samedi 6 février 2010

Le refus de fournir un échantillon d'haleine en l'absence d'un technicien qualifié constitue-t-il une infraction?

R. c. Tolley, 2004 CanLII 20776 (QC C.Q.)

[26] Le défaut de se soumettre au test de l'ivressomètre constitue une infraction qui est créée au paragraphe 5 de l'article 254 C. cr.:

«Commet une infraction quiconque, sans excuse raisonnable, fait défaut ou refuse d'obtempérer à un ordre que lui donne un agent de la paix en vertu du présent article.»

[27] Les éléments essentiels de l'infraction de refus de se soumettre au test de l'ivressomètre se résument donc d'une part à une sommation valide ordonnant au prévenu de fournir des échantillons d'haleine ou de suivre l'agent de la paix qui a procédé à son interception afin de procéder à ces prélèvements, et d'autre part à un refus de la part du prévenu de se soumettre à l'ordre donné. L'accusé peut dès lors commettre l'infraction prévue à l'article 254 (5) C. cr. de deux façons, soit en refusant de suivre l'agent de police ou encore en refusant de fournir les échantillons demandés.

[28] On sait par ailleurs que l'incorporation de l'expression «sans excuse raisonnable» au texte constitutif de l'infraction n'a pas pour effet d'ajouter l'absence d'excuse raisonnable comme élément essentiel de l'infraction que la Couronne aurait le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable, mais plutôt d'ouvrir à l'accusé une défense d'excuse qui lui permet de soulever un doute raisonnable par la preuve d'un élément étranger aux exigences légales stipulées. C'est en effet l'accusé qui a le fardeau de prouver, par prépondérance des probabilités, que l'excuse invoquée est raisonnable.

[29] Ce sont en effet là les enseignements qui ressortent de la jurisprudence: Taraschuk v. R., (1976) 25 C.C.C. (2d) 108 (C.S.C.); R. c. Dupré, [1995] A.Q. No. 1155 (C.S.); Aubut c. R., J.E. 92-589 (C.A.).

[30] Or, dans l'affaire Kitchemonia, précitée, la Cour d'appel de la Saskatchewan écrivait dès 1973 ce qui suit, à la page 227:

«In my respectful view, s. 235 (2) creates a single offence, that is, an offence for non-compliance with the demand provided for in s. 235 (1). It is immaterial whether the non-compliance arises from a failure or a refusal without reasonable excuse to supply a sample of breath. These are simply two of the ways in which the offence may be committed: […].»

[31] La position fut aussitôt reprise par la Cour d'appel du Manitoba dans l'arrêt précité Matthews, lui aussi rendu en 1973, aux pages 3 et 4:

«And see R.c. Sawicki, [1972] 6 W.W.R. 755 (Sask. C.A.), where Culliton, C.J.S., said at p. 757:

«Under s. 235 (1) the peace officer, when the circumstances as set out therein exist, has a right to demand from the person a sample of his breath and to demand that he accompany him for the purpose of enabling such a sample to be taken. A failure or refusal to comply with either of these demands without reasonable excuse constitutes an offence under s. 235 (2). […]»

In the case at bar, it was not suggested that Matthews had a reasonable excuse for non-compliance with the demand by Simpson. I am satisfied that the offence, as charged, was complete when Matthews responded negatively in response to Simpson's demands. Whether Matthew would have changed his mind about providing a breath sample if another demand had been made later on at a place where a sample could have been taken, is not relevant to the circumstances of this case.»

[32] Puis, en 1978, la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse adoptait un point de vue analogue. En effet, dans l'affaire R. v. Belliveau, (1979) 42 C.C.C. (2d) 357 (N.S.S.C. (A.D.)), le juge en chef Mackeigan écrivait, aux pages 359 et 360:

«We should emphasize that the law does not require an accused to be taken to the breathalyzer instrument in order to conclude that he refused to comply with the demand. The demand is twofold – to require the accused to provide samples of his breath and to require him to «accompany the peace officer for the purpose of enabling such samples to be taken» (s. 235 (1) […]). The offence is to fail or refuse to comply with either of those demands. The failure or refusal to comply must thus take place or not take place before any trip to the breathalyzer begins. Any suggestion that it is necessary or even desirable to take the accused to the machine before the fact of failure or refusal to comply is determined entirely overlooks the twofold nature of the demand.

No authority is needed for what seems so clear. I note, however, that other Courts of appeal have also rejected similar misinterpretations of the section: […] .»

[33] Enfin, dans son arrêt récent rendu en 2004 dans l'affaire Danychuk, déjà citée, la Cour d'appel de l'Ontario ajoutait la contribution suivante à la discussion, aux paragraphes 22 et 26:

«[…] It is the failure or refusal to comply with the demand to provide the breath sample that is at the core of the infraction, not the failure or refusal to provide the breath sample «forthwith». The word «forthwith» in subsection 254 (2) does not define the substance of the offence. Rather, it imposes on the person to whom the demand is made an obligation to comply in a timely fashion, and on the authorities an obligation to conduct the test in a timely fashion once the request is honoured in order that the detainee's rights to counsel under section 10 (b) of the Charter are minimally impaired.

[…]

[…] Where, as here, there has been an outright refusal to provide a breath sample, it is not a prerequisite to such a demand that the Crown establish the approved screening device was present at the scene, tested and ready to accept a sample, or that the police officer presented the device to the driver and explained the purpose of the test and the consequences of a failure to provide a sample.»

[34] Bien que l'accusé subissait alors son procès sur une accusation de refus de fournir un échantillon d'haleine dans l'appareil de détection approuvé (art. 254 (2) C. cr.) plutôt que dans l'ivressomètre approuvé (art. 254 (3) C. cr.), le Tribunal est d'avis que le principe énoncé a force obligatoire dans l'une et l'autre situation, rien ne permettant de distinguer à cet égard le refus de fournir l'échantillon dans l'un ou l'autre des deux types d'appareils.

[35] Ainsi donc, pour tout résumer, comme, pour se décharger de son fardeau de preuve, le Ministère public n'a pas à démontrer qu'un appareil était effectivement à la portée de la main au moment du refus, l'infraction de refus est perpétrée dès lors que le prévenu d'une part se fait servir une sommation légalement valide par un agent de la paix et d'autre part ne s'y conforme pas en faisant défaut ou en refusant, sans excuse raisonnable, d'y donner suite.

[36] Or, c'est précisément ce qui s'est produit dans la présente affaire. N'ayant fourni aucune explication qui serait susceptible de constituer une excuse raisonnable dans les circonstances, l'accusé a clairement indiqué au constable Petonoquot qu'il ne voulait pas se soumettre à la sommation, position qu'il a du reste réitérée après avoir été dûment informé des conséquences d'un refus.

[37] Aussi, dans le contexte de la présente affaire, faut-il ultimement conclure que la sommation du policier autochtone ordonnant à monsieur Tolley de fournir des échantillons d'haleine a été validement décernée et que le refus injustifié d'obtempérer clairement exprimé par l'accusé couvre tous les éléments essentiels de l'infraction prévue au paragraphe 5 de l'article 254 du Code criminel.

[38] L'accusé doit dès lors être déclaré coupable de l'infraction d'avoir refusé de donner les échantillons d'haleine qu'il était légalement tenu de fournir.

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