R. c. Bernier (1997-08-27), Cour d'appel, dossier 200‑10‑000189‑949
Quatre éléments peuvent être pertinents pour répondre à la question dans le contexte du jugement de première instance: (1) les différentes parties du corps touchées revêtent toutes un caractère sexuel indéniable; (2) les gestes reprochés à l'intimé n'ont pas été motivés par la recherche d'un plaisir ou d'une gratification sexuelle personnelle; (3) les gestes reprochés ne sont pas empreints d'hostilité ni de violence physique proprement dite; (4) les gestes ont été posés publiquement dans un contexte où l'intimé "riait, s'amusait, dérangeait et taquinait".
Les composantes n'en sont pas précisées. Dans l'affaire R. c. Chase, la Cour suprême tente toutefois de formuler une définition large du concept d'agression sexuelle. Elle le fait avec la réserve suivante:
Dans tous les arrêts mentionnés, on a reconnu qu'il était nécessaire d'adopter un point de vue plus large et qu'il était difficile de le formuler. Je serais d'accord pour dire qu'il serait difficile et probablement mal avisé de tenter de donner une définition précise et exhaustive de la nouvelle infraction d'agression sexuelle à ce stade-ci de son élaboration, mais il me semble nécessaire de tenter de régler certaines considérations qui peuvent aider les tribunaux à mettre au point en fonction de chaque cas particulier une définition pratique de l'infraction.
Après cette mise en garde, le juge McIntyre propose la définition suivante:
L'agression sexuelle est une agression, au sens de l'une ou l'autre des définitions de ce concept au par. 244(1) du Code criminel (maintenant 265(1) C.cr.), qui est commise dans des circonstances de nature sexuelle, de manière à porter atteinte à l'intégrité sexuelle de la victime. Le critère qui doit être appliqué pour déterminer si la conduite reprochée comporte la nature sexuelle requise est objectif: «Compte tenu de toutes les circonstances, une personne raisonnable peut-elle percevoir le contexte sexuel ou charnel de l'agression"»
Instruite de ces propos, j'estime que le jugement dont appel comporte, en ce qui a trait à la première question, deux erreurs de droit qui ont eu pour effet de dénaturer le crime d'agression sexuelle.
a) L'absence de caractère "hostile" de l'agression
Le premier juge indique que la preuve ne révèle pas le caractère hostile propre à une agression et qu'il ne peut, pour cette raison, conclure à la culpabilité de l'intimé. Les attouchements reprochés auraient été posés dans un contexte qui s'apparente beaucoup plus à une mauvaise plaisanterie qu'à la violence.
Une agression suppose-t-elle nécessairement le recours à la force physique ou à une forme quelconque d'hostilité physique? N'existe-t-il pas des situations où un agresseur n'a pas besoin d'utiliser sa force pour porter atteinte à l'intégrité physique ou sexuelle de sa victime?
Comme l'indique son appellation, l'agression sexuelle (sexual assault) exige d'abord et avant tout une agression (assault). Ce terme est défini au paragraphe 265(1) C.cr., tandis que le paragraphe 265(2) prévoit que cette définition s'applique à tous les types d'agressions sexuelles:
Le sous-paragraphe 265(1)a) stipule que l'emploi intentionnel de la force, directement ou indirectement, est nécessaire pour commettre une agression. Toutefois, le terme force souffre d'imprécision. Quel degré de force est requis pour constituer une agression? S'agit-il d'une force physique extrême ou négligeable?
À cet égard, la Common law a adopté une approche souple pour définir la force. Les auteurs Smith et Hogan adoptent la notion de "intentional touching... without consent and lawful excuse":
An assault is an act by which D, intentionally or recklessly, causes P to apprehend immediate and unlawful personal violence (...). But "violence" here includes any unlawful touching of another, however slight, for, as Blackstone wrote:
"the law cannot draw the line between different degrees of violence, and therefore prohibits the first and lowest stage of it; every man's person being sacred, and no other having a right to meddle with it, in any the slightest manner."
As Lane LCJ put it:
"An assault is any intentional touching of another person without the consent of that person and without lawful excuse. It need not necessarily be hostile, or rude, or aggressive, as some of the cases seem to indicate."
Selon cette définition, tout toucher intentionnel sans excuse légitime est donc une agression.
D'ailleurs dans un contexte d'agression sexuelle, l'agression qui revêt un caractère sexuel ne présente pas toujours le caractère hostile d'une agression au sens commun du terme. De fait, la composante agression de l'agression sexuelle provient plutôt de l'absence de consentement de la victime en regard du toucher:
In indecent assaults D's attitude to P will frequently not be "hostile" in the ordinary sense, but unduly affectionate! "Hostile", it is submitted, cannot mean more than against the will of P.
