont le juge des faits se ferait l'arbitre en décidant quel expert accepter.

Ces préoccupations sont le fondement de la règle d'exclusion de la preuve d'expert relativement à une question fondamentale. Bien que la règle ne soit plus d'application générale, les préoccupations qui la sous‑tendent demeurent. En raison de ces préoccupations, les critères de pertinence et de nécessité sont à l'occasion appliqués strictement pour exclure la preuve d'expert sur une question fondamentale. La preuve d'expert sur la crédibilité ou la justification a été exclue pour ce motif. Voir l'arrêt R. c. Marquard, 1993 CanLII 37 (C.S.C.), [1993] 4 R.C.S. 223, les motifs du juge McLachlin.

[36] Le témoin expert jouit nécessairement d’une influence auprès du jury. Son expertise pointue dans un domaine d’expertise souvent inconnu des jurés suscite généralement un grand intérêt chez ces derniers. Lorsqu’il témoigne de son expertise, le poids accordé à son témoignage ne risque pas, a priori du moins, de créer une distorsion ou un déséquilibre, d’autant que son point de vue technique, médical ou scientifique par rapport aux faits de la cause peut être objet d’une preuve contradictoire. Cependant, lorsque l’expert donne son interprétation des faits, s’exprime sur la crédibilité des témoins ou qu’il tire des inférences de la preuve, sans connotation avec son domaine d’expertise, le risque de causer un préjudice à l’accusé est réel. Une mise en garde spécifique du juge au jury est alors requise pour rétablir l’équilibre. C’est ce qui devait être fait ici et qui ne l’a pas été.

[43] Ces mises en garde générales sont insuffisantes en l'espèce. Un expert ne peut généralement pas témoigner sur des questions qui ne relèvent pas de son expertise. Or, comme le témoignage de l'expert Faucher outrepassait sa mission, s'écartait de l'objet médical et scientifique de son opinion et risquait de causer préjudice à l'appelant, le juge devait formuler une mise en garde particulière pour éviter que le jury ne soit indûment influencé par son témoignage sur des sujets qui débordaient le cadre de son expertise psychiatrique. L’expert a abondamment commenté la preuve et remis en question la crédibilité du témoignage de l’accusé, sans égard à son champ d’expertise. En pareil cas, des directives au jury sont nécessaires, comme la Cour suprême l'a décidé dans l'arrêt R. c. Marquard :

Si importante que puisse être la qualification initiale d'un expert, il serait excessivement formaliste de rejeter le témoignage d'expert pour la simple raison que le témoin se permet de donner une opinion qui s'étend au-delà du domaine d'expertise pour lequel il a été qualifié. En pratique, il appartient à l'avocat de la partie adverse de faire objection si le témoin sort des limites de son expertise. L'objection peut être soulevée à l'étape de la qualification initiale ou au cours de la déposition du témoin s'il devient évident que ce dernier outrepasse le domaine pour lequel il a été reconnu qualifié pour donner une opinion d'expert. En l'absence d'objection, l'omission technique de qualifier un témoin qui possède manifestement l'expertise dans le domaine en question ne signifie pas automatiquement que son témoignage doit être écarté. Toutefois, s'il n'est pas démontré que le témoin possède une expertise lui permettant de témoigner dans le domaine en cause, il ne faut pas tenir compte de son témoignage et le jury doit recevoir des directives à cet effet.

[44] Dans cet arrêt, la Cour suprême confirme que l'évaluation de la crédibilité relève du juge ou du jury (et non d'un témoin expert), mais que, dans certains cas, le témoignage d'expert peut être admissible pour expliquer le comportement humain :

Le juge ou jury qui se contente d'accepter une opinion d'expert sur la crédibilité d'un témoin ne respecterait pas son devoir d'établir lui-même la crédibilité du témoin. La crédibilité doit toujours être le résultat de l'opinion du juge ou du jury sur les divers éléments perçus au procès, de son expérience, de sa logique et de son intuition à l'égard de l'affaire: voir R. c. B. (G.) 1988 CanLII 208 (SK C.A.), (1988), 65 Sask. R. 134 (C.A.), à la p. 149, par le juge Wakeling, confirmé par 1990 CanLII 115 (C.S.C.), [1990] 2 R.C.S. 3. La question de la crédibilité relève de la compétence des profanes. Les gens ordinaires jugent quotidiennement si une personne ment ou dit la vérité. L'expert qui témoigne sur la crédibilité n'est pas tenu par la lourde tâche du juge ou du juré. De plus, il se peut que l'opinion de l'expert repose sur des éléments qui ne font pas partie de la preuve en vertu de laquelle le juge et le juré sont tenus de rendre un juste verdict. Enfin, la crédibilité est un problème notoirement complexe, et l'opinion d'un expert risque d'être beaucoup trop facilement acceptée par un jury frustré pour faciliter la résolution de ses difficultés. Toutes ces considérations ont donné naissance à la sage politique en droit qui consiste à rejeter le témoignage d'expert sur la sincérité des témoins.

