dimanche 30 août 2009

Admissibilité d'une preuve obtenue suite à l'utilisation de l'hypnose

R. c. Bernier, 2004 CanLII 40561 (QC C.S.)

[15] Avant d'admettre une preuve obtenue suite à l'utilisation de l'hypnose, un juge doit tenir un voir-dire pour décider de la recevabilité de cette preuve. L'arrêt de principe sur cette question est l'arrêt R. c. Taillefer précité, où le juge Proulx faisait une analyse exhaustive de la question. Incidemment, les faits dans cette affaire sont semblables à ceux de notre dossier. Une jeune fille avait disparu alors qu'elle retournait à pied chez-elle en soirée. Peu après sa disparition, l'on retrouva son cadavre aux abords d'un chemin. Un camionneur avait aperçu un camion près de la région où le cadavre fut retrouvé et il identifia le véhicule comme étant celui du père de l'accusé. Le fils du camionneur avait aperçu le même véhicule mais n'était pas en mesure de donner des précisions sur le véhicule. Soumis à une séance d'hypnose par un policier de la S.Q. ayant une formation dans ce domaine, le jeune garçon a pu se remémorer certains détails dont la présence d'un camion "Tracker" rouge aux abords du chemin en question. On a reproché au juge du procès de ne pas avoir permis à la défense de soulever la question de la fiabilité de l'hypnose et d'avoir refusé de soumettre la cassette vidéo aux jurés.

[16] La question de l'usage de l'hypnose pour raviver la mémoire pose la question de la recevabilité d'une telle preuve eu égard à sa fiabilité. Cette preuve fut admise dans certains cas : R. c. Pitt, (1968) 3 C.C.C. 342 (B.C.S.C.) ; R. c. Zubot, (1983) 47 A.R. 389 (Alta Q.B.); R. c. Clark, reflex, (1984) 13 C.C.C. (3d) 117 (Alta Q.B.), mais refusée dans R. c. K, (1979) 47 C.C.C. (2d) 436 (Man. P.C.) et R. c. Savoy, no: CC940826 (B.C.S.C.), 24 novembre 1997, voir également R. c. Kliman, 1996 CanLII 8364 (BC C.A.), (1996) 107 C.C.C. (3d) 549 (B.C.C.A.), sur une question de "flashback". Comme le mentionne le juge Proulx dans l'arrêt Taillefer précité, peu de tribunaux d'appel se sont prononcés sur la question.

[17] L'arrêt R. c. Mohan de la Cour suprême a établi les critères de recevabilité des nouvelles preuves scientifiques. Le premier critère de la pertinence de la preuve n'est pas en cause en l'espèce puisque cette preuve appuie la théorie de la poursuite soit que la victime aurait été enlevée par l'accusé alors qu'elle retournait à sa voiture. La présence de deux personnes ou silhouettes dans le véhicule lors de l'impact avec la borne-fontaine confirme que l'accusé était déjà à bord du véhicule de la victime au moment de l'impact.

[18] (...) Cette preuve est donc pertinente au litige vu sa connexité entre le fait constaté et ce qu'il vise à établir. Il a également une pertinence légale en ce qu'il constitue un élément de preuve circonstancielle pouvant servir à établir les éléments essentiels des crimes d'enlèvement et de séquestration auxquels l'accusé fait face.

[19] Sur le deuxième critère, soit la nécessité d'aider le juge des faits, il faut se demander si les jurés peuvent facilement tirer des conclusions de fait de l'élément de preuve en question sans qu'ils n'aient besoin de l'aide d'une preuve d'expert sur la question.

[20] Le juge Sopinka a défini la nécessité comme un concept large qui toutefois ne saurait se limiter à la simple utilité en reprenant la définition énoncée par le juge Dickson dans Abbey : qui selon toute vraisemblance, dépassent l'expérience et la connaissance d'un juge ou d'un jury. En l'espèce, l'hypnose est en soi une technique et nécessite certaines connaissances spéciales.

[21] Reste le critère de la qualification de l'expert qui vise la fiabilité. Suite à l'approche retenue dans Mohan précité, les tribunaux doivent examiner la fiabilité d'une théorie ou encore de la technique scientifique utilisée de même que la qualification suffisante de l'expert.

