dimanche 30 août 2009

L'identification n'est rien d'autre qu'une opinion

R. c. Rodrigue, Cour du Québec , dossier numéro 760-01-017129-005 (2001-09-25)

[59] La Défense prétend que l'identification n'est qu'une question d'opinion et en tant que telle n'a aucune force probante. Elle cite l'auteur Jacques Fortin en pages 536 et 537 de son volume intitulé "La Preuve Pénale". Le Tribunal juge approprié de reproduire les propos du Juge Fortin.

"Identification en tant qu'opinion.

L'identification n'est rien d'autre qu'une opinion et en tant que telle n'a aucune force probante au-delà des faits sur lesquels le témoin la fonde. La Cour d'Appel de Colombie Britannique a bien exprimé cette idée dans l'arrêt BROWN & ANGUS. Si on rationalise l'assertion "c'est lui", on s'aperçoit qu'elle est une opinion et non une affirmation d'un fait. Tout ce qu'un témoin peut dire, c'est qu'en raison du souvenir qu'il a gardé d'une personne, au regard d'un fait quelconque, il pense que cette personne est bien celle-là. Un témoin reconnaît une personne à travers une certaine personnalité qu'elle a prise à ses yeux. Cette personnalité se reflète dans ses caractéristiques de la personne qui, une fois associée avec quelque chose dans l'esprit du témoin, amène ce dernier à s'en souvenir d'une manière particulière. À moins que le témoin puisse témoigner avec certitude des caractéristiques et du quelque chose qui a éveillé et éclairé sa mémoire, et l'a amené à reconnaître la personne, l'identification qui se borne à l'affirmation "c'est lui", ne peut en soi être davantage qu'une vague description générale et ne peut être considérée comme fiable dans toute une sphère d'activités où la certitude est indispensable."

[60] Le Tribunal est bien au fait qu'il doit être extrêmement prudent lorsque la preuve de la Poursuite se fonde sur l'identification de l'accusé par un tiers. Ainsi dans la cause de PROULX c. LA REINE, 1992, Rapports de Jurisprudence du Québec, page 2047, la Cour d'Appel rappelait que la mise en garde énoncée dans l'arrêt LA REINE c. TURNBULL, 1976, 3 ALLERS, 49, et le Tribunal se réfère à la page 2067 de l'affaire Proulx.

Les composantes essentielles de cette mise en garde comprennent d'abord une directive quant à la faiblesse inhérente à la preuve de l'identification, ensuite des éclaircissements sur la nécessité d'une telle mise en garde. Enfin, l'instruction spécifique au jury d'examiner soigneusement les conditions dans lesquelles l'identification a été faite. De plus, il ne suffit pas que le juge informe un jury de la nécessité de montrer la prudence en abordant cette preuve. Il faut encore que le juge établisse le lien entre cette nécessité et les faits de l'espèce, attirant l'attention du jury particulièrement sur toute entrave matérielle aux observations et aux souvenirs des témoins oculaires ainsi que sur toute procédure irrégulière d'identification susceptible de fausser le résultat. La valeur probante d'une preuve d'identification visuelle peut être partiellement ou totalement détruite par l'utilisation des moyens d'identification préjudiciables. L'emploi de tels moyens en l'espèce exige de la part du juge un avertissement approprié."

[61] Dans l'affaire dont le Tribunal est saisi, il apparaît clair que l'identification par parade photographique s'est effectuée d'une façon conforme aux règles de l'art. Il y a plus, non seulement deux (2) témoins, principales victimes aux chefs 3 et 4, ont-elles reconnu la physionomie de l'accusé mais bien plus, contrairement aux prétentions de la Défense, elles ont noté un signe distinctif, soit les profonds sillons partant du nez pour se rendre près des commissures des lèvres.

[62] Il s'agit d'une preuve directe doublée d'une preuve indirecte, soit l'existence d'empreintes digitales. À ce sujet, le même auteur Fortin, dans son volume intitulé "La Preuve Pénale", exposait ce qui suit en page 536:

"Il va sans dire que la Poursuite doit prouver que l'accusé est l'auteur de l'infraction qu'on lui reproche. Cette obligation se traduit complètement par la peuve de l'identité de l'accusé. Celle-ci peut être établie par une preuve indirecte de nature scientifique ou non. Par exemple, un relevé d'empreintes digitales sur les lieux du crime, appuyé par l'opinion d'un expert qu'il s'agit de celles de l'accusé, est une preuve indirecte de l'identité. Mais l'identité peut aussi faire l'objet d'une preuve directe comme c'est le cas lorsqu'on demande à un témoin s'il identifie l'accusé comme étant l'auteur du crime".

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