En revanche, il se peut que certaines parties de la déposition d'un témoin dépassent la capacité d'un profane de comprendre, et justifient donc le recours au témoignage d'expert. C'est le cas en particulier pour les témoignages d'enfants. Par exemple, dans le cas d'un enfant qui omet de se plaindre sans tarder d'une agression sexuelle, on pourrait ordinairement conclure que l'enfant invente un récit après coup, poussé par la malice ou un autre stratagème calculé. Des témoignages d'experts ont été à bon droit présentés pour expliquer pourquoi il arrive fréquemment que de jeunes victimes d'agression sexuelle ne portent pas plainte immédiatement. Ces témoignages sont utiles et peuvent même être essentiels à un juste verdict.

Pour cette raison, il est de plus en plus largement reconnu que, si le témoignage d'expert sur la crédibilité d'un témoin n'est pas admissible, le témoignage d'expert sur le comportement humain et les facteurs psychologiques et physiques qui peuvent provoquer un certain comportement pertinent quant à la crédibilité, est admissible, pourvu qu'il aille au‑delà de l'expérience ordinaire du juge des faits. […]

Si le Dr Mian avait limité ses commentaires à un témoignage d'expert expliquant la raison pour laquelle des enfants peuvent mentir au personnel hospitalier sur la cause de leurs blessures, on n'aurait pu soulever aucune objection à son témoignage. Elle était expert en comportement infantile, et on peut soutenir que le témoignage était nécessaire à un jury profane pour comprendre pleinement les implications de la modification du récit par le témoin. Toutefois, le Dr Mian est allée plus loin. Elle a clairement indiqué qu'elle ne croyait personnellement pas la première version de l'enfant, préférant la deuxième, relatée au procès. En faisant cela, elle a franchi la ligne de démarcation entre le témoignage d'expert sur le comportement humain et l'appréciation de la crédibilité du témoin lui‑même. En outre, le juge du procès n'a pas indiqué au jury qu'il était de son devoir de déterminer la crédibilité de l'enfant sans être indûment influencé par le témoignage d'expert. En fait, la déclaration du juge du procès que le Dr Mian a [traduction] «témoigné à titre d'expert en enfance maltraitée et sur la véracité du témoignage de jeunes enfants», a renforcé l'effet du témoignage inadmissible.

À mon avis, cette erreur, considérée avec d'autres, exige la tenue d'un nouveau procès.

[45] La Cour, dans l'arrêt Demers c. R., sous la plume du juge Michel Proulx, a précisé qu’un expert ne peut généralement pas témoigner sur la crédibilité de l'accusé qui a témoigné à son procès:

Mais il y a plus. Au cours de son témoignage, l'expert s'en est pris maintes fois à la crédibilité de l'appelant comme témoin dans sa défense. L'avocat de l'appelant s'est objecté mais la juge a rejeté les objections. Voici quelques exemples de ce type d'intervention.

[…]

Comme cette Cour en a conclu dans les arrêts Roy v. R. 1988 CanLII 308 (QC C.A.), (1988), 62 C.R. (3d) 127, et plus récemment Gervais Fortin c. La Reine, C.A.M. no 500-10-000297-927, le 25 août 1997 (les juges Proulx, Rousseau-Houle et Zerbisias), il est irrégulier et très préjudiciable à un accusé qu'un expert se prononce de façon expresse sur la crédibilité de l'accusé qui a témoigné en défense. À ce sujet, j'ai écrit ce qui suit dans l'arrêt Fortin:

Déjà en 1988, dans l'arrêt Roy v. R. 1988 CanLII 308 (QC C.A.), (1988) 62 C.R. (3d) 127, notre Cour avait cassé le verdict d'un jury au motif que le témoin expert de la poursuite (il s'agissait incidemment du même expert) avait outrepassé les limites d'un témoignage d'expert en se prononçant de façon expresse sur la crédibilité de l'accusé qui s'était fait entendre au soutien de sa défense fondée sur l'intoxication et l'absence d'intention spécifique de meurtre.