[22] En l'espèce, l'agent Vaillancourt est polygraphiste depuis 1998 à la S.Q. Il a suivi une formation spécialisée de quatre mois au Collège canadien de police à Ottawa. Il a également suivi des cours de psychologie. Par la suite, il a suivi une formation de 40 heures à l'Université de Houston au Texas sur l'hypnose. Le cours consistait principalement à faire l'analyse et l'étude des différentes techniques employées en matière d'hypnose.

[24] Toute la rencontre préliminaire et la séance ont été enregistrées sur vidéocassette. Les questions posées concernant l'accident sont neutres. Rien ne peut laisser croire que l'interrogateur a induit le témoin à donner des réponses suggérées. La séance a duré près de 30 minutes et aucune insistance à répondre n'a été exercée. On lui demande si elle voit le conducteur. Elle ne peut pas voir qui conduit mais voit deux silhouettes. Également, elle ne voit pas ce qui se passe dans le véhicule.

[25] En contre-interrogatoire, on a demandé à Vaillancourt comment, pour un dossier médiatisé comme celui visé, l'hypnologue peut-il avoir l'assurance que le témoin n'a pas été influencé par la publicité entourant l'incident. Selon l'expert, lorsque le témoin répond en utilisant le temps présent, elle ne fait pas appel à sa mémoire; c'est plutôt lorsqu'une personne se sert du temps passé pour répondre qu'elle fait alors appel à sa mémoire. En l'espèce, le témoin a répondu en n'utilisant que le temps présent.

[26] Comme je l'ai indiqué à l'audience, il ressort de l'écoute du vidéo que le témoin est honnête et se livre à l'exercice de façon débonnaire. Rien de la séance ne laisse voir le désir de répondre absolument aux questions pour faire plaisir à l'interrogateur tel que plaidé par la défense. On n'y retrouve pas de manipulations suggestives. Cependant, ces considérations relèvent du cas spécifique soumis et ne devraient pas à ce stade faire partie du test de fiabilité requis. Ce sera plutôt aux jurés de vérifier la fiabilité absolue de cette preuve dans l'hypothèse où elle est déclarée admissible.

[27] Si l'on applique les critères de l'arrêt Clark précité au cas sous étude, j'estime que le policier Vaillancourt avait les qualifications nécessaires et la neutralité requise pour agir comme interrogateur. Le fait qu'il ait été un membre des forces policières n'affecte pas sa neutralité puisque l'enquête était faite par les policiers de Sherbrooke. De plus, il connaissait peu de détails sur l'accident tels qu'il y avait eu un accident entre un véhicule et une borne-fontaine et que le véhicule avait quitté bien que, au tout début de la séance, le témoin lui ait résumé ce qu'elle avait vu. D'ailleurs, lors de sa plaidoirie, l'avocat en défense a présenté que les critères de l'arrêt Clark étaient conformes en grande partie pour les critères 3-4-5-7-8 mais que seuls les critères 1, 2 et 6 étaient en cause. Il ne faut pas oublier que ces critères nous proviennent du droit américain et je doute que le juge Proulx les ait repris comme étant l'état actuel du droit.

[28] Quoiqu'il en soit, il faut faire l'analyse de la fiabilité de la technique scientifique proposée selon la méthode scientifique qui prévaut dans ce domaine. Selon l'article de doctrine soumis en défense, l'hypnose peut, dans certains cas, faciliter la création ou la modification du souvenir. J'en retiens qu'il ne s'agit pas d'une science exacte.

[29] Dans l'arrêt Lavallee, bien que la science psychologique ait été peu définie quant au syndrome de la femme battue, l'on a admis une preuve d'expert sur l'état d'esprit d'une femme battue.

[30] Reste à déterminer si l'hypnose est une nouvelle théorie ou technique spécialisée qui doit être soigneusement examinée pour déterminer si elle est fiable au sens des critères de l'arrêt Mohan.

[31] Le test de fiabilité en vertu de l'arrêt Mohan ne requiert pas l'évaluation de la fiabilité absolue mais plutôt d'un seuil de fiabilité. C'est ce qui ressort des propos du juge Finlayson rendant jugement au nom de la Cour dans R. c. Terciera :

