samedi 6 février 2010

La validité de l'ordre de fournir un échantillon d'haleine au fin de l'alcootest lorsqu'aucun technicien qualifié n'est disponible au poste de police

R. c. Tolley, 2004 CanLII 20776 (QC C.Q.)

[16] On est dès lors en mesure de constater dès à présent que l'expression française «dès que possible» n'a pas tout à fait la même signification que l'expression anglaise «as soon as practicable», la seconde véhiculant une notion d'assujettissement à la possibilité matérielle de procéder aux prélèvements que la première ne connote pas nécessairement.

[17] Aussi, dans un effort de conciliation entre les deux textes, la jurisprudence et la doctrine ont-elles d'abord précisé que la demande du policier, requérant des échantillons d'haleine aux fins d'analyse à l'aide de l'ivressomètre, ne doit pas être «faite dès que cela est physiquement possible, mais plutôt dès que cela est raisonnablement possible eu égard aux circonstances»: LABRÈCHE, D. et C. JARRY, "Les infractions relatives à l'automobile"; dans Collection de droit 2003-2004, École du Barreau du Québec, vol. 11, Droit pénal: Infractions, moyens de défense et peine, Les Éditions Yvon Blais, 2003, à la page 132.

[18] Il est par ailleurs acquis que, pour établir que le prélèvement des échantillons a été fait dès que cela était raisonnablement possible dans les circonstances, la Couronne doit faire la preuve de l'heure de la commission de l'infraction, de l'heure à laquelle l'accusé a été sommé de fournir l'échantillon, et finalement de l'heure à laquelle il a subi le test. Bien qu'il n'ait pas à justifier chacune des minutes du délai écoulé entre le moment de l'infraction et la prise des tests, le Substitut doit au surplus faire la démonstration – au besoin en exposant la façon dont la police était organisée pour procéder aux prélèvements – que ce délai était raisonnable eu égard à l'ensemble des circonstances. C'est en effet ce qui ressort de l'arrêt suivant de la Cour d'appel de l'Ontario, rendu dans l'affaire R. c. Letford, [2000] O.J. no. 4841 (Ont. C.A.), aux par. 19 et 20:

«[…] the way in which the police organized their staff and equipment appears relevant to the time taken until the first breathalyzer test, it and any reason offered for it are matters for the court to consider in determining whether the Crown has met its obligation under s. 258 (1) (c) (ii).

The Crown need not show that the police are organized to take breath samples as soon as possible in each case. However, s. 258 (1) (c) (ii) does require that in every case the Crown demonstrate that in all the circumstances, including, where relevant, the way the police are organized and why, the breath samples were taken within a reasonably prompt time.»

[19] Mais cela ne signifie pas pour autant que le policier doive être en présence d'un ivressomètre approuvé et d'un technicien qualifié pour pouvoir décerner au suspect une sommation légalement valide. Car, ce qu'il s'agit d'apprécier ici, ce n'est pas la légalité du délai observé entre la sommation et la prise des échantillons, mais plutôt la légalité de l'ordre donné par l'agent de la paix et, accessoirement, la possibilité que l'ordre tel que donné enclenche l'obligation légale, pour celui auquel il s'adresse, de s'y conformer.

[20] C'est du moins là la distinction que, déjà dans l'arrêt R. v. Matthews, (1974) 14 C.C.C. (2d) 1 (Man. C.A.), rendu à l'époque où l'actuel article 254 C. cr. portait le numéro 235 C. cr., la Cour d'appel du Manitoba apportait, aux pages 2 et 3:

«Breathalyzer test equipment was not located at the detachment to which Matthews was taken. The police officers testified that Matthews was not taken to the office, where equipment was located, because of his indication at the scene that he would not submit to a breathalizer test.

[…]

[…] the question before the Court was not whether the accused was given a reasonable time to make up his mind about the demand but whether, having refused, the offense was complete. There was no dispute with the proposition that a person upon whom a demand is made ought to have a reasonable time to make up is mind.»