Depuis, la Cour Suprême du Canada, notamment dans les arrêts R. c. Marquard, 1993 CanLII 37 (C.S.C.), [1993] 4 R.C.S. 223 et R. c. Burns, 1994 CanLII 127 (C.S.C.), [1994] 1 R.C.S. 656, a rappelé que le droit pénal n'autorise pas le témoignage d'expert sur la sincérité ou la crédibilité des témoins: cette question doit être tranchée par le jury. Comme la juge McLachlin l'a affirmé dans Marquard, la crédibilité demeure un problème notoirement complexe et l'opinion d'un expert risque d'être beaucoup trop facilement acceptée par un jury frustré pour faciliter la résolution de ses difficultés.

Pour ces deux motifs reliés au témoignage du Dr Wolwertz, je conclus également que cette erreur a causé un tort irréparable à l'appelant et qu'un nouveau procès doit être ordonné.

[46] Si, dans certaines circonstances, le témoignage de l'expert peut être admis pour expliquer le comportement humain de l'accusé, encore faut-il que le comportement humain dont il est question requière le témoignage d'un expert. Ce n'est pas le cas en l'espèce.

[47] À titre indicatif, un exemple jurisprudentiel d’une situation d’exception est le cas de l'arrêt de la Cour suprême dans Lavallee, où l'accusée, une femme battue qui a tué son conjoint de fait, tard une nuit, en l’atteignant à la partie postérieure de la tête, alors qu’il quittait sa chambre, plaidait la légitime défense. Invoquant, dans cette affaire, le syndrome de la femme battue, la preuve de l'expert sert à expliquer le comportement de l'accusée, qui autrement, pourrait paraître incompréhensible, à savoir que si elle ne s'est pas sauvée, c'est qu'elle avait trop peur de son conjoint, et non qu'elle ne le craignait pas. Cette preuve a été, dans ce contexte particulier, jugée pertinente et admissible.

[48] Il en va autrement dans le cas présent lorsque l'expert plaide, à l’occasion, plus qu'il ne témoigne, sur quelque chose que le profane peut comprendre. Il abandonne ainsi son rôle d'expert et son témoignage à cet égard requérait, à tout le moins, une mise en garde précise pour s'assurer que le jury ne donne pas de poids à son témoignage sur les faits et sur la crédibilité de l’accusé lorsqu’ils n’ont aucun lien avec son domaine d’expertise. Il revenait plutôt à l'avocat du ministère public, et non à son expert, de plaider sur ces questions qui relevaient de l'appréciation de la preuve et de la crédibilité de l'appelant.

La distinction entre l'affaiblissement des capacités en générale et l'affaiblissement des capacités de conduire

R. c. Guillemette, 2011 QCCS 1964 (CanLII)

[15] Dans son mémoire, l'appelante énonce la question en litige : les facultés de l'intimé étaient-elles affaiblies un tant soit peu par l'alcool? Or, avec égards, cette question est imparfaite. Par contre, le juge ne se méprend pas sur la question essentielle qu'il doit résoudre. Dans sa décision, le juge fait référence au véritable test applicable — et il a raison — qui est: les facultés de conduire de l'intimé étaient-elles affaiblies un tant soit peu par l'alcool?

[16] En effet, notre Cour d'appel dans les arrêts R. c. Guibord, [1998] J.Q. no 564 au par. 11 et R. c. Laprise [1996] J.Q. no 3950, a reconnu l'application des principes énoncés par l'arrêt R. c. Stellato 1994 CanLII 94 (C.S.C.), [1994] 2 R.C.S. 478 de la Cour suprême, tels qu'appliqués par l'arrêt c. Andrews, 1996 CanLII 6628 (AB C.A.), (1996), 104 C.C.C. (3d) 392, rendu peu après par la Cour d'appel de l'Alberta.

[17] Dans ce dernier arrêt, d'ailleurs mentionné par le premier juge, la Cour fait la distinction entre l'affaiblissement des capacités en générale et l'affaiblissement des capacités de conduire. Le ministère public doit prouver hors de tout doute raisonnable que l'habileté de conduire de l'accusé est affaiblie légèrement par l'alcool ou une drogue conformément à l'arrêt R. c. Stellato, précité, la question n'étant pas de savoir si l'habileté générale d'une personne est affaiblie.

[18] Dans l'arrêt R. c. Andrews, précité, la Cour écrit aux pp. 399 et 402:

This case turns upon the meaning of the words in s.253(b) of the Criminal Code, "while the person's ability to operate the vehicle ... is impaired by alcohol". The trial judge felt that the Stellato decision meant that "slight impairment by the accused at the particular time" was sufficient for a conviction. In applying this as the legal test, he made a critical error. He failed to focus the issue upon the question of whether Mr. Andrews' ability to operate a motor vehicle was impaired.

