R. c. Lozeau, 2006 CanLII 58789 (QC C.M.)
[43] Le fait de lancer les clés à l’extérieur de son véhicule à la vue de la policière constitue-t-il une manifestation d’un esprit coupable ? Dans une affaire récente où elle ordonne la tenue d’un nouveau procès, la Cour d’appel du Québec, reprenant les principes mis de l’avant dans les arrêts Arcangioli et White, nous rappelle (au paragraphe [29]) :
…dans tous les cas, le juge du procès devrait donner des directives au sujet de l’utilisation de la preuve de comportement postérieur à l'infraction, afin de « faire échec à la tendance naturelle des membres d’un jury à s’appuyer sur une preuve de fuite ou de dissimulation pour conclure immédiatement à la culpabilité » (White, précité au paragr. 36). Comme le souligne le juge Chamberland dans R. c. Charbonneau, 2005 QCCA 680 (CanLII), 2005 QCCA 680, J.E. 2005-1456au paragr. 112, « le juge du procès doit s’assurer que les jurés comprennent bien qu’il arrive que des gens agissent comme ils agissent pour des raisons parfaitement innocentes ».
[47] Le défendeur a établi qu’il n’occupait pas la place du conducteur pour mettre le véhicule en marche, repoussant ainsi selon la balance des probabilités la présomption légale.
[48] Qu’en est-il maintenant du risque de mise en marche du véhicule ? Si la lecture des résumés de jurisprudence qui traitent de la question donne à penser que les tribunaux supérieurs tirent dans tous les sens, la lecture du texte intégral de chacune de ces décisions nous rappelle que ce sont les faits qui mènent le droit, pas l’inverse, que chaque cas est un cas d’espèce, comme le précisait du reste le juge McIntyre dans Toews. Les résumés qui rapportent ces causes, pour ne citer que celles-là, ne précisent pas pourquoi la Cour suprême déclare Saunders coupable, mais acquitte Toews. Les deux sont ivres et endormis dans un véhicule avec les clés dans l’ignition, le moteur n’est pas en marche, mais la radio du camion où dort Toews fonctionne pourtant. Il faut lire les textes intégraux pour comprendre.
[49] Et si dans Rioux la Cour d’appel intervient pour rétablir la déclaration de culpabilité prononcée par le tribunal d’instance dans le cas de cet individu qui dort au volant de son véhicule, alors que les clés sont cachées derrière un garage, à une vingtaine de pieds du véhicule, c’est que le juge d’instance a déterminé que le risque de remettre le véhicule en marche était présent, vu l’état d’ébriété avancé du défendeur. Cette conclusion de faits n’était pas déraisonnable, écrit la Cour d’appel, vu le peu de crédibilité accordé par le juge d’instance au défendeur. La Cour supérieure, écrit encore la Cour d’appel, ne devait intervenir qu’en cas d’erreur manifeste. La juge Thibault qui rédige le jugement unanime de la Cour écrit encore :
53 Tenant compte de ces principes, je suis d'avis qu'en l'espèce, l'intervention du juge de la Cour supérieure n'était pas appropriée. En effet, il a substitué son appréciation de la preuve à celle du juge du procès et cela, en l'absence d'erreur manifeste.
[50] Si les faits mis en preuve dans notre affaire révèlent un certain degré de contrôle ou de garde du véhicule, le tribunal estime que cette preuve des éléments matériels de garde et de contrôle n’est pas établie au-delà de tout doute raisonnable quant à l’actus reus. Et le doute, chacun le sait, doit bénéficier au défendeur. Quant à la mens rea de l’infraction, la preuve de l’intention criminelle requise pour condamner n’en a pas été faite. L’intention dont la preuve est faite devant le tribunal n’est pas celle qui est requise pour que le défendeur soit déclaré coupable. L’intention dont la preuve est faite est celle d’utiliser temporairement l’habitacle du véhicule comme on utiliserait une cabine téléphonique – en plus confortable évidemment – pendant que quelqu’un d’autre viendra nous y cueillir et nous ramener à bon port.
[51] Comme dans les affaires Dubois, Pichette, Michaud, Robitaille, Simard et Larouche, dans la nôtre, le tribunal estime qu’il n’y a aucun risque, quel qu’il soit, que le véhicule du défendeur ne soit mis en marche dans les circonstances révélées par la preuve.
[52] Pour reprendre l’expression utilisée par l’honorable juge Bayda de la Cour d’appel de la Saskatchewan, l’attitude du défendeur est orientée vers la disparition du risque.
[53] Sur le premier chef, notre affaire s’apparente à la décision rendue par l’honorable Jacques Lévesque de la Cour supérieure, affaire dans laquelle le tribunal maintient l’appel à l’encontre de la condamnation sous le chef de garde et contrôle. Dans cette affaire, le tribunal écrit :
27 J'estime que le fait, de se trouver, ainsi, seul dans son véhicule, le téléphone cellulaire en main, à la recherche d'un bon samaritain, dans le but d'éviter de conduire son véhicule, constitue un fait neutre, puisque la présomption a été réfutée. Comme la preuve ne révèle aucun autre acte de l'appelant comportant une certaine utilisation du véhicule, ou encore certains actes établissant une conduite quelconque à l'égard du véhicule qui comportaient le risque de le mettre en mouvement de sorte qu'il puisse devenir dangereux, l'actus reus n'a pas été démontré hors de tout doute raisonnable.
28 Je suis aussi d'avis, et cela dit avec beaucoup de respect pour l'opinion contraire, qu'à partir du moment où le premier juge a accepté que l'appelant avait réussi à renverser la présomption édictée par l'article 258 du Code criminel, il ne pouvait, en l'absence de toute autre preuve, administrée hors de tout doute raisonnable, présumer du seul fait que l'appelant se trouvait assis, en état d'ébriété, sur le siège habituellement occupé par le conducteur, que cela comportait le risque de le mettre en mouvement de sorte qu'il puisse devenir dangereux.
[54] La Cour suprême nous enseigne que lorsqu’il y a absence de risque réaliste que le défendeur ne mette involontairement en marche le véhicule et qu’il ne devienne dangereux, il y a absence d’actus reus.
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