[64] I do not believe that the judgment of the Supreme Court of Canada in Mohan intended to introduce a new format for the conduct of a voir dire for the scrutiny of novel scientific theory or techniques in order to establish a threshold of reliability. The screening process is directed to the issue of the admissibility of the novel expert testimony, not the determination of its ultimate reliability. I can see nothing in recent authority which indicates a change in the traditional role of the trial judge in assessing the reliability of proffered evidence before ruling on its admissibility. He or she is not the trier of fact and should not invade the province of the jury by making findings of fact on the ultimate issues. The trial judge's function is limited to an overview of the evidence proffered in order to be satisfied that it reflects a scientific theory or technique that has either gained acceptance in the scientific community, or if not accepted, is considered otherwise reliable in accordance with the methodology validating it. The trial judge will be required to hear sufficient evidence to determine reliability as a preliminary matter. Moreover, the trial judge must not pass judgment on the particular application of the methodology by the expert. This is a question of weight to be determined by the jury. The trial judge must restrict his inquiry to determining whether the proposed novel scientific technique or theory has a foundation in science, as determined. The nature and scope of the evidence necessary for the trial judge to reach the threshold determination will vary according to the type of evidence proffered and the concessions made by counsel. As a result, it would be unwise to define the threshold test of reliability with the precision advanced by the scientific community. Rather, the threshold test of reliability must remain capable of adaptation to changing circumstances and realities. Reliability is best determined under the scrutiny of the trial judge as guided by the demands and particularities of the case. Simply stated, the threshold test of reliability is met when the trial judge, having reviewed certain evidence presented by counsel, feels that the novel scientific technique or theory is sufficiently reliable to be put to the jury for its review.

[32] D'ailleurs dans cette affaire, il était question d'une preuve d'ADN mais également question d'un témoin dont la mémoire avait été ravivée par l'hypnose, (voir par. 82).

[33] Il faut garder à l'esprit que le fardeau d'établir les critères d'admissibilité d'une telle preuve n'est que par prépondérance de preuve : (Murrin et Terciera, précités).

[34] Cependant, dans l'arrêt R. c. J.-L.J., le juge Binnie, rendant jugement pour la Cour, soulignait l'importance du juge du procès dans son rôle de «gardien» à l'égard de l'admissibilité d'une preuve d'expert sur les sciences nouvelles en évitant de se rabattre trop facilement sur le fait que les faiblesses de cette preuve n'auront d'incidence que sur la valeur probante de la preuve mais non sur son admissibilité. Dans cette affaire, il s'agissait d'une preuve de pléthysmographie pénienne que le premier juge avait refusé d'admettre et dont la Cour suprême a conclu que c'était à bon droit. On y mentionne qu'un niveau de fiabilité utile en thérapie n'équivaudra pas nécessairement à la fiabilité requise devant une cour de justice. D'ailleurs, le juge du procès avait refusé d'admettre cette preuve en tenant compte de la marge d'erreur dans les résultats de ces tests.

[35] Reprenant les critères de l'arrêt américain Daubert, le juge Binnie énonce les facteurs utiles pour évaluer la fiabilité d'une preuve technique :

• La théorie ou la technique peut-elle être vérifiée et l'a-t-elle été ?

• La théorie ou la technique a-t-elle fait l'objet d'un contrôle par des pairs et d'une publication ?

• Le taux connu ou potentiel d'erreurs ou l'existence de normes, et

• La théorie ou la technique utilisée est-elle généralement acceptée ?

[36] Or, en l'espèce aucune preuve n'a été faite sur la reconnaissance de cette technique non plus que sur le taux connu ou potentiel d'erreurs d'une telle preuve. Aussi, même si Vaillancourt témoigne avoir fait passer au-delà de 300 tests de détecteurs de mensonges, aucune preuve n'a été présentée quant au nombre de séances d'hypnose qu'il aurait faites.

[37] Tous les aspects traitant du fondement de la fiabilité de cette science ont été occultés. L'expert a témoigné du procédé employé mais non sur sa fiabilité. En outre, on n'a aucune idée du potentiel d'erreurs d'une telle preuve.

[38] Lors du voir-dire, à part d'avoir présenté le déroulement de la séance d'hypnose, aucune preuve n'a été faite sur la valeur de l'hypnose, les méthodes existantes par opposition à celle employée ou encore la théorie qui se rattache à cette science.

[39] J'estime qu'il appartient à la partie qui veut introduire en preuve une technique scientifique «nouvelle» d'en établir sa fiabilité et la preuve présentée sur voir-dire n'a pas traité de ces aspects.

[40] Dans ces circonstances, le Tribunal ne peut pas déterminer la fiabilité de la preuve d'expert et, conséquemment, l'ajout suite à la séance d'hypnose est déclaré inadmissible.

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