The courts must not fail to recognize the fine but crucial distinction between "slight impairment" generally, and "slight impairment of one's ability to operate a motor vehicle". Every time a person has a drink, his or her ability to drive is not necessarily impaired. It may well be that one drink would impair one's ability to do brain surgery, or one's ability to thread a needle. The question is not whether the individual's functional ability is impaired to any degree. The question is whether the person's ability to drive is impaired to any degree by alcohol or a drug. In considering this question, judges must be careful not to assume that, where a person's functional ability is affected in some respects by consumption of alcohol, his or her ability to drive is also automatically impaired.

Impairment is a question of fact which can be proven in different ways. On occasion, proof may consist of expert evidence, coupled with proof of the amount consumed. The driving pattern, or the deviation in conduct, may be unnecessary to prove impairment. More frequently, as suggested by Sissons C.J.D.C. in McKenzie, [1955] A.J. No. 38 proof consists of observations of conduct. Where the evidence indicates that an accused's ability to walk, talk, and perform basic tests of manual dexterity was impaired by alcohol, the logical inference may be drawn that the accused's ability to drive was also impaired. In most cases, if the conduct of the accused was a slight departure from normal conduct, it would be unsafe to conclude, beyond a reasonable doubt, that his or her ability to drive was impaired by alcohol. Put another way, as was done in Stellato, the conduct observed must satisfy the trier of fact beyond a reasonable doubt that the ability to drive was impaired to some degree by alcohol. McKenzie does not state a rule of law. It suggests a reasonable, common sense approach to the assessment of evidence necessary for proof....

[21] D'ailleurs, les propos du juge Fish alors à la Cour d'appel du Québec, dans l'arrêt R. c. Newman 1995 CanLII 5458 (QC C.A.), (1995) 99 C.C.C. (3d) 275 aux pages 279 et 280, sont à-propos:

The trial in this case was a straightforward affair. No complex question, either of fact or of law, had been raised in argument by either side. There was no dispute as to the constituent elements of the offences charged. The issues were clearly delineated and the outcome depended solely on the judge's appreciation of the evidence.

On the second count, a conviction would lie only if the trial judge was satisfied that the accused's ability to drive was in fact impaired. Proof of bad driving was neither required nor decisive: … Intoxication and impairment were questions of fact to be determined by the trier of fact: … Any degree of impairment was sufficient …. but mere evidence of consumption of alcohol or a drug was not.

Le droit relatif en matière de marques de commerce

R. c. Gouin, 2011 QCCQ 3771 (CanLII)

[15] Quant à la notion de marque de commerce, elle n'est pas définie au Code criminel.

[16] Comme l'indique la règle d'interprétation énoncée au paragraphe (4) de l'article (4) du Code criminel, il faut référer aux définitions qui sont contenues à la Loi sur les marques de commerce, chapitre T-13.

[21] Essentiellement, une marque de commerce est donc une marque qu'une personne utilise pour distinguer la marchandise qu'elle fabrique, vend, donne à bail ou loue ou pour distinguer les services qu'elle loue ou exécute de la marchandise fabriquée, vendue, donnée à bail ou louée ou des services loués ou exécutés par des concurrents.

[22] De façon concrète, une marque de commerce peut emprunter diverses formes.

[23] Elle peut être nominale ou verbale, c'est-à-dire prendre la forme d'une lettre, d'une série de lettres, d'un mot, d'une combinaison de mots, du nom d'une personne vivante ou fictive, d'un chiffre ou d'une série de chiffres.

[24] Elle peut aussi prendre une forme figurative, comme lorsqu'il s'agit de dessins, de sceaux, de logos, d'armoiries, de mascottes, de héros de bandes dessinées. Elle peut être constituée aussi d'agencement de couleurs, de motifs ou configurations visuelles particulières. Les emballages, les étiquettes et le façonnement de marchandises peuvent aussi constituer des marques de commerce.

[25] On peut même retrouver des marques de commerce sonores, olfactives ou cinématiques.

[26] L'utilisation ou l'emploi d'une marque distinctive, par la présentation d'un façonnement de marchandises ou de contenants ou d'un mode d'enveloppement ou d'empaquetage distinctif de marchandises est un concept fondamental au droit des marques de commerce.

[29] En somme, on peut dire que la marque de commerce naît et vit par l'usage que l'on en fait ou que l'on projette d'en faire et elle meurt par l'absence d'usage.

[30] Aux termes de l'article 406 du Code criminel, il y a deux façons de contrefaire une marque de commerce.