Dans l'affaire Boucher c. La Reine, notre Cour indique qu'elle rejette la proposition qui veut que l'agression sexuelle se limite aux situations où la victime avait été l'objet d'un acte de violence.
L'utilisation de la force n'est qu'un facteur parmi d'autres pour déterminer si la conduite reprochée comporte une connotation sexuelle. La Cour suprême a clairement indiqué sa position dans Chase:
La partie du corps qui est touchée, la nature du contact, la situation dans laquelle cela s'est produit, les paroles et les gestes qui ont accompagné l'acte, et toutes les autres circonstances entourant la conduite, y compris les menaces avec ou sans emploi de la force, constituent des éléments pertinents.
Finalement, dans l'affaire R. c. Pitt, la majorité de la Cour d'appel de l'Ontario a refusé d'ordonner un nouveau procès suite à la directive du premier juge concernant la notion de force dans un contexte d'agression sexuelle:
Force simply means physical contact. There can be force without any violence. In other words, this ingredient is proved if you are satisfied, beyond a reasonable doubt, that Roderick Pitt, the accused, touched C.B., the victim.
Plus tard, la Cour suprême confirmait la majorité.
Je conclus que le premier juge s'est mal dirigé en droit. La culpabilité de l'intimé ne dépendait pas d'une preuve susceptible d'établir le caractère hostile de l'agression. L'intimé a utilisé la force au sens des articles 271 et 265 du Code en se livrant volontairement à des attouchements à caractère sexuel sur des bénéficiaires sachant qu'ils n'y consentaient pas ou encore, qu'ils n'étaient vraisemblablement pas en mesure de consentir, élément sur lequel je reviendrai plus tard.
b) L'intention criminelle
À l'instar des anciennes infractions de viol et d'attentat à la pudeur, pour des raisons de politique sociale, afin d'éviter de faire échouer l'objet de la nouvelle disposition, la Cour suprême, dans Chase, s'est dite d'avis que le crime d'agression sexuelle ne requérait qu'une intention générale. Aussi, il est suffisant que l'accusé ait sciemment effectué un toucher à connotation sexuelle, sachant que la victime n'y consentait pas ou n'était pas en mesure de donner un consentement valide.
Le but recherché par l'agresseur n'est rien de plus qu'un facteur pertinent à considérer pour déterminer si la conduite reprochée comporte la nature sexuelle requise par le libellé de l'article 271 C.cr. Le juge McIntyre écrit, dans Chase:
L'intention ou le dessein de la personne qui commet l'acte, dans la mesure où cela peut ressortir des éléments de preuve, peut également être un facteur à considérer pour déterminer si la conduite est sexuelle. Si le mobile de l'accusé était de tirer un plaisir sexuel, dans la mesure où cela peut ressortir de la preuve, il peut s'agir d'un facteur à considérer pour déterminer si la conduite est sexuelle. Toutefois, il faut souligner que l'existence d'un tel mobile constitue simplement un des nombreux facteurs dont on doit tenir compte et dont l'importance variera selon les circonstances.
Comme la preuve de la recherche par l'agresseur d'une gratification sexuelle n'est pas un élément essentiel de l'infraction, exiger une preuve de motivation sexuelle aurait pour effet de transformer l'infraction d'agression sexuelle en une infraction d'intention spécifique. Que la motivation de l'agresseur se retrouve dans la recherche d'un plaisir sexuel, dans le désir d'infliger des souffrances à autrui, celui d'humilier ou de ridiculiser la victime, ne change rien au caractère criminel de sa conduite.
Or, en l'espèce, tous les éléments de l'infraction sont présents. Le juge de première instance a repoussé la défense d'accident. La preuve révèle que l'intimé s'est volontairement livré à des attouchements sur les organes sexuels des bénéficiaires dont il avait la charge. Il a touché aux seins de l'une et aux testicules des autres. La connotation sexuelle des gestes reprochés ne fait aucun doute. Compte tenu de toutes les circonstances, une personne raisonnable est en mesure de percevoir le contexte sexuel des attouchements. Saisi de la preuve de la commission de l'infraction, le juge ne dispose pas d'un pouvoir discrétionnaire qui lui permet d'acquitter l'appelant au motif que les gestes sont anodins ou ne sont posés que pour jouer. La plus ou moins grande gravité des gestes ne peut être prise en considération qu'à l'étape de la peine
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