[21] Cela dit, la Cour a finalement adopté le point de vue précédemment exprimé dans l'affaire Sawicki, dont il sera question ultérieurement, selon lequel la sommation ne devait pas nécessairement être décernée en présence de l'ivressomètre approuvé pour être valide. Cette position avait d'ailleurs déjà été énoncée, seulement quelques mois plus tôt, par la Cour d'appel de la Saskatchewan dans l'affaire R. v. Kitchemonia, (1973) 12 C.C.C. (2d) 225 (Sask. C.A.). Le juge en chef Culliton y écrivait alors, à la page 227:

«I am of the opinion, as well, that the learned trial Judge erred in law in holding that Kitchemonia could not be guilty of failing to comply with the demand made pursuant to s. 235 (1), unless there was immediately available an approved instrument for analysis of a sample. This very question was considered by this Court in R. v. Sawicki, [1972] 6 W.W.R. 755. There, speaking on behalf of the Court, I said at p. 757:

«[...] The demand provided for in s. 235 (1) can be made any place. To suggest that it could be made only at the place where the approved machine is located is contrary to the clear intent of the section. If this were the correct interpretation, there would be no need for the right given to the peace officer to demand that the person accompany him for the purpose of enabling the sample to be taken.»

I have no reason to depart from these views expressed on behalf of the Court.»

[22] Le point de vue fut subséquemment repris par les tribunaux de toutes les juridictions, qui en ont dérivé la proposition selon laquelle, en règle générale, la police n'a pas l'obligation d'organiser ses ressources matérielles de façon à ce qu'un alcootest approuvé et/ou un technicien qualifié soit disponible en tout temps dans chaque poste de police, pour autant qu'elle soit en mesure de faire subir le test au prévenu dans un délai qui soit raisonnable eu égard à l'ensemble des circonstances: R. v. Laybolt, (1974) 17 C.C.C. (2d) 16 (P.E.I. S.C.); R. v. Myrick, [1995] N.J. No. 154 (Nfl. C.A.); R. v. Letford, [2000] O.J. No. 4841 (Ont. C.A.); R. v. Dechamplain, [2001] O.J. No. 2293 (Ont. S.C.J.); R. v. Ferguson, [2004] O.J. No. 127 (Ont. C.J.).

[23] Puis, dans un arrêt récent déposé le 19 février 2004 dans l'affaire R. v. Danychuk, [2004] O.J. No. 615 (Ont. C.A.), la Cour d'appel de l'Ontario a complété la boucle. S'exprimant au nom d'une Cour unanime, le juge Blair écrit en effet, aux paragraphes 20 et 21:

«Mr. Danychuk refused, unequivocally, to provide a breath sample. This Court has held, in such circumstances, that the Crown need not even demonstrate the device in question was an approved screening device as a prerequisite to a valid demand: [...]. In addition, the Court and others have held that in such circumstances the Crown does not have to show an approved screening device was in possession of, or immediately available to, the police officer at the time of the demand. [...].

In my opinion, while it may be sensible for a police officer to make sure the device is working and the motorist apprised of the process and the consequences of non compliance, it cannot be said – in the face of these authorities – that these matters constitute prerequisites to a valid demand for a breath sample under subsection 254 (2), in my opinion.»

[24] L'absence d'un technicien qualifié ou encore d'un ivressomètre approuvé au poste de la police autochtone, au moment où a été donné l'ordre de fournir les échantillons d'haleine, n'a dès lors aucune incidence sur la validité de cette sommation. Par ailleurs, s'il avait obéi à la sommation et avait échoué le test de l'ivressomètre, ce n'aurait été qu'au moment de mettre en preuve le taux d'alcoolémie dans le sang de l'accusé, lors de son procès pour conduite avec plus de 80 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang (art. 253 b) C. cr.), que la Couronne aurait dû justifier le délai écoulé entre le moment de l'infraction et le moment du test, en supposant évidemment qu'elle aurait voulu produire les résultats d'analyse des prélèvements d'haleine effectués par le technicien qualifié, selon les prescriptions de l'article 258 (1) c) du Code criminel.

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