[31] Ou bien l'accusé, sans le consentement de son propriétaire, fabrique ou reproduit la marque de commerce de ce propriétaire ou il fait ou reproduit une marque qui ressemble à la marque de commerce du propriétaire au point d'être conçue de manière à induire en erreur ou alors, deuxièmement, il falsifie de quelque manière que ce soit une marque de commerce authentique.

[32] Le premier cas concerne le fait de fabriquer ou de reproduire la marque de commerce d'une personne ou encore de fabriquer ou de reproduire une marque de commerce ressemblant à la première au point d'être conçue de manière à induire en erreur.

[33] Il faut noter que cette première forme de contrefaçon est légale si le propriétaire de la marque de commerce y consent.

[34] Le deuxième cas concerne la falsification d'une marque de commerce authentique.

[35] Lorsqu'on lit l'article 406 du Code criminel dans son entièreté, il faut nécessairement distinguer la fabrication ou la reproduction d'une marque de commerce ressemblant à une autre marque de commerce au point d'être conçue de manière à induire en erreur de la falsification d'une marque de commerce authentique.

[36] Pourtant lorsqu'une personne fabrique une marque de commerce ressemblante à la marque d'un autre propriétaire au point d'être conçue de manière à induire en erreur, il est difficile, à première vue, de ne pas conclure à la falsification de la première marque de commerce.

[37] Le Tribunal estime que l'intention du législateur était de distinguer ces deux situations et il a manifesté cette intention en utilisant d'une part les termes de fabrication et de reproduction et d'autre part le terme de falsification et, deuxièmement, en utilisant distinctement les termes marque de commerce et marque de commerce authentique.

[38] Pour comprendre en quoi consiste la falsification d'une marque de commerce, il peut être intéressant de considérer l'ancêtre de l'article 406 du Code criminel actuel qui fut d'abord l'article 486 et ensuite l'article 349.

[40] Cette définition, comme celle de l'actuel article 406 du Code criminel ne sont pas sans rappeler les définitions des mots « faux documents » aux articles 321 et 361 (2) du Code criminel.

[41] Tout comme l'article 406 qui utilise le mot « marque de commerce » en son alinéa (a) et les mots « marque de commerce authentique » à son alinéa (b), l'article 321 du Code criminel, lorsqu'il définit le « faux document », réfère à un « document » qui est donné comme étant fait par une personne et qui ne l'est pas, ou encore d'un « document » faux sous quelque rapport essentiel ou enfin d'un « document » fait par une personne avec l'intention qu'il passe comme étant fait par une personne autre que celui qui l'a vraiment fait.

[44] Certains auteurs ont écrit que le qualificatif « authentique » accolé au mot « marque de commerce » au paragraphe (b) de l'article 406 du Code criminel était superflu et ne changeait rien à l'affaire.

[45] Le Tribunal ne partage pas cette interprétation.

[46] La lecture conjuguée des paragraphes (a) et (b) de l'article 406, le texte de son prédécesseur, l'article 486 de l'ancien Code criminel, le texte des articles 321 et 366 (2) du Code criminel de même que l'interprétation qui en a été donnée par la Cour suprême du Canada à l'arrêt R. c. Gaysek 1971 RCS 888, amènent le Tribunal à conclure que l'actus reus de l'infraction de contrefaçon d'une marque de commerce consiste en deux choses qui sont totalement différentes l'une de l'autre.

[47] La première consiste dans la fabrication ou la reproduction de quelque manière, c'est-à-dire, dans le fait pour une personne de faire, de créer ou de façonner ou, encore de copier, d'imiter une marque de commerce ou une marque qui lui ressemble au point d'être conçue de manière à induire en erreur et ce, sans le consentement du propriétaire de la marque de commerce.

[48] C'est le cas de celui qui fabrique une boisson gazeuse et qui accole sur son produit les mots « Coca-Cola » ou des mots qui y ressemblent au point d'induire en erreur.

[49] C'est essentiellement la fabrication ou la copie d'une marque de commerce sans le consentement du propriétaire.

[50] Le deuxième cas consiste en la falsification, l'altération, l'addition, l'effacement, la rature d'une marque de commerce authentique.

[51] Ce procédé exclut la fabrication ou reproduction de la marque de commerce originale ou d'une marque lui ressemblant au point d'être conçue de manière à induire en erreur.

[52] Elle concerne l'altération d'une marque de commerce authentique.

[53] C'est le cas de celui qui altère, falsifie, efface ou rature la marque de commerce apposée sur des marchandises ou sur des colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, au sens de l'article (4) de la Loi sur les marques de